Kwame Nkrumah, une vie, des livres, des convictions chevillées au corps!
Kwame Nkrumah fait partie d’une sorte de caste.
Celle de chefs d’Etats qui ont pris leur plume pour dire comment ils voyaient le monde. Quelles visions ils proposaient à leurs compatriotes.
Nkrumah a étudié notamment la philosophie et le droit. Il était ce que l’on appelait à l’époque un « intellectuel ». Et ce mot avait encore un sens à cette époque où les combats, les enjeux étaient pris d’assaut par nombre des nôtres qui avaient mis leur courage et leurs vies au service des leurs et de leur continent, Kama.
Il y a quelques années, la maison d’édition Présence Africaine, fondée par le Sénégalais Alioune Diop, a eu la bonne idée de rééditer certains ouvrages de Nkrumah et ils sont disponibles à des prix fort intéressants pour qui vit en Occident : de 9€ à 12€50. Et, à Paris, au 19 rue du Chalet, la librairie Tamery a tous ses ouvrages : je les ai encore vus samedi dernier.
Il serait intéressant que d’autres ouvrages comme Challenge of the Congo (1969, Panaf Bks, 320 pages) soient aussi traduits afin qu’il touche plus de monde encore. Ce livre est passionnant, consacré à la République du Congo-Kinshasa qui en ce temps-là vivait – déjà ! – des heures plus que troubles. Nous étions huit ans après l’assassinat par les services belges et US du Premier ministre du Congo, Patrice Emery Lumumba, avec l’aide de leurs supplétifs africains. Nous étions trois ans après que lui-même l’Osagyefo ait été victime d’un putsch ourdi par les mêmes services US. L’homme était trop dangereux et cela faisait un moment qu’il était dans l’œil du cyclone. Durant ces trois ans donc, Nkrumah qui déjà avait pris sa part dans la crise qui secoua le Congo juste après le trente juin (envoi de soldats ghanéens notamment, hélas ! sous l’égide de l’ONU).
Hélas !
77 fois 7 fois hélas ! les analyses de Nkrumah au sujet de ce colosse aux pieds d’argile ne souffrent d’aucune ride avec le temps, ni du moindre cheveu blanc : les faits sont tellement têtus qu’en lisant ce livre aujourd’hui ou en le relisant, on a comme l’impression d’être en face d’un Nkrumah en train d’écrire le même livre, avec sa plume et ses feuilles de papier.
Né le 21 septembre (1909 ou 1912, peu importe), on fête ces jours-ci son anniversaire. Grand moment en hommage à cet homme qui n’est pas assez célébré par les Africains, sans doute pas assez conscients de son apport dans notre histoire. Au-delà même du Panafricanisme, qui en fait ch… plus d’un (mais oui, pourquoi s’unir puisque nous sommes si heureux ?), il est intéressant de revisiter le parcours extraordinaire de cet homme qui a vu le gamin de Nkroful partir de très loin, dans un contexte extrêmement hostile, pour booster les colons hors des instances du pouvoir et s’y installer en compagnie de ses compatriotes africains. Cela, Nkrumah le dit dans son autobiographie qui, pour moi, est le meilleur de ses livres. Il a été écrit avec ses tripes, avec la modestie et l’humilité qui ont longtemps caractérisé cet homme avant d’être en proie à tous les démons possibles du pouvoir, dans un contexte – encore une fois, disons-le ! – très hostile. Nkrumah n’a jamais été un homme d’argent. Il n’a jamais été plein aux as. Il s’est simplement battu en utilisant sa tête, sa plume et son temps pour les siens. Non pas seulement pour que la Gold Coast soit libre (avant de s’appeler Ghana), mais aussi et surtout pour tout le continent car il n’a eu de cesse de dire que l’indépendance du Ghana (acquise en 1957) ne saurait avoir de sens s’il y avait encore sur le continent des pans de territoire privés de liberté.
Un de mes proches a lu deux de ses livres, que j’ai bien voulu lui prêter (Le consciencisme et Le Néo-colonialisme) a eu une drôle de réaction qui montre les ampleurs des incompréhensions que nous pouvons avoir dans notre conception du monde, dans la manière avec laquelle nous souhaitons mener nos luttes, sous quelle que forme que ce soit. Il a environ trente ans (c’est dire qu’il est jeune) et il est un admirateur invétéré de Nkrumah, qu’il n’avait jamais lu jusque là. Il a voulu le jeter dans les poubelles de l’histoire, au même rang que les traîtres que nous avons comptés et que nous comptons encore dans nos rangs, surtout quand ils ont accédé à des lieux de pouvoir.
La raison de son courroux envers le fils de Nkroful est lié au fait que ce dernier était, selon les critères européens, un homme e gauche. Dans ces deux livres, Nkrumah prend clairement fait et cause pour le camp appelé progressiste à cette époque de la Guerre froide où souvent il fallait se positionner, en son âme et conscience ou non. Lui, contrairement à d’autres, il n’avait pas fait de suivisme. Il combattait l’impérialisme qu’il avait connu en trois endroits différents au moins.
Dans son propre d’abord car il naît alors que l’empire britannique a encore la majorité des liens de sa toile d’araignée et que la Gold Coast y est fermement et solidement incluse.
Il a étudié aux USA quelques temps : quel meilleur pays autre que celui-là pour constater par soi-même les ravages du capitalisme ?
Son séjour en Angleterre ne pourra que le renforcer dans cette conviction que ce genre de sociétés n’est vraiment pas faite pour lui ni pour son peuple. Et c’est ce qu’il s’échinera à faire des années durant, d’abord en tant que militant pour l’indépendance, ensuite en tant que Premier ministre de son pays et, pour finir, en tant que président du Ghana.
Nkrumah était persuadé que le socialisme était LA voie à suivre pour s’en sortir mais, contrairement à ce que certains pensent, dans son esprit, Panafricanisme et socialisme n’étaient nullement incompatibles. Le Panafricanisme est entre autres la défense des Africains pour les Africains. Lui qui avait étudié le marxisme, lui qui avait lu les grands penseurs de la gauche européenne de l’époque avait choisi le socialisme en lieu et place des courants idéologiques qui lui étaient proposés. Le communisme, hors-jeu : la lutte des classes ne suffit pas. Le capitalisme, n’en parlons même pas.
Le maçon étant jugé au pied du mur, durant ses années de pouvoir, avec des erreurs, des fautes et des succès, Nkrumah a mis en pratique ces deux idéologies qu’il avait délibérément choisies et on a vu les résultats : quels sont les mouvements de libération sur le continent qui n’ont pas été aidés par les fonds publics ghanéens ? Au lieu de piller le Trésor public ghanéen et d’aller planquer les sous à London ou en Suisse, Nkrumah a investi dans des ouvrages pour le Ghana et a aidé ses compatriotes africains en lutte, à se libérer.
On peut être Panafricaniste.
Afrocentrique.
Je ne sais quoi d’autre et lutter ou prétendre lutter pour le bien-être de Kama. Un bien-être passant par sa libération. Condition sine qua non. Il n’est cependant point interdit de regarder ce qui se fait de bien ailleurs, ce qui s’est fait de bien.
Il y a des aveuglements qui peuvent être suicidaires quand on croit avoir la science infuse et disposer de la totalité du savoir. Prenons-en chaque fois de la graine. Chaque fois que c’est possible. Nkrumah l’avait compris. C’est aussi pour cela que cet homme, 57 ans après le « Ghana Day », 48 ans après sa chute et 42 ans après sa disparition demeure une des plus grandes références du mouvement Panafricaniste à travers le monde.
Bon anniversaire à lui.
Bon repos à son âme.
Obambe NGAKOSO, September 2014©