Violence en Afrique du Sud? Regardons les cadres de l’ANC!
J’aurais pu faire ce billet rien que sur la base de citations. Tenez, je vais commencer par Frederick Douglass, un des plus Kamit que notre monde ait connus.
Citons-le : “Education means emancipation. It means light and liberty. It means the uplifting of the soul of man into the glorious light of truth, the light by which men can only be made free.”*
Je ne sais pas si, depuis qu’il a quitté la terre des Hommes (7 février 1986), Cheikh Anta Diop a déjà croisé la route de son devancier F. Douglass. Je suis persuadé que si cela a déjà été fait, ils ont dû évoquer les questions liées à l’Education et l’oppression dont sont victimes les Kamit depuis les invasions barbares d’il y a quelques siècles. Citons Diop : Tout ce qui précède nous montre l’inanité de nos préjugés ethniques : le brassage des peuples africains est une réalité objective très ancienne. Les murs que nous dressons entre les autres Africains et nous-mêmes ne symbolisent que l’épaisseur de notre méconnaissance du passé ethnique africain. Une étude comme celle-ci, tout en illustrant une méthode propre à l’histoire africaine, doit aider à détruire, sans quitter le terrain scientifique, les barrières psychologiques que l’ignorance édifie dans notre conscience et à mettre en oeuvre une action unitaire dynamique à l’échelle du continent.**
Ces deux auteurs, brillants parmi tant d’autres, qui ont lutté leurs vies durant, afin que les Africains vivent dignement, donc en passant par la reconquête de leur liberté, devraient être enseignés, très vite, en Afrique du Sud. Je ne dis pas qu’après cela, les violences auxquelles nous assistons depuis quelques jours, qui ne sont qu’une répétition de ce qui s’est déjà il y a quelques années (envers les Africains de la RDC, du Zimbabwé et du Mozambique, pour ne citer que ceux-là) vont cesser. Non, non et non. Néanmoins, on aurait un mieux. Un grand mieux au moins.
Je me souviens que lorsque nous étions à l’école primaire, au Congo, on nous demandait, sur la base du volontariat de faire des dons pour nos frères et sœurs d’Afrique du Sud et de Namibie qui n’avaient pas de stylos, pas de crayons, pas d’ardoise, pas de cahiers pour étudier. Nous donnions même parfois des boîtes de sardines car on nous disait aussi qu’ils avaient du mal à se nourrir à leur faim. Quand je parle de volontariat, c’est une façon de parler car il y avait des moments où nos dirigeants d’école surgissaient pour nous obliger à donner même si certains d’entre nous n’avaient rien à donner.
Je viens de lire cette semaine sur un réseau social qu’au Bénin aussi, cette pratique a eu cours.
Á côté de ça, un pays comme la Tanzanie, jadis dirigé par un des plus grands hommes que notre monde ait connu, le Mwalimu Julius Kabarange Nyerere, offrit de la logistique et des terres pour que les combattants sud-africains de la liberté, en butte au régime de l’apartheid puissent se préparer au mieux pour mener toutes les actions de guérilla et de libération possible. L’Ethiopie accorda à Mandela himself un passeport pour qu’il puisse voyager librement. L’Algérie offrit la possibilité de s’entraîner au même Mandela quand l’Occident soutenait ardemment (même en faisant semblant par le biais de sanctions économiques) la même Afrique du Sud. Thomas Sankara aussi offrit des armes aux combattants de l’ANC afin qu’ils gagnent la guerre face à l’apartheid.
Ces quelques éléments (il y en a bien plus, vous imaginez bien) que je viens de citer, combien de Sud-Africains, qui s’adonnent à la chasse aux Noirs (es) – donc à eux et elles-mêmes – le savent ? Lorsque les Africains prennent conscience de leurs origines égyptiennes, nubiennes, ils se doivent de ne jamais oublier que l’Homme est apparu dans la région des Grands Lacs. Eux-mêmes, nos ancêtres, les Egyptiens anciens le disaient. Je ne crois pas un seul instant qu’ils auraient pu, en leur temps, s’en prendre physiquement à des gens venus de là où venaient leurs ancêtres.
Notre grand problème est l’absence de conscience historique, conséquence la plus directe et la plus violente de notre aliénation culturelle. Quand un Africain appelle un autre Africain « étranger », la coupe est pleine et le fleuve sort de son lit, emportant tout sur son passage. Tout, mais vraiment. le torrent et le courant sont d’une violence telle qu’on cherche alors des « médiateurs internationaux » ; des ONG, des « aides internationales » pour colmater les brèches et, soi-disant, refaire les choses en disant, « Plus jamais ça ! »
Je sais que je choque particulièrement les gens en le disant, mais je n’en pas particulièrement à ceux et celles qui perpètrent ces actes de violences. Même si je crois très fort au principe de la responsabilité individuelle, je sais aussi combien les Hommes, souvent fâchés avec l’histoire, font tout et n’importe quo envers leurs semblables.
Lors d’une conférence tenue à Paris, en 2006, le professeur Obenga expliquait qu’à la sortie de prison de Madiba Mandela, ils (des intellectuels, des universitaires africains) s’attendaient à ce que Mandela leur confie des missions, pour le continent. Ces missions ne viendront jamais.
La lecture de l’autobiographie de Mandela (« Un long chemin vers la liberté ») m’a fait comprendre que cet homme, en sortant de prison, n’aspirait à une chose ;: se reposer, jouir de la vie après tant de décennies, toute une vie, de sacrifices. Il avait sacrifié sa famille, il avait sacrifié sa vie de couple, il avait tout sacrifié. L’ANC et ses cadres, à mon sens, en l’obligeant à se présenter coûte que coûte à la présidentielle de 1994, ont raté à mon avis (très humble, je précise) un tournant historique. L’Afrique toute entière le paie aujourd’hui. Et je ne sais pas combien de temps encore, on le paiera.
Thabo Mbeki fait partie des cadres historiques de l’ANC, on va dire, de la génération qui suit celle des Mandela et de son propre père, Govan Mbeki). Chaque fois qu’il y a des violences envers les Africains dits « étrangers » en Afrique du Sud, entend-on sa voix ? Et Jacob Zuma, actuel chef d’Etat ? Il a le même âge que Mbeki. Il a été son vice-président. Ils ont fait de la prison ensemble, dans la même cellule. Il vient certes de faire une déclaration, mais franchement, on l’attendait plus tôt et même plus souvent, nous aimerions entendre sa voix dès que le moindre Africain est touché.
L’Education dont on parle tant, doit insister sur notre histoire :
- Qui sommes-nous ?
- D’où venons-nous ?*
- Par quels canaux sommes-nous arrivés là où nous sommes aujourd’hui ?
- Où allons-nous ?
- Où voulons-nous aller ?
- Avec quels moyens ?
- Avec quels projets ?
Si nos partis politiques ne sont pas capables de travailler sur ces questions et de proposer des idées au peuple africain, demain, la moindre contrée prétendument prospère, sur notre continent, connaîtra les mêmes violences que ce qui se passe actuellement en Azanie. Ce sont des faits et je ne fais aucune prophétie. C’est l’histoire qui nous l’enseigne.
La responsabilité du roi des Zulu, Goodwill Zwelithini, le mal prénommé est aussi engagée. Même si ce n’est pas la première fois (on l’a dit plus haut) que des Sud-Africains se comportent de la sorte, il n’en demeure pas moins que ses propos ont cette fois bel et bien mis le feu aux poudres. On ne saurait être plus maladroit et cela doit servir d’exemple, à ne surtout pas suivre, à tous ces Africains qui ne jurent que par les royaumes en lieu et place de toutes les républiques que nous avons. Même s’il a corrigé ou essayé de corriger son propos, le mal a été fait et des innocents ont péri en partie par sa faute. Il devrait lui aussi être jugé pour cela.
J’en reviens et j’insisterai sans cesse sur l’ANC qui, à mes yeux, est devenu un parti bourgeois. L’ANC, qui est un regroupement de partis et de syndicats qui ont lutté pour l’émancipation des Noirs donne souvent l’impression d’avoir baissé les bras sur certaines de leurs revendications. La question du pouvoir économique n’a pas été clairement posée ou plutôt très mal posée. Même un homme comme Mbeki, qui a axé la question de la Renaissance africaine sous l’angle économique (et non pas ailleurs, politique ou spirituelle par exemple), n’a pas eu le courage de faire la réforme agraire nécessaire dans un Etat comme l’Afrique du Sud. Les mêmes qui avaient volé les terres sont demeurés les « propriétaires » de ces terres tandis que les natifs ont toujours leurs vides et, pour certains qui trouvent des jobs, à peine de quoi survivre. Le BEE (Black Economic Empowerment) a fait ses preuves : trop court. Ce que les envahisseurs ont fait, des siècles durant, ne peut disparaître juste parce que l’ANC a pris le pouvoir. Non. Non et encore non !
Cette question doit être prise à bras-le-corps et, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, il n’y a pas que l’Afrique du Sud qui est dans ce cas de figure. La Namibie y est encore plus engluée. Le pouvoir économique y st entre les mains des oppresseurs d’hier.
Un parti, qu’il soit au pouvoir u dans l’opposition, se doit de former. Former ses militants. Former le peuple. Le retard avec lequel les autorités politiques sud-africaines ont réagi est un signe qui ne devrait pas tromper. Ils n’ont pas grand-chose à faire que des Africains soient tués ou pas, par des Sud-Africains. Quand on est réellement un combattant pour la liberté, on l’est à vie. On ne peut l’être une partie de son temps et ensuite plus ou moins encourager tout ce que l’on a encouragé. C’est impossible. Cela revient simplement à dire que l’on a trompé son monde. Ce n’est pas possible autrement.
La vérité, comme les faits, ça ne ment pas. Beaucoup prétendent faire la lutte des classes mais en réalité, ce sont les places qu’ils visent. Rien de plus.
Les cadres de l’ANC sont à un tournant (encore un !) de leur parcours politique. Ou ils prennent leurs responsabilités et ils recommenceront alors à accomplir leur mission historique, celle des pères fondateurs. Ou bien ils continueront à se vautrer dans leurs moelleux fauteuils et demain, e feu sera sans doute pire que ce qui se passe en ce moment.
Je terminerai par un de mes credo : aucun fils de Kama ne saurait être étranger en terre de Kama. Point. Ceux qui ne le pensent pas me trouveront toujours là pour le leur répéter.
Obambe NGAKOSO, April 2015©
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* : Discours, 1894
** : « Pour une méthodologique de l’étude des migrations des peuples en Afrique subsaharienne » in « Ankh » n°4/5