Le broyage de nos cadres
Avant-hier en début d’après-midi, je croise un frère que je fréquente depuis plus de vingt ans.
C’est toujours un plaisir d’changer avec lui car c’est un esprit carré, ce qui change de ce que l’on entend et lit habituellement.
Depuis quelques années, il est membre d’un cabinet ministériel et, sans que nous n’ayons jamais échangé sur la nature des missions assignées à son ministère ainsi que sur les siennes, j’ai bien entendu – puisque je m’intéresse à la politique – une petite idée des tâches qui leur étaient assignées.
Le temps passant, il a bien fallu se rendre compte que cela a été des années de perdu, donc du temps de perdu. Je le savais et tous les Congolais lus ou moins avertis le savaient aussi. Il me l’a dit lui-même.
Il ne faut rien attendre de cette administration.
Le ministre qui a géré ce département l’a dit lui-même un jour en public (hors du Congo). Le jour où le président l’a nommé à ce poste, il ne savait pas lui-même en quoi allait consister sa mission, ses prérogatives.
Si je compte bien, l’aventure aura duré pas moins de 6 ans.
6 ans pour ça!? Est-on tenté de se poser comme questions?
L‘on se plaint souvent que les cadres africains ne rentrent pas sur le continent, leur terre de naissance ou de naissance de leurs parents ou encore de leurs grands-parents. Cela fait aussi partie de ce que je ne nommerai pas légendes urbaines. Des cadres africains qui rentrent sur le continent, il y en a. Des cadres africains qui regagnent chaque jour la terre de leurs Ancêtres, ce n’est pas ce qui manque. Le problème, comme souvent, c’est ce qu’on en fait. Hier, du temps de nos parents, il y avait du boulot à foison. Les gens ne se sentiment pas obligés d’aller étudier en Europe car sur place, il y avait du boulot pour tout le monde. Un aîné nous raconta du temps où nous étions à Marien Ngouabi comment l’usine de Suco (Sucrerie du Congo) passait durant des mois des communiqués à la radio nationale pour pouvoir recruter. Ce temps est révolu et il appartient bel et bien au paléolithique de l’économie politique du Congo. Aujourd’hui, pour trouver un job qualifié, il faut connaître du monde. Et du monde. Pas un Maniangu. Quand on est un ouvrier, on peut trouver un job mais très souvent mal, mais vraiment mal payé. Juste histoire de dire, J’ai un boulot! et garder un minimum de dignité.
Il existe ça et là quelques ministres, quelques DG qui font l’effort de recruter pour des mois, pour un an, le temps de leurs mandats des cadres qu’ils estiment dignes de confiance et/ou compétents. Vraiment, il y a loin de la coupe aux lèvres. La plupart des témoignages que j’entends ne sont pas des plus rassurants quant à l’avenir de certaines administrations africaines en général et de l’administration congolaise en particulier.
Le gars peaufine son dossier bien comme il faut? De deux choses l’une: soit le ministre s’en fout, même si techniquement et financièrement ça tient la route; soit le ministre valide mais ça cale parce soit l’argentier national dit non sans la moindre justification, soit ce sont les services même de la présidence de la République qui n’en veulent pas. Le cadre a ainsi perdu son temps mais s’il est bien payé et s’il peut bien vivre sa petite (voire sa grande) famille, il la fermera et continuera ainsi, jusqu’à ce que.
La plupart du temps les ministres concernés parlent, pérorent, voyagent à travers le monde entier pour des résultats plus ou moins proches de zéro. Plus proches même je dirai. Et, si c’est bien à la fin de la foire que l’on compte les bouses, nos fameux cadres ont le choix quand le patron qui les a amenés avec lui n’est plus en poste (au mieux) ou n’est plus en odeur de sainteté (au pire), les cadres plient bagage pour… l’Europe ou se mettent alors à gamberger.
Et la presse, et les gouvernements, de recommencer leur antienne selon laquelle les Africains ne veulent pas rentrer en Afrique, préférant contribuer u PIB des nations européennes.
Hélas! on ne peut, on ne sait toujours pas guérir de la schizophrénie.
Obambe NGAKOSSO, February 2016©