Extraits du livre « Pour la vérité et la justice. Côte d’Ivoire: Révélations sur un scandale français »
Comme promis hier, je mets en ligne un extrait issu du livre-événement de François Mattéi (journaliste) où la parole est de temps en temps donnée au président Koudou Gbagbo, de la Côte d’Ivoire.
Quand les Hommes de pouvoir ne sont plus en fonction, je trouve souvent que leur parole a plus de saveur, plus d’importance, mais plus aucun poids du tout. Hélas! Le recul, quand on a un minimum de bon sens, on voit forcément mieux les choses et, fatalement, la parole est plus libre. On n’a plus les mêmes contraintes ni les mêmes contingences.
Le président Gbagbo du temps où il était opposant, comme du temps où il exerçait le pouvoir était, il disait les choses telles qu’il les pensait et on sait ce que cela lui a coûté avec le temps. Aujourd’hui, la manière avec laquelle il s’est exprimé dans ce livre, même si c’est souvent pour dire des choses connues et sus du grand public, cela vaut son pesant d’or. Malgré tout. Savourons!
Obambe NGAKOSO, September 2014©
Á peine trois mois après mon élection du 22 octobre 2000, en janvier 2001, une première tentative de putsch menée contre moi par des proches de Ouattara a échoué. C’est l’affaire dite de la « Mercedes noire », la voiture d’IB, le chef des mutins, ancien garde du corps d’Alassane Ouattara.
En septembre 2002, j’étais en visite en Italie quand il y eut un nouveau coup d’Etat. Celui qui a débouché sur la partition du pays, et a ouvert la crise politico-militaire qui devait durer dix ans.
Je me souviens que nous venions de faire voter la loi sur l’assurance maladie, l’attaque a eu lieu après. J’y ai vu une relation de cause à effet : il fallait casser ce projet en particulier. Si nous arrivions à la mettre en place, avec deux caisses – une pour les paysans, une pour tous les autres travailleurs – la vie des Ivoiriens aurait été changéeµ. Pour les paysans, c’était facile à financer, avec le café, l’hévéa. Pour l’autre caisse, c’était plus difficile, mais nous avions prévu une alimentation financière par des prélèvements sur les mines : or, diamants, etc. Nous avions déjà acheté le bâtiment qui allait abriter les bureaux de cette assurance maladie.
Nous avions commencé la décentralisation, avec la création de conseils généraux qui fonctionnent encore aujourd’hui. Lycées, dispensaires, routes ont été construits par ces conseils généraux. Mais on ne nous a pas laissés aller jusqu’au bout. La fiscalité régionale, avec la création de dix grandes régions, et de départements, allait assurer le développement. L’accès gratuit à l’école primaire, aux collèges et aux lycées, nous l’avons fait tout de suite et si tout le territoire n’a pas pu en profiter, c’est à cause de la guerre et de la séparation en deux du pays.
Á Paris, cette politique les a effrayés. Ils se sont rendu compte que la Côte d’Ivoire avait les moyens de faire tout cela seule : au bout du compte, en dix ans, j’ai électrifié plus de villages que cela n’avait été fait en quarante ans. Nous n’avons pas eu le temps de faire ce que nous envisagions avec le solaire. On a brisé notre envol.
Nous étions autosuffisants et nous avons continué de l’être après l’attaque de 2002, alors même que nous ne contrôlions plus que 40% du territoire : les salaires des agents de l’Etat ont toujours été payés et nous n’avons eu que deux fois quelques difficultés pour les remboursements : une fois 100 millions à la BAD, une autre fois à la Banque mondiale. Mais nous y sommes arrivés.
Economiquement, en dépit des dettes énormes que nous avait laissées le précédent gouvernement de Bédié, nous avons toujours réussi à être autosuffisants […] Nous étions en position de demander l’annulation de la dette de la Côte d’Ivoire, et j’ai initié la négociation du dossier. Encore faut-il savoir ce que signifie « annulation de la dette », ce qu’ignorent beaucoup de Français qui croient qu’ils font des cadeaux aux Africains. Personne ne fait de cadeaux à personne en ce bas monde : les dettes d’Etat que l’on annonce comme allumées sont en réalité privatisées. C’est-à-dire que les sommes dues sont en réalité payées à des entreprises privées des pays créanciers, pour réaliser des travaux dans nos pays. C’est une manne dorée pour les entreprises occidentales, françaises en particulier. La pauvreté la pauvreté des uns rend beaucoup d’autres plus riches. C’est le système.
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