Emigration des cadres: la prochaine fois le feu?
L’homme a quarante ans.
C’est un technicien formé localement.
Je ne sais pas combien il gagne mais je sais qu’il vit maritalement et a deux enfants : deux petites filles. Il est toujours souriant, ce qui fera encore dire à certains que malgré nos soucis, nous, les « Blacks » on a toujours le sourire.
Possible !
Il sait des choses sur moi, bien plus que je n’en sais sur lui. Il ne comprend pas ce que je fais ici, au Congo, moi qui, selon ses dires, avait déjà eu la « chance de quitter cet enfer appelé Congo-Brazzaville ».
Je suis là en vacances ? Je suis revenu me réinstaller ? Je fais du bizness ? Il aimerait savoir mais surtout comprendre car pour lui, impossible pour un Congolais de faire du bizness dans ce pays « maudit ».
Je lui dis que je ne crois pas qu’un pays puisse être maudit. Il dit le contraire et se met à me citer tous les malheurs de notre enclos colonial.
Ail obtiendra des diplômes supérieurs ne lui donnant, hélas ! aucune possibilité d’avoir un job. « Trop généraliste ! » lui répondra-t-on partout où il ira et, il faut reconnaître qu’il y a de quoi.
Que faire avec une maîtrise maths ici à part donner des cours dans des écoles privées, sans rêver de d’en vivre décemment ? La Fonction publique ? Il n’a jamais eu en mains les sommes demandées pour y être intégré. Un coup c’était 50.000 francs coloniaux. Un autre coup 100.000. Quand par bonheur, il réussissait à amasser une fortune estimée par exemple à 200.000 francs coloniaux, il avait le malheur d’apprendre que la mise était passée à 250.000 ou 300.000 francs coloniaux. Trop cher pour lui car fils de prolétaires, il a dû consentir des sacrifices immenses pour avoir cet argent, sans compter les humiliations de toutes sortes face à des parents qui roulent plus ou moins sur l’or mais qui soit n’ont que faire de ce genre de préoccupations soit qui en ont marre d’être sollicités de minuit une seconde à minuit.
Il finira donc par trouver un job de technicien dans une boîte privée ce qui lui permettra de mener une vie digne : payer son loyer, payer ses factures d’énergie même si dans son quartier, l’eau est aussi présente que des poils sur un œuf. Sans parler de l’électricité qui vient quand personne, mais plus personne ne l’attend. Il arrive aussi à se nourrir même si, son tour venu, il faut faire face aux responsabilités face aux frères, sœurs, neveux, nièces etc.
Pour lui, il ne fait aucun doute qu’il lui faudra quitter cet enfer dans lequel il estime ne pas vivre mais juste vivoter. Il évoque sans cesse ces « amis » avec qui nous étions à la fac, qui étaient nuls mais qui avaient pu quitter le Congo assez tôt pour aller se chercher ailleurs. Il pense à celles et ceux qui ont la chance d’intégrer la Fonction publique ou encore de trouver un job bien payé dans le privé, qui roulent alors en 4*4 pendant que lui marche une bonne heure pour quitter son chez lui et arriver au job ; lui qui paie parfois 600 francs coloniaux pour rentrer chez lui.
Il me bombarde alors de questions sur l’ailleurs et moi, je joue la carte de la franchise en lui disant ce que je sais, ce que je vis et je ne lui vends surtout ni l’enfer ni le paradis car cela me répugne.
Il finit par lâcher : « Je suis prêt à donner tout, mais vraiment tout pour quitter ce maudit pays ! Je n’en peux plus ! »
En l’entendant lâcher ces mots, je me dis que s’il avait lui aussi une bombe, il n’hésiterait pas soit à la faire exploser quelque part soit à la poser et à demander un emploi bien rémunéré. Juste un emploi bien rémunéré.
Cet homme de 40 ans, jeune pour certains, vieux pour d’autres, il y en a hélas ! des millions sur notre continent. Chaque année, des infirmières ghanéennes sont recrutées par des établissements de santé britanniques pour aller exercer, moyennant une meilleure rémunération en Ecosse, en Angleterre etc. Ceci pour pallier le manque de personnels soignants au pays de Sa très gracieuse Majesté, Elisabeth II.
Un article du Figaro (23/07/2013) évoquait les besoins de l’Allemagne en main d’œuvre : l’Afrique était également dans le viseur, et pas que pour des ouvriers…
Des universitaires africains sont pillés (il n’y a pas d’autres mots) par des établissements supérieures occidentaux chaque jour. Le Kenya ne cesse de voir ses meilleurs économistes s’en aller ; des étudiants africains en philosophie se retrouvent du jour au lendemain privés de leurs profs qui s’en vont aux USA, en Angleterre etc.
Au vu et au su de tous nos gouvernements qui n’initient absolument rien pour enrayer cette machine infernale.
Comment peut-on former autant de gens et les laisser au bord de la route ? Comment peut-on passer son temps à admirer les performances des universités des autres ? Comment peut-on passer son temps à admirer les systèmes de santé des autres et à abandonner les nôtres ?
L’égoïsme et l’incompétence des nôtres atteint les limites du supportable.
William Baldwin avait dit, La prochaine fois le feu. Je ne sais pas quand sera cette prochaine fois, mais franchement, les Africains ont intérêt à se réveiller.
Obambe NGAKOSO, December 2015©