Un nouveau Premier Ministre au Mali: et Kidal dans tout ça?
Ibrahim Boubacar K. (alias IBK), président de la République du Mali, ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale vient d’accorder son congé à Moussa Mara, Premier ministre (PM) le temps d’une gestation humaine (9 avril 2014-9 janvier 2015).
Ce dernier avait remplacé Oumar Tatam Ly (PM du 5 septembre 2013-9 avril 2014).
Le nouveau locataire de la primature, Modibo Keïta est un vieux routier de la politique malienne. Âgé de 72 ans, il avait déjà occupé ce poste de PM du 18 mars 2002 au… 9 juin 2002, soit une longue période de… 2 mois et de 22 jours !
Je pense sincèrement que cela ne fait pas sérieux. Elu par une majorité de Maliens en 2013, IBK, comme on l’appelle familièrement en est à son troisième PM alors qu’il n’a même pas un an et demi de pouvoir, pour un mandat de 5 ans. J’ai déjà eu l’occasion d dire ici tout le bien que je pense de cet homme et je le répète : il n’est pas l’homme de la situation et je crains qu’à la fin de son mandat, en 2018, les Maliens aient l’impression qu’il n’aura servi en fait à rien, si ce n’est à aller défiler à Paris, jouant les Charlie, alors que ses compatriotes africains sont tués tous les jours au Mali, au Nigeria, au Cameroun et RDC (pour ne citer que ces 4 contrées).
Moussa Mara est un homme jeune (né en 1975) et pour la politique, bien qu’il connaisse déjà les arcanes locales, on peut malgré tout le considérer comme un benjamin. Son prédécesseur est plus jeune d’à peine plus de dix ans (né en 1963). Visiblement, sans avoir des détails pointus sur leurs bilans*, ils n’ont pas eu l’heur d’atteindre les objectifs fixés par leur patron, IBK. Les Africains qui croient qu’il suffit d’être jeune pour bien travailler feraient mieux de formater le disque dur de leurs convictions, sur ce plan. S’il suffisait d’être jeune pour bien travailler, cela se saurait il y a bien longtemps. Le fait qu’on ait nommé pour succéder à Mara un homme qui pourrait être son grand-père ne change rien à la donne, selon ma modeste vision des choses. Cet homme a suivi de bout en bout les négociations avec les bandits du Nord-Mali et, selon toutes les informations dont nous disposons, on a l’impression que la terre du Mandé est plus en train d’être bradé qu’autre chose. La devise du Mali est, Un peuple, Un but, Une foi**. Si jamais les choses se déroulent comme les bandits le souhaitent, je crains que le peu de foi que les Maliens ont encore dans leurs politiques ne s’en aille avec l’harmattan. Là aussi, pour celles et ceux qui croient que vieux = sage, il est temps de revoir les logiciels de pensées…
Ces trois hommes, pour finir avec eux sont diplômés du supérieur. Mara est un expert-comptable et Ly est économiste et Modibo Keïta est diplômé de lettres modernes. Leurs diplômes, visiblement, n’ont pas pesé lourd lorsqu’il a fallu travailler… Amis souffrant de la diplomite aiguë, je nous invite à mieux affuter nos armes à ce sujet.
Cette calamité – je n’appelle pas ça autrement – est à mon avis d’abord et avant due à une crise de système. Les élites politiques des pays soi-disant francophones ont eu l’idée du siècle, depuis des décennies (pour certains depuis 1960) de mettre en place un système politique avec un PM soi-disant « responsable devant le Parlement ». Un PM « issu de la majorité parlementaire ». un PM « nommé par le président de la République ». Ce mimétisme nous coûte cher et il serait temps que nos juristes, nos politologues, nos spécialistes et autres experts se penchent sur cette question pour en faire le bilan et pour proposer par la suite d’autres voies, d’autres pistes car nous ne pouvons continuer ainsi. Dans une République avec un président élu*** au suffrage universel direct, détenant la réalité du pouvoir et quasiment roi, faisant et défaisant ce qu’il veut, habillant et déshabillant qui il veut aussi, le PM en réalité ne sert strictement à rien, sinon à gaspiller les maigres deniers publics dont nous disposons. Le PM est alors un fusible qui saute dès que le président de la République se sent mal : la moindre douleur à un orteil le pousse à congédier son PM et au Mali on le vit et le voit très bien. D’ici 2018, combien de PM auront été grillés, consommés ? Un chef de l’Etat, qui nomme son gouvernement, qui est responsable devant le Parlement (chambre unique, s’il vous plaît) me paraît être plus intéressant. S’il n’est pas bon, il rend son tablier, son cabinet y compris et on retourne aux urnes. S’il a un ou cinq ministres incompétents, il les congédie et on passe à autre chose. A partir du moment où des gens sont intimement persuadés que tout ce que fait Paris est bon, comment s’étonner de tous ces désastres ?
Les Maliens pourront congédier IBK en 2018. Ce dernier pourra changement de PM tous les 2 mois et 22 jours, cela ne changera rien, fondamentalement, à la situation dramatique que vit ce digne peuple. C’est tout le système qu’il faut revoir et cela ne peut passer que par une Révolution. De palais ou de je ne sais quoi, le système malien (très commun à une bonne partie du continent) est inadapté à nos réalités et nous baignons dans cette illusion nauséabonde de croire qu’il suffit de gagdets comme la « bonne gouvernance », l’éradication « de la corruption » et je ne sais quelles autres billevesées pour que nous soyons heureux. Si la corruption pouvait être éradiquée dans le monde, il y a longtemps que les ânes seraient en train de voler tous les jours.
Le Mali est attaqué au Nord par qui nous savons et on nous embrouille avec un Nègre en chapeau à Paris, des changements de PM.
Si IBK avait dit la vérité au peuple du Mandé, on n’en serait pas là. Cette vérité porte sur des mots et des phrases simples qui ne demandent aucune agrégation de lettres modernes (ou anciennes) : Le pays est attaqué mais nous n’avons pas les moyens de nous défendre : donnons-nous les moyens de défendre notre pays. Quel Malien n’aurait pas été sensible à ce discours ? Quel Malien ne serait pas prêt à fermer sa boutique, à chercher une arme pour aller défendre sa terre ?
Quand on prend ses ordres ailleurs, il est extrêmement difficile de travailler pour son peuple.
Le nouveau numéro (6) de notre magazine Panafrikan vient de paraître et, sous la plume de notre collaborateur et camarade, Aménophis Issiaka Traoré****, vous pourrez appréciez un excellent article sur l’enjeu de Kidal. Lisez-le, et vous ne serez pas déçus. Le lien, ici.
Obambe NGAKOSO, January 2015
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*: Rigoureusement, quel bilan peut-on avoir en tant que PM en neuf mois maximum?
** : Comme au Sénégal
*** : Bien ou mal élu, peu importe
**** : Il assume également la fonction de Coordonnateur de la Section Territoriale Mali de la LP-UMOJA