Cheikh Anta Diop et les savants de bonne foi
L’expression « savant de bonne foi », je l’ai lue pour la première fois sous la plume de Cheikh Anta Diop. Je n’en avais tout simplement jamais entendu parler. Certes, avec son disciple Théophile Mwene Nzale Obenga, j’avais pris l’habitude d’apprendre et de comprendre que la plupart des chercheurs occidentaux, ou prétendus tels, dont l’Afrique était le domaine d’études, étaient aussi honnêtes qu’un arracheur de dents muni d’une pince par doigt.
Certes.
Mais lire, savant de bonne foi, ça m’avait perturbé.
Où donc ce Wolof était-il allé dénicher cela ?
Dans les milieux afrocentriques et Panafricanistes, il y en a qui ignorent qu’une partie de la formation de Diop s’est déroulée en Europe. Que pouvaient-ils trouver comme documents de travail, si ce n’est des ouvrages écrits essentiellement par des Européens ? Nous le savons aujourd’hui : la plus grande partie de ces ouvrages a été écrite par des escrocs, des falsificateurs de l’histoire, par des experts en travestissements de la vérité. Des gens qui, ayant appris qu’ils devaient tout, mais vraiment tout à l’Egypte, ont d’abord eu mal au cœur et ensuite dans tout leur être. L’étape suivante consistera donc en le travestissement permanent de la vérité.
Des années durant, se basant d’une part sur le travail de quelques Occidentaux qui ont reconnu que l’Egypte antique était Nègre et non pas Blanche et d’autre part sur ses propres recherches, Diop fera alors le distinguo entre ce qu’il appellera les savants de bonne foi et les falsificateurs.
Lisons-le dans Nation Nègre et Culture :
« (…) au moment où l’impérialisme atteint son apogée, dans les temps modernes, en tout cas au 19ème siècle, l’Occident découvre que c’est l’Égypte et une Égypte noire qui a apporté tous les éléments de la civilisation à l’Europe, et cette vérité il n’était pas possible de l’exprimer, voilà la réalité. L’Occident, qui se croyait chargé d’une mission civilisatrice en direction de l’Afrique découvre, en fouillant dans le passé, que c’est précisément cette Afrique Noire, aujourd’hui son esclave, cette Afrique Noire apparemment en régression, c’est bel et bien cette Afrique noire qui lui a donné tous les éléments de la civilisation aussi extraordinaire que cela puisse paraître. Et cette vérité, tous les savants n’étaient pas également disposés à l’exprimer sans nuances. Donc la communauté des savants s’est scindée en deux groupes : (…) les savants de bonne foi qui ont eu le courage de regarder la vérité en face, Volney faisait partie de ces savants (…) et toute la lignée presque des égyptologues qui ont falsifié l’histoire de l’humanité de générations en générations et qui ont commis un crime le plus grave contre la science et l’humanité. Au sein de ces égyptologues aussi, il y a eu une tendance beaucoup plus modérée qui a essayé d’exprimer une vérité plus ou moins fardée … (…) C’est de falsifications en falsifications qu’on en est arrivé à dire que l’Égypte était un accident en Afrique, et que quand on parle de l’Égypte, on parle de l’Orient. L’Égypte ce n’est pas l’Orient, c’est l’Afrique ! L’Orientalisme est une frustration, c’est une falsification. »
La vérité n’a pas de couleur. Comme la science. Diop l’avait compris et il est allé la chercher partout où il a pu la trouver, sans le moindre a priori car la science et les a priori, et les préjugés, et les présupposés, ça fait difficilement bon ménage.