L’OHADA ou ces Africains qui refusent de grandir
Je me souviens encore de cela comme si c’était hier.
Nous étions alors à Casablanca, jeunes Africains (c’est ainsi qu’on nous appelle, là-bas, « Africains ») en train d’étudier qui son informatique, qui sa gestion financière, qui sa médecine.
Un Vieux frère que je connais depuis la fin des années 80, du temps où nous étions encore au Congo rive droite devait étudier pour ses deux premières années ce qu’on appelait dans son école GFC (Gestion-Finances-Comptabilité). Au cours d’un TD (Travail dirigé), leur prof de comptabilité, tenant un document dans une main, fixa ce Vieux frère et lui dit :
- Vous, le Congolais, chez vous, vous n’avez pas de Plan comptable. Vous n’avez que le Plan OCAM qui date de la colonisation. Vous avez vu ? Nous, on a notre propre plan comptable. Un Plan comptable marocain. Vous voyez ?
Il y avait et de l’ironie et de la moquerie dans les propos de cet enseignant.
Et pourtant…
Et pourtant…
Et pourtant, il disait vrai !
C’était tout de même hallucinant que des décennies après l’accession à la reconnaissance internationale de nos Etats (appelée « Indépendance »), nous en étions encore au fameux Plan OCAM (Plan de l’Organisation de la Communauté africaine et malgache [sic !]) alors que ceux qui, hier, comme nous, étaient sous le joug officiel de la colonisation s’étaient libérés et avaient entamé un travail de réflexion sérieux en mettant en place des instruments juridiques et comptables modernes pour leur économie, nous en étions encore à « travailler » sur ce que le colon avait fait, sans se poser par exemple la question de savoir si ce plan, conçu et élaboré par autrui était adapté à leur réalité.
C’est comme pour le franc cfa.
C’est comme pour les bases militaires françaises.
C’est comme pour les programmes scolaires et universitaires.
C’est comme pour tellement de choses…
Un jour, les Africains francofaunes ont décidé de changer de cap et d’avoir leur propre plan comptable et c’est ainsi que l’OHADA est née. Enfin ! c’est un peu vrai. Donc un peu faux aussi. Car, à bien y regarder, l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique) est juste une copie du droit français. Le jour où j’ai appris cela, j’ai failli tomber à la renverse.
Et les Africains sont les premiers à s’en vanter. Ils ont une telle fierté à le dire.
Juin 2010.
J’habite la Normandie et je suis invité par une association congolaise qui parle d’investissements au Congo. Je suis d’autant plus content d’y aller que cela change des réunions sempiternelles au cours desquelles les critiques sans la moindre proposition sont au menu.
Dans cette salle où l’on trouve des Congolais d’une trentaine d’années à plus que quarante ans, membres de cette association, j’entends une personne, bachelière du même lycée que moi, diplômée en droit, me répondre Si les Africains ont choisi de copier le droit français c’est par mesure de sécurité. Le genre de réponse d’une bêtise crasse : de quelle sécurité parle-t-on, pourquoi et comment ?
J’avais en effet posé la question de savoir à quoi devaient donc servir les magistrats, les avocats, les huissiers, les notaires etc., bref ! tous les juristes africains si, des décennies après que nous soyons devenus « indépendants », nous en sommes encore à calquer bêtement ce que font les autres.
C’était un samedi.
C’était le 18 juin 2010.
Je n’en avais pas dormi.
J’avais passé la nuit en région parisienne.
J’avais mis un costume, une cravate, une chemise très bien repassée et ma paire de JM était plus que bien cirée.
J’étais très gêné dans cet accoutrement. J’avais l’image même de l’intellectuel africain, quand bien même je revendique ne pas en être un.
Ce sont ces fameux « intellectuels », nos fameux « intellectuels » qui nous conduisent dans de telles aberrations. A faire des choix qui vont à l’encontre total de nos intérêts. Des gens qui passent leur temps à marquer des buts contre leur camp, notre camp.
Dominique Lafont est un citoyen français. Il a été des années durant le « Monsieur Afrique » du groupe français Bolloré. Dans un entretien accordé il y a quelques semaines sur Rfi dans l’émission passant les samedis en fin de matinée, « Eco d’ici, éco d’ailleurs » que l’OHADA, du fait même qu’il ait été copié sur le droit français.
Je l’aurais dit seul, mes amis françafricains me seraient tombés dessus en me traitant d’anti-français (ce qui pour moi ne veut rien dire car mes contradicteurs, après avoir balancé cette antienne sont totalement privés du moindre argument pour que nous puissions esquisser le moindre début de commencement de débat). C’est un Français qui le dit mais là, mes amis françafricains ne doivent pas être au courant.
Jusques à quand allons-nous refuser de grandir ?
Jusques à quand serons-nous le réceptacle de tout ce que les autres pensent, conçoivent, élaborent et fabriquent ?
Si nous renonçons ne serait-ce qu’à la faculté de penser et de réfléchir, en quoi sommes-nous encore des Hommes ?
Obambe NGAKOSO, December 2017©