Eduardo Mondlane, une vie pour le Moçambique
Eduardo Mondlane.
Plus exactement Eduardo Chivambo Mondlane.
Voilà un nom pour lequel j’ai le plus grand respect en ce bas-monde, tant cet homme avait compris et avait donné de sa personne pour que son peuple soit libre.
En ce vingtième siècle débutant, dans combien d’écoles africaines des noms comme celui-ci sont encore enseignés ? Des années 60 aux années 80, les pages des enfants du primaire au Congo-Populaire étaient pleines de leurs noms et ce n’est pas pour rien que des lycées, collèges et écoles primaires portaient les noms de Kwamé Nkrumah, Patrice Emery Lumumba par exemple. Le lycée Thomas Sankara existe encore et je suis fier chaque fois que je passe devant d’autant que c’est non loin des maisons de mes parents.
Malheur à ceux et celles qui ne célèbrent pas leurs héros et qui foulent aux pieds les noms de leurs ancêtres.
C’est le 20 juin 1920, à Nwajahani, district de Mandlakazi, province de Gaza, dans le Sud du Moçambique, appelé à l’époque, Afrique de l’Est portugaise. Il est le quatrième enfant sur seize, d’une famille parlant le tsonga. Jusqu’à l’âge de 12 ans, il est berger, ce qui est une des activités principales du groupe auquel il appartient, comme il le dira lui-même de ses parents :
Mes parents appartenaient appartenaient à la vieille Afrique (…) ils ne connaissaient pas le christianisme (…) ils vénéraient et adoraient leurs ancêtres… On vivait de la culture des petits champs, de l’élevage, du bétail et de la chasse. Mon enfance se passa ainsi dans les pâturages avec de nombreux bergers de mon âge.
Etre berger n’est pas de tout repos. Il y a des règles strictes à respecter, une hiérarchie, un sens très aigu des responsabilités. N’oublions pas que toute vie étant sacrée, un animal que l’on a à garder n’est pas une « bête » comme cela se dit de nos jours, mais bien une vie et symbiose il doit y avoir entre ces animaux et les femmes et les hommes qui en ont la charge. L’enfant Chivambo Mondlane en prend très tôt conscience de même qu’il comprend très vite l’abrutissement que constitue la colonisation.
C’est une de ses grandes-sœurs, baptisée chrétienne, qui l’amène à l’école occidentale pour la première fois. Il intègre une mission suisse presbytérienne. Il lui est impossible d’intégrer un lycée tenu par les Portugais, ce qui ne l’empêche pas d’aller étudier ailleurs et de lire sans cesse. La lecture est en effet une de ses passions, à tel point qu’en 1942, quand il rentre chez lui, en plus de parler couramment désormais l’anglais, il ramène une caisse de livres. Face au plafond de verre construit et solidement fixé par les Portugais, il est obligé de s’exiler au Transvaal pour continuer à étudier. Sa famille et ses amis se demandent alors s’il ne va pas faire comme les autres qui sont partis et ne sont jamais revenus… Là-bas, il apprend l’afrikaans, langue que les Boers tentent d’imposer aux autochtones d’Afrique du Sud. Il réussit tous ses examens en travaillant d’arrache-pied et, en bon protestant, prêche aussi. Il n’oublie pas complètement ses origines en travaillant l’agriculture. Au niveau supérieur, il étudie les sciences sociales et, ironie de l’histoire, cela se passe dans une université blanche (celle du Witwatersrand*, à Jo’burg). Manque de bol, en 1949, le tristement célèbre Malan le fait chasser du pays quand bien même les étudiants l’avaient élu président du groupe d’études sociales. Ses collègues et amis se mobilisent pour le soutenir. Des manifestations ont lieu. Même la presse portugaise s’empare de cette affaire qui est de plus en plus gênante pour le pouvoir raciste de Pretoria. L’expulsion est maintenue mais l’université autorise son célèbre étudiant à passer ses examens depuis… Lourenço Marques (actuelle Maputo), dans la Mission suisse où il étudia naguère.
Dès son retour au Moçambique, la PIDE, la célèbre police politique portugaise qui à cette époque fait tant de mal à nos aînés dans les territoires colonisés le cueille à la frontière et durant deux semaines (ou trois, selon les sources) le travaille afin qu’il « parle ». La bête est tellement éloquente qu’elle en arrive à séduire ses oppresseurs. Le jugent-ils si peu dangereux ou en profitent-ils pour l’éloigner ? Toujours est-il qu’un passeport lui est délivré pour qu’il aille étudier aux USA. Ce trajet le fera d’abord passer au Portugal (pour maîtriser la langue du colon) et en Suisse. Aux USA, il ne se contente pas d’étudier. Il fait de la politique. Au sens où il profite de la moindre occasion pour sensibiliser ses camarades, ses amis et les Américains qui veulent bien lui prêter de l’attention, sur la situation en Afrique. Il finira par décrocher une thèse de sociologie et par épouser une certaine Janet Rae Johnson, une Américano-suédoise. Cette dame est aussi universitaire et elle épousera la cause politique de son époux et même après son assassinat en 1969, elle continuera à aider le FRELIMO (Frente de Libertação de Moçambique).
Le FRELIMO… Un nom que nous entendions prononcer avec respect quand nous étions enfants. Un nom que nous ne prononcions point à la légère comme l’ANC, le MPLA, le PAIGC etc. tous ces mouvements africains qui luttèrent contre l’oppression européenne afin que les Africains recouvrent leur dignité sur la terre de leurs ancêtres. Mondlane qui travaille entre temps pour l’ONU et enseigne à l’Université de Syracuse (New-York, USA) se rend compte que l’ONU n’en a rien à foutre du sort des Africains. En 1961, un tournant décisif a lieu car le Mwalimu Julius Kabarange Nyerere, chef de la Tanzanie nouvellement indépendante invite son aîné de deux ans à rentrer en Afrique, pour mener la lutte pour la libération du Moçambique à partir de Dar es-Salam. Dans cette ville, des milliers d’originaire du Moçambique y vivent, al plupart dans de très mauvaises conditions. Les organisations politiques qui y sont établies aussi ont du mal à se faire entendre et aussi à s’entendre. Tout le monde fusionnera au sein de ce fameux mouvement qui voit le jour le 25 juin 1962 et Eduardo Chivambo Mondlane, qui doit son nom de Chivambo Mondlane à un ancêtre, grand chef.
Il n’aura de cesse de parcourir le monde pour libérer son pays et quand certains lui faisaient le reproche de laisser « les autres se battre au Moçambique » pendant que lui était sans cesse ailleurs, il répondait qu’il était lui aussi en danger permanent et l’histoire lui donnera raison.
En me replongeant chaque fois dans le parcours extraordinaire de ces illustres devanciers, on comprend pourquoi leurs disciples (Samora Moses Machel, Marcelino Dos Santos, Joaquim Chissano) ont été de véritables continuateurs de leurs œuvres.
Obambe NGAKOSO, December 2014©
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* : Ce nom signifie « La crête des eaux blanches »…