Les kulunas sont encore là: où sont les xénophobes?
Il s’appelle Fortuné.
Vu son âge, depuis que je suis ado (et que je le connais), je l’appelle tonton. Lui et sa famille furet les locataires de mes parents dans la rue Franceville, à Ouenzé, au bord de Maduku-Tsékélé, rivière bien connue traversant certains quartiers de notre ville capitale.
La dernière fois que lui et moi on s’est vus, cela devait remonter à 22 ans au moins, si ma mémoire ne me joue aucun tour.
Dans la rue Gamboma, à quelques mètres du marché de Ouenzé, dans le sens Ouenzé-Talangaï, je marchais et c’est lui qui m’a appelé : « Bambi ! »
Quel plaisir de se retrouver après tant d’années il fait partie de ces gens dont on dit qu’ils ont de bons gènes car il ne vieillit pas du tout alors que je me souviens qu’il a neuf ans de plus que moi. Tiens, il me semble que la majorité des originaires de la Sangha que je connais sont comme ça : toujours jeunes… Son oncle maternel est aussi présent et j’apprends qu’ils sont en deuil, suite à la perte d’un neveu, assassiné vers 19 heures, en plein Ouenzé, dans la rue Bandza, au croisement de l’avenue qui suit Miadeka (celle du marché de Ouenzé). J’ai vraiment du mal à y croire.
Qu’une chose pareille arrive dans mon quartier, là où j’ai grandi, là où j’ai joué au ballon, où je n’ai eu de cesse de me balader découvrant chaque jour des recoins. Treize mois que je suis là et je ne reconnais pas du mon enclos colonial, ma ville, mes quartiers. Ce n’est pas possible. Quels comptes est-on obligé de régler à coups de couteaux quand on est si jeunes ?
Il y a un arrêt de bus appelé Bongho-Nouarra, en hommage à l’ancien Premier ministre Stéphane Bongho-Nouarra qui nous a quittés il y a quelques années de cela, des suites de maladie. Cet arrêt est dans le quartier Massengo, sur la Nationale numéro 2, quasiment en face de la mairie de Ndjiri, arrondissement 9 de Mfoa. Quand le soir tombe, il ne fait pas bon s’y trouver quand on a un sac ou plus. Ces jeunes gens appelés tantôt kulunas, tantôt bébés noirs sont là, en train de chercher des proies à agresser physiquement puis à dépouiller (ou l’inverse, ce qui ne change rien). Ils font la même chose très tôt le matin, avant que le soleil ne se lève. Une de mes belles-sœurs, qui y vit en sait quelque chose, elle qui chaque matin doit aller faire commerce du côté de Kibéliba, dans le quartier de la Tsiémé. Il ne se passe pas un jour sans agression dans ce coin : c’est un sac à mains de femmes qui est chapardé ; c’est un doigt qui est coupé ; un portable qui est arraché etc.
Je pourrais citer plusieurs autres cas de ce genre, que nous vivons au quotidien.
Vous me demanderez sans doute où se trouve la Police ? J’aimerais y répondre mais je ne le ferai pas car je ne voudrais pas que ce billet soit long.
Ce qui m’a poussé à écrire ce billet, comme à l’instinct, c’est la réaction de Pierre Edoumba (je ne vous le présente plus) sur un réseau social où, en faisant court, je parlais de la mort de cet enfant. Edoumba de se demander comment il peut y avoir des kulunas dans ce pays puisque lors des expulsions de nos frères de la RDC, on s’était permis de dire que la question des kulunas était alors réglée.
Voilà ce qui arrive quand on est dirigé par des Hommes qui ont signé un pacte de non-agression avec l’honneur et le bon sens. En effet, depuis que ces expulsions ont eu lieu, la violence le soir venu, dans nos deux plus grandes villes n’ont jamais cessé. Comme pour dire que la direction dans laquelle le doit a été pointée n’est pas la bonne. Les kulunas qui agissent dans nos quartiers sont connus des autorités policières, politiques et judiciaires du Congo. Idem pour ceux qu’on appelle étrangement Bébés noirs ou Lylys noirs (drôles de noms, quand même…) Il y a trois mois environ, je suis passé par le terminus de Mikalou. Quelques minutes après, une horde de ces Bébés noirs a débarqué avec des armes blanches. Ces jeunes gens se sont jetés sur les passants et les ont agressés avec leurs couteaux et autres machettes. Je vous passe les détails sur la qualité des blessures. Qu’à fait la Police ? Qu’ont fait les militaires qu’on voit plus assis en train de croquer des Ngok et des Primus dans tous les bars et autres débits de boissons de nos villes ?
Au niveau de l’arrondissement 3 Poto-Poto, on sait où les kulunas passent leurs journées, où ils dorment etc. Leur protectrice est connue de toutes et de tous. Que fait la Police me direz-vous encore ? Un jour, en pleine journée je vous dis, ils sont sortis sur l’avenue de la Paix, l’artère la plus commerçante de cette ville et ont crié : « Nous sommes là, c’est nous les Bébés noirs. Nous soutenons (…) pour les élections ! »
Inutile de vous dire qu’ils sont repartis chez eux comme ils étaient apparus.
Je prends régulièrement bus et taxis dans cette ville et il se trouve encore, tous les jours, des gens pour me dire des phrases du genre, Les Zaïrois, ce sont eux les kulunas, les Bébés noirs, les Lylys noirs, on a bien fait de les chasser !
Pauvres Congo !
Pauvre Afrique !
Obambe NGAKOSO, August 2016©