« Biya, vite, 2018! » ou la politique du ventre dans toute sa splendeur
Ce matin, j’ai eu un peu de temps avant de me faire une bonne salade, de suivre mes chaînes de télévision africaines. Sur la CRTV, c’était au JT la Fête de la jeunesse.
Excellent !
J’adore ces moments où l’on pense aux jeunes avec ces phrases empreintes du plus beau des lyrismes comme celle-ci, qui est ma préférée : La jeunesse, c’est l’avenir de demain. Oui, car si la jeunesse était l’avenir d’hier, ça risquerait d’être un peu compliqué.
Au Cameroun, heureux hasard, la Fête de la jeunesse correspond à l’anniversaire de son excellence Paul Biya, Premier ministre de 1975 à 1982 et depuis lors, président de la République.
Biya, toujours frais, vient de fêter ses 83 ans. Ce qui n’est pas rien pour un Africain car la moyenne d’âge au sein de notre peuple n’atteint pas un tel sommet. Nous lui souhaitons donc un joyeux anniversaire et souhaitons-lui d’être encore et toujours en vie, d’ici les 83 années à venir.
Associer « jeunesse » à un homme de 83 ans est un signe d’optimisme évident : qui ne souhaiterait pas que ces jeunes gens aient la même longévité et la même qualité de vie que le bien aimé Popaul ?
Les jeunes du Cameroun, enfin, ceux qui ont été montrés à l CRTV ce matin étaient tous heureux, habillés avec des pagnes du parti ou pas. La fête fut belle et c’est vraiment dommage que le concerné n’ait pas été présent dans cette immense salle pour chanter et danser avec les jeunes et, pourquoi pas ?, leur dire un mot. Quand même.
J’ai été par contre intrigué quand j’ai entendu un jeune du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, dont le président national n’est autre que, devinez… ? Paul Biya ! Voilà !) a lancé un appel au toujours jeune Popaul afin qu’il se déclare candidat à la prochaine présidentielle.
C’est beau.
C’est louable.
C’est très patriotique comme attitude.
Qui ne sait pas que Biya sera réélu haut la main président du Pays des crevettes ? Cela ne fait aucun doute et seuls les ennemis du peuple camerounais pourraient imaginer un scénario catastrophe dont on ne mesure même pas l’impact intergalactique. Par contre, je me pose la question de savoir pourquoi cette chose est ainsi précipitée sachant que la prochaine élection présidentielle n’aura lieu que dans deux ans. Soit en 2018 ! Cela fait quand même un sacré bail, non ?
Nous savons tous qu’en politique, plus on donne de la voix, plus on a des chances d’être entendu par le prince gérant la manne nationale et, lors de la distribution des postes après la victoire quasi assurée, on peut avoir le bonheur suprême d’hériter d’un strapontin. Même si c’est pour diriger une coquille vide, il y en a qui sont heureux de se faire appeler « DG ». Même quand c’est pour diriger un ministère qui a autant de valeur qu’un oignon devant un lion extrêmement affamé. Ou, pourquoi pas un pompeux poste de « Conseiller » à la présidence de la République, quand bien même on peut passer tout un mandat de 5 ou de 7 ans sans jamais rencontrer en tête-à-tête ledit président de la République.
Le Cameroun n’est pas le seul dans cette situation même si pour deux ans, je ne trouve point d’équivalent. Au Congo aile droite d’où je tape ces lignes, dans le dernier virage de l’an de grâce deux mil quinze (d’octobre à décembre), alors que le « débat » portait sur le changement ou non de Constitution, il s’est tout de même trouvé quelques esprits fort brillants pour demander à Denis Sassou Nguesso d’annoncer le plus tôt possible sa candidature.
C’est à se demander si vraiment tout le monde fait usage de ce que nous appelons couramment « cerveau ».
Les Français qui se targuent d’être un peuple vivant dans une grande et vieille démocratie (en tout cas leurs élites politiques, intellectuelles, universitaires etc.) sont les premiers à reconnaître que les douze mois qui précèdent la présidentielle (et donc les législatives aussi, puisque depuis 2002 les deux scrutins sont organisés la même année avec quelques semaines d’intervalle) ne servent à rien pour le peuple. Les promesses faites lors de la campagne précédente sont jetées dans les poubelles de l’histoire ou bien passées à la javel puis à la moulinette pour être représentées un tout petit peu différemment. Cette année que nous pouvons appeler an-1 est en fait une période où la majorité en place n’a qu’une obsession qui peut se décliner telle que :
- Le président veut coûte que coûte se faire réélire sinon c’est la fin de son monde.
- Les députés tiennent à conserver leur siège sinon c’est la sinistrose.
On le voit chaque année au Congo. Quand le 15 août approche (« fête de l’indépendance »), il n’y a plus personne dans les administrations. La majorité des ministres ne signe plus un seul document car il faut célébrer « l’indépendance » et quand cette fête a lieu à des dizaines ou à des centaines de kilomètres de la capitale politique, ils y sont tous :
- Ministres ;
- Directeurs de cabinets ;
- Secrétaires généraux de tout ce que l’on veut ;
- Conseillers (du président, des ministres etc.) ;
- DG ;
- DAF ;
- Chefs de services ;
- Chargés de mission.
Bref ! plus personne n’est là pour prendre des décisions, même les plus bénignes puisque tout le monde pense que sa présence à l’endroit de la fête est d’une nécessité vitale pour la survie de l’humanité.
En année préélectorale, les grandes décisions (en tout cas positives) ne sont plus prises. On dépense de l’argent sans compter pour gagner de la clientèle électorale. On n’a plus le temps de débattre sérieusement au Parlement car on pare au plus pressé.
Demander à un président de se déclarer candidat 2 ans avant la date des élections, même 9 mois avant, c’est tout simplement irresponsable.
Ah ! la politique du ventre…
Obambe NGAKOSO, February 2016©