Il y a trente ans, le 11 novembre 1985…
Comme le temps passe !
Il y a des dates comme cela que l’on ne peut, que l’on ne saurait oublier.
Nous étions des jeunes mais ça, ça reste gravé dans nos mémoires. Des amis, des camarades de classe et moi aurions pu perdre la vie.
Je me souviens de mon pater, rentrant du boulot avec sa tenue militaire : chemise kaki, pantalon kaki aussi mais sans les galons ni son béret qu’il avait soigneusement cachés… Or, la tenue officielle des lycéens, mâles, au Congo, dans le public, c’est chemise et pantalon… kaki !
Il savait très bien qu’en voiture comme à pieds, partir de l’hôpital militaire jusqu’à Ouenzé, où nous demeurions, il aurait risqué sa vie car les lycéens et les étudiants étaient chauds comme la braise : on se serait très bien occupés de lui !
En le voyant rentré à la maison, ce jour-là, je me suis dit que j’avais en face de moi le lycéen le plus âgé du Congo.
Pourquoi cette date ?
C’est à cette période que le gouvernement congolais, se soumettant aux desiderata des IFI (Institutions financières internationales), notamment le FMI (Fonds de la misère instantanée) qui, pressant nos gouvernements et nos gouvernants comme des citrons, exigeaient pêle-mêle :
- L’arrêt des recrutements dans la Fonction publique ;
- De ne plus investir dans le social, la santé et l’éducation ;
- De privatiser à tout-va les entreprises publiques et para-étatiques.
Le chapelet de mesures était bien entendu plus long que ça, mais je m’en tiens là. Les pauvres élèves et étudiants congolais aussi seront victimes des ciseaux du FMI, appliquées par le gouvernement. Et, la mesure qui mettra le feu aux poudres sera celle concernant le droit à la bourse d’études, après le bac. Jusque-là, c’était automatique mais, dorénavant, il faudra passer par un concours pour y avoir droit. Qui dit concours, dit obligatoirement tri, sélection. Pourquoi ? Cela, le gouvernement ne le dira point.
Recevant une délégation de jeunes congolais, celui qui était membre du gouvernement à cette époque, un certain Gabriel Oba-Apounou (il est depuis des années sénateur du même parti au pouvoir, le PCT) de leur dire, sans doute après avoir perdu ses esprits : « De toutes les façons, vous n’êtes pas Suco qui nous produit du ciment et Siacic qui nous produit du sucre ! »
Cette rencontre fut assez cocasse et le pauvre Oba-Apounou devint un certain temps une des risées de notre enclos colonial car dans sa précipitation et dans sa colère, il avait inversé les choses : Suco était une entreprise sucrière et Siacic, une fabrique de ciments…
Devant l’intransigeance du gouvernement, des jeunes congolais vont se lancer dans des opérations de violence en s’en prenant par exemple à des voitures officielles (les fameuses voitures noires). Des magasins seront pillées et je me souviens même d’un ami passant devant notre maison avec un pied (droit !) d’une claquette, chaussure qui avait un certain succès à cette époque.
Voyant que les jeunes étaient sérieux et qu’ils étaient prêts à donner leurs vies pour cette cause d’autant que malgré des arrestations, des interpellations et autres tortures, ils ne cédaient pas. Ce projet sera retiré et les cours reprenaient normalement.
Quand je pense à ces choses, je ne peux que remercier nos frères qui avaient pris leur courage à deux mains pour que nous soyons dignes plus tard. Ces courageux anonymes ont donné leurs vies, ils ont payé très cher pour leur bien-être certes, mais pas que. Ils se sont battus pour le collectif, pour la collectivité et c’est ce qu’il faut le plus retenir. Ce sont toutes ces rivières qui ont irrigué pour que nous entrions dans le fleuve de la liberté qui n’est pas de tout repos tous les jours. Il n’est qu’à voir comment ces mêmes libertés sont bafouées selon les cas au quotidien ou de temps en temps. C’est à ces gens, ces héros anonymes, que nous devons tous nos acquis de la suite. Certains ne se rendent même pas compte de ce que nous avons pu réaliser en termes de libertés depuis trente ans. Ce n’est certes pas la félicité et je suis bien conscient que le nirvana ce n’est pas pour demain, mais franchement, ce n’est déjà pas si mal.
L’Afrique vaincra !
Obambe NGAKOSO, November 2015©