L’ANC et Jacob Zuma, de la lutte des classes à la lutte des places
A l’occasion d’une conférence donnée par le professeur Théophile Mwené Nzalé Obenga à Paris il y a quelques années, il avait ouvert une parenthèse sur Nelson Mandela (1918-2013).
Je reprends ses mots, de mémoire : « Quand Mandela est sorti de prison, nous pensions qu’il allait nous confier des missions. »
Les missions ne sont jamais venues. Les penseurs et autres universitaires, à même d’impulser plus de choses encore que ce qu’ils avaient faits jusque là.
Cette parenthèse est révélatrice de ce que l’ANC (African National Congress) est devenue en accédant au pouvoir en 1994, raflant tout au passage, lors des élections générales libres, pour la première fois organisée au sein de ce qu’il est convenu d’appeler depuis lors la « Nation Arc-en-ciel ».
L’impression qui se dégage c’est que l’ANC en fait, en tout cas une partie de ses dirigeants de premier niveau s’est embourgeoisée à tel point que l’impression qui se dégage est qu’il s’est terriblement éloigné de la plèbe. Une plèbe pour laquelle cette grande organisation, regroupement de partis, de syndicats et autres associations a combattu de 1912 (année de sa création) à 1994.
En parlant de l’ANC, on a tendance à oublier qu’il y a le mot « Africain » dedans. Les mots ont un sens et nous ne devrions pas les perdre de vue. Quand l’ANC était en butte contre les envahisseurs venus de France, des Pays-Bas, d’Allemagne et du Royaume Uni, une bonne partie des dirigeants africains a apporté sa quote-part à cette lutte. Des camps d’entraînement ont été mis à la disposition des militants de l’ANC ; des documents de voyage aussi ; des armes etc. Les dirigeants de la Ligne de front, s’ils nous avaient légué des mémoires, on les enseignerait partout sur notre terre pour que les gens sachent ce qu’était réellement l’apartheid et combien eux, ils ont payé pour le prix de notre liberté.
Avec le recul, surtout après lu la biographie de Madiba Mandela himself (Un long chemin vers la liberté), j’avais compris qu’il n’y avait en fait plus grand-chose à attendre sur le plan politique sud-africain en particulier et continental en général de cet homme vieux, fatigué qui avait tant donné et qui visiblement, n’aspirait plus qu’à se reposer et à profiter du soir de sa vie en attendant le voyage au pays des ancêtres. Ses camarades de lutte lui avaient forcé la main afin qu’il accepte d’être le candidat à la présidentielle de 1994. En 5 ans de pouvoir, il a plus un rôle de représentation qu’autre chose, l’exercice réelle du pouvoir étant entre les mains de Thabo Mvuyelwa Mbeki, son vice-président. Ce dernier, diplômé de l’Université du Sussex (Grande-Bretagne), tout en ne dérogeant pas à son militantisme a plus orienté ses années de pouvoir vers la Renaissance Africaine sur le plan économique. Il est persuadé que c’est cet aspect des choses qui permettra à l’Africain de renaître. Ce qui est fort dommage car il avait la carrure, le poids nécessaire pour impulser les choses à l’échelle continentale pour que le politique prime sur l’économique.
Vice-président 5 ans durant, président 9 ans durant, il a plus bossé l’économie, hélas ! avec une vision libérale des choses, ce qui allait en contradiction avec la vision même de l’ANC. Oui, je me souviens de l’implication du président Mbeki à la tête de l’Afrique du Sud pour aider la RDC à retrouver la paix. Je me souviens aussi que cet homme fut le seul à avoir été présent, parmi tous les chefs d’Etat africain, en janvier 2004, en Ayiti, pour le bicentenaire de l’indépendance et de la fête de l’éclatante victoire des troupes de Toussaint Louverture sur celles de Napoléon Bonaparte. Il a fait montre ça et là de temps en temps de volontarisme à l’échelle continentale, sur le plan politique, mais son obsession économique l’a emporté sur le reste.
Son successeur est, à mon humble avis, engagé sur une pente plus dangereuse encore. Si Mbeki s’est impliqué personnellement, au nom du continent, pour que la paix revienne dans une Côte d’Ivoire agressée par la France, Jacob Gedleyihlekisa Zuma a étrangement était aux abonnés absents lorsque le pays dit des droits de l’homme s’est mis à pilonner des jours durant le palais présidentiel ivoirien. A défaut peut-être d’envoyer une troupe défendre le peuple ivoirien, Zuma aurait pu faire entendre sa voix, celle de l’Afrique du Sud, qu’il dirige depuis mais 2009. On a attendu, on n’a rien entendu, on n’a rien vu.
Oui, l’ANC, Zuma y compris, s’est embourgeoisé à un point que pour qui connaît même un bout de l’histoire de cette grande organisation, dont le premier président fut John Dube, a du mal à les reconnaître. Aujourd’hui, jeudi 12 février 2015, le président Zuma va s’adresser au Parlement sud-africain, conformément à la Constitution. Il a toutes les chances d’être chahuté car il vient encore d’aggraver son cas avec l’affaire des 17 millions d’€. En effet, il a été révélé l’an dernier que l’équivalent de cette somme d’argent, public, a été dépensé pour financer la résidence privée de Zuma.
On ne peut qu’être consterné de voir des choses pareilles : cet argent étant public, il ne saurait servir à un usage privé. Point. On est là dans ce que l’on déteste le plus dans le cadre de la gestion des deniers publics. Comment l’ANC a pu en arriver là ? Quand cette question fut évoquée l’an dernier au Parlement, le gouvernement a répondu par la force, en mettant les élus de la nation dehors. J’espère qu’aujourd’hui encore, la fronde interne et l’opposition politique remettront cette question sur le tapis.
Zuma qui avait fait partir pour les raisons que l’on sait et par les moyens que l’on sait aussi, Mbeki, s’il avait une once de conscience en ce moment, devrait rendre son tablier et ensuite rembourser les sous.
Pauvre ANC.
Pauvres de nous !
Obambe NGAKOSO, February 2015©
- Que
Frère.
Dans votre analyse vous ne pointez pas du doigt la responsabilité de nos frères noirs.
Voilà un peuple qui a lutté pour sa libération et une fois libre, ne sait pas quoi faire de sa liberté.
La faute à la naïveté du noir.
Qui a maintenu Zuma à la tête de l’ANC donc de facto président de l’Afrique du Sud, alors qu’une commission l’a reconnu coupable de corruption? Nos frères noirs…
À croire que sur 40 millions de noirs, personne ne peut remplacer ce Zuma… Embourgeoisé, et qui semble soumettre son pays à la Chine, au lieu d’être à l’avant-garde du panafricanisme prôné par son parti en formant un couple fort de traction avec le Nigeria et non pas de se lancer dans une concurrence suicidaire avec le Nigeria.
Le problème économique n’est pas d’ordre libérale ou pas libérale, à mon sens, mais d’absence d’un pouvoir économique noir.
L’économie de ce pays reste aux mains des blancs…
Sans pouvoir économique, le pouvoir politique est fragile. Sans décision politique volontaire, la liberté est illusoire.