Kako Nubukpo: « J’ai quitté le gouvernement parce que Ouattara a demandé à Faure de me virer du gouvernement »
L’économiste Kako Nubukpo a fait des révélations qui, si elles avaient eu lieu dans un pays sérieux, dans une région sérieuse, auraient eu des retentissements telles que des mois durant on en aurait parlé.
Par l’écrit.
Par l’image.
Né en 1968 à Lomé, Nubukpo, il fait ses études supérieures en économie à Strasbourg et à Lyon où il passe sa thèse (se spécialisant dans le coton) puis a enseigné à la Lyon Business School (1997/1999) puis intègre la BCEAO*. Durant son parcours, il s’est retrouvé (2013) membre du gouvernement togolais avec la charge de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques. Et puis un jour, ce ministre fut débarqué de son gouvernement. Il était en ce temps-là aisé de comprendre pourquoi il avait été invité à quitter le navire gouvernemental. Pourtant, nous étions loin de nous douter de comment les choses s’étaient passées…
En effet, durant son ministère, Nubukpo avait osé dire tout haut ce que certains Africains courageux avaient déjà dit tout haut mais ce que la plupart, surtout quand ils sont aux postes de responsabilité, osent à peine murmurer quand ils sont seuls dans leurs palais, avec le premier garde à cent kilomètres à la ronde.
Selon des témoignages d’upécistes (des membres de l’UC, Union des populations du Cameroun), Castor Ossende Afana (1930-1966), docteur en économie, aurait été le premier à mettre en évidence l’arnaque que constitue le franc colonial que nous appelons gentiment « franc cfa ». Joseph Tchundjang-Pouémi (1937-1984) à son tour a marché dans ses pas et a commis un ouvrage qui fait autorité à ce sujet. Ensuite, c’est Nicolas Agbohou, économiste comme les deux premiers, en plus d’être politologue qui a commis son ouvrage** et ne cesse de donner des conférences sur le sujet, en Europe comme en Afrique. Nubukpo qui est bien plus jeune que ses prédécesseurs a décidé de suivre le même chemin.
Récemment à Lomé, il a dit publiquement pourquoi et comment il a été invité à ne plus faire partie des gouvernants togolais. C’est selon lui Alassane Dramane Ouattara qui a demandé à Faure Eyadéma, président du Togo de virer (2015) cet anticonformiste suite à ses propos sur le franc colonial. En effet, Nubukpo ne prend aucun gant pour en dire tout le mal nécessaire. Pour lui, il est clair qu’ne peut plus continuer ainsi. Le braquet doit changer.
Si Alassane Dramane Ouattara va jusqu’à demander un tel service à son jeune collègue, c’est que pour eux l’heure doit être grave et que le feu a déjà atteint le lac. Comme l’heure n’est plus aux assassinats systématiques, on fait comme on avait fait hier avec un autre économiste, Mamadou Koulibaly, de la Côte d’Ivoire qui bien avant Nubukpo mais après Agbohou avait sévèrement critiqué le franc colonial. Au lieu d’être mis hors du jeu politique, il avait été écarté de son poste de grand argentier du pays pour être placé à la présidence de l’Assemblée nationale où bien entendu sa marge de manœuvre dans la lutte contre cette monnaie de singe ne pouvait être que des plus réduites, mais vraiment à une portion congrue.
Depuis un certain moment, la peur a bien changé de camp. Les peureux ne se comptent plus seulement dans les rangs des Africains qui se font tondre leur laine sur le dos comme des moutons de panurge. La peur est dans le camp de la françafric qui ne sait plus vers qui se tourner pour sauvegarder ses acquis. Le roi est nu et plus personne n’osera lui donner des vêtements décents pour lui rendre un peu de son honneur totalement parti.
Il est de notoriété publique que depuis l’irruption, tel un pachyderme dans un magasin de porcelaine de Dramane Ouattara dans le landerneau politique ivoirien sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny (1990) que cet homme est un rouage essentiel du système françafricain. Même si cela a pris plus de vingt ans pour qu’il prenne le fauteuil naguère occupé par le Bélier de Yamoussoukro, il est bel et bien en lace et fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le franc colonial ne bouge point du moindre iota. Quitte à faire débarquer d’un gouvernement d’un pays voisin un économiste des plus prometteurs, prêt à sortir ce continent de la boue dans laquelle il ne cesse de s’enfoncer.
Le roi est nu, dis-je plus haut.
Plus rien ne pourra arrêter cette lame de fond qui de capitale africaine en capitale africaine, telle la lave sortie de son volcan ne cesse de tout consumer sur son passage. Depuis janvier, nous faisons des conférences dans des dizaines de villes du monde pour sensibiliser les nôtres ainsi que le grand public sur l’incohérence à prétendre vouloir le progrès et en même temps le maintien de cette monnaie de singe que lui-même Moussa Mara, ex-maire du secteur IV de Bamako mais surtout ex-Premier ministre a qualifié de monnaie de riche.
Tant pis pour ceux qui vont rater le train…
Pour infos, Nubukpo a coécrit un ouvrage sur le franc colonial…***
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* : Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest dont le siège est à Dakar
** : Joseph Tchundjang-Pouémi, « Monnaie, Servitude et Liberté », réédité en 2000 chez Menaibuc. Nicolas Agbohou, « L’euro et le franc cfa contre l’Afrique », Editions Solidarité Mondiale SA, 2000
*** : Kako Nubupko (dir.), Martial Ze Belinga, Bruno Tinel, Demba Moussa Dembele, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ?, Paris, La Dispute, 2016, 243 p.,
Obambe NGAKOSO, May 2017©