Africains, pourquoi des mémoires aussi mortes?
Une des premières choses que l’on apprend lorsqu’on s’intéresse aux mémoires des ordinateurs, ce sont les mémoires vives et les mémoires mortes*. Bien entendu, faire un parallèle entre les humains et les machines est toujours chose risquée et par conséquent pas du tout aisée. Je me risquerai tout de même à en faire une, aujourd’hui.
Oui, je rêve souvent pour mon peuple qu’il n’ait pas une mémoire morte.
Je rêve tout le temps pour mon peuple, peuple de Kama, éparpillée sur cette terre, que nous ayons une mémoire collective bien vive et plus vive encore que ce que le meilleur des ordinateurs puisse nous proposer.
Je dis, Je rêve car le temps semble me donner raison quand je dis que nous manquons de mémoire collective. Si encore ce n’était que la plèbe qui était au premier rang des accusés… Le problème est que ce sont nos élites qui souffrent d’une amnésie terrible que j’ai souvent du mal à comprendre même si je finis par retomber sur cette conclusion qui souffre difficilement de contestation, tant les faits sont têtus.
Il y a plusieurs vidéos qui circulent sur la toile depuis plus d’une année, où l’on voit des forces de l’ordre (enfin !) en Angola, malmener des ressortissants de la République Démocratique du Congo (RDC). On a l’impression que c’est une violence d’une gratuité inimaginable. De ce que j’ai pu lire, il est question de renvoyer en RDC des gens dont le séjour est jugé irrégulier. Par principe, bien entendu, je n’ai pas à dire qui a le droit de demeurer ou pas en Angola. C’est au gouvernement angolais de décider qui a le droit de fouler son sol, qui a le droit d’y séjourner un jour ou dix mille. Par contre, la clandestinité est-elle une raison suffisante pour traiter nos compatriotes africains de la sorte ? Pire encore que des animaux.
Que j’ai honte, quand je vois ça
Que j’ai mal, en visualisant ces vidéos !
J’en ai encore revu une hier et mes sentiments n’ont pas changé : douleur ! Ma conclusion est la même : notre mémoire collective a un encéphalogramme quasiment plat.
En 1975, alors que l’Angola se libère des chaînes coloniales portugaises, ils sont nombreux à être originaires de ce territoire, à vivre en exil dans ce qui s’appelait alors (depuis 1971) le Zaïre. Il y en avait aussi de l’autre côté du fleuve roi, au Congo. Ils ne venaient pas d’y arriver, non. Certains étaient là depuis les années 50. Des mariages et tous types d’alliance s’y étaient noués au fil du temps. Quoi de plus normal ? Les trois partis politiques angolais qui se sont battus, les armes à la main savent tous ce qu’ils doivent aux deux Congo dans le cadre de la lutte de libération menée face aux Portugais. Le président Eduardo Dos Santos a vécu à Mfoa et parmi les éminents membres de son parti, le MPLA, il ne fut point le seul. Loin de là, d’ailleurs.
Comment se fait-il qu’il demeure si silencieux face à la violence de ses hommes ?
L’Angola n’en est pas à son coup d’essai. Ce pays n’aurait pu se sortir de sa guerre contre le régime raciste de Pretoria, du temps de l’apartheid, sans l’aide décisive de Cuba. J’ai plus d’une fois évoqué cet épisode qui a participé à la gloire de Cuba, l’île la plus détestée de la part des USA. Cuba est reparti sans la moindre goute de pétrole et sans la moindre pierre de diamants.
Si les Congolais vont au Maroc sans visa, cela est dû à Mohammed V, grand-père de l’actuel souverain chérifien, Mohammed VI et père d’Hassan II, souverain de 1961 à 1999, année de sa mort. Cet homme, sur le chemin de son exil, en 1953, lorsque les Français le débarquèrent de son trône et installèrent un vague cousin (el-Glaoui), Mohammed V et sa famille passèrent par le Congo et les autorités locales (africaines) le reçurent comme il se doit et cela, il ne l’oubliera jamais.
C’est cette même mémoire collective qui nous fait tellement défaut qui fera sans doute qu’en janvier 2004, lors de la fête du bicentenaire de la Révolution et de l’indépendance ayitienne, il y aura en tout et pour tout un seul chef d’Etat du continent pour nous y représenter : Thabo Mbeki ! Les autres ? Aux abonnés absents. Par contre, s’il avait fallu répondre à une invitation, pardon, à une injonction d’un président français, ils auraient rappliqué avec une vitesse explosant le mur du çon. D’ailleurs, c’est bien ce qui se passe chaque année avec les fameux « sommets » Afrique-France, non ? Pourtant, Ayiti nous a montré l’exemple dans le cadre de la lutte de libération en vainquant la France de Napoléon Bonaparte, du temps du général Toussaint-Louverture d’abord et ensuite, de celui du général Jean-Jacques Dessalines. Ayiti a donné des cadres à l’Afrique en 1960 quand par exemple la Belgique s’en allait du Congo, en laissant un nombre de diplômés du supérieur que l’on pouvait compter à peine sur une main, après avoir tout volé et tout pillé.
Plus près de nous encore, on a pu constater à quel point il y a un mélange de brume et de brouillard dans les esprits de nos dirigeants dès qu’il faut faire travailler leurs mémoires. En effet, en 2013 décédait Hugo Chavez, président du Venezuela. Cet homme avait rappelé qu’il avait des origines africaines (sa grand-mère était Noire). Il le rappelait tellement bien qu’il précisait combien ses lèvres étaient vraiment africaines (car épaisses). Combien il avait un gros nez : bien caractéristique des gens de chez nous. Lançant la création de la Banco al Sur, alors que la maladie le rongeait, il avait insisté auprès de ses compatriotes que ce projet devait inclure l’Afrique aussi.
Et le voyage de Chavez au Mali ? Les élites politiques maliennes l’avaient-elles oublié à ce point ? Lui qui y fera preuve d’une grande générosité.
Voilà nos dirigeants.
Ils oublient tout, à une vitesse impressionnante !
Obambe NGAKOSO, November 2014©
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* : Je fais court, évidemment