Morts sans crédit
Madame se fait opérer d’un fibrome.
Chaque fois que j’ai entendu parler de cette opération, on m’a toujours dit qu’il n’y avait rien de méchant. Cependant, il peut arriver que même l’opération la plus banale tourne au vinaigre…
La jeune femme, âgée de trente-cinq ans a donc subi cette opération qui, aux dires du médecin, s’est très bien passée. Hélas ! cinq jours après, voilà que Mme tombe dans le coma. Sa tante, sa mère, ses sœurs sont en larmes car il n’y a aucun médecin pour s’enquérir de la situation, dans cet hôpital, un grand hôpital (grand par la taille, en tout cas), depuis 19 heures, heure du début du coma.
Ces dames ont beau appelé le personnel soignant à l’aide (infirmiers, aides-soignantes, etc.) présent, ce dernier refuse de faire quoi que ce soit. En gros, ça donne, En l’absence de médecins, nous ne pouvons rien faire.
Les pleurs, prières et autres suppliques n’y font rien : les heures passent et le coma est toujours là et bien là. Têtu comme une armée de mules. Un coup de fil adressé à un médecin (qui ne réside ni n’exerce dans cette ville) permettra d’atteindre un autre médecin qui exerce dans cet hôpital. On appelle aussi d’autres médecins, n’y exerçant pas. Le coma a duré de 19 heures à 4 heures du matin, heure à laquelle une piqûre de réanimation sera faite sur la patiente et là, elle revient à nous. Les larmes et pleurs cessent, mais les prières continuent car il ne faut pas lâcher.
Quand j’ai appris cela, inutile de vous dire que je n’ai cessé d’appeler chaque jour pour en savoir plus. La vie est sacrée. Et quand il s’agit d’une personne à laquelle vous tenez, on la considère encore comme plus sacrée. Par contre, quand j’apprends, de la part d’une personne qui en sait long sur le sujet que, La nuit, il n’y a pas de médecins dans les hôpitaux, chez nous, on frôle la crise d’apoplexie.
Il serait donc interdit aux médecins d’être présents à l’hôpital la nuit venue ? Ou bien ces derniers prendraient-ils tout simplement leurs libertés dès que la lune pointe son nez en remplaçant le soleil ? Le Congo est un pays merveilleux où dans chaque corps de métier, au niveau de l’administration publique, chaque chef, chaque responsable est empereur de son royaume, même si ce dernier se résume à une toute petite juridiction de 7 mètres carrés. Ces chefaillons, ces suzerains, ces roitelets ne se mettent à trembler que lorsque leur hiérarchie (quand cette dernière le veut bien), se met à leur taper sur les doigts. Là, ils sont prêts à lécher les panards même d’un pouilleux et ensuite d’un lépreux, pourvu que cela leur permette de conserver leurs postes.
Chaque jour qui passe nous donne, au Congo rive droite, des cas où le personnel soignant est d’une irresponsabilité qui ne dit pas son nom. Récemment, une de mes proches, rentrée de vacances m’a dit, Congo E changé, hein ! Bato ba komi na mbongo ébélé (…) Baninga na nga mingi ya ba médecins ba zali na mbongo ébélé (…)* Exactement le genre de sottises que j’ai horreur d’entendre. Bien entendu, on ne mettra pas tous les médecins dans le même panier, mais connaissant leurs pratiques, il n’y a vraiment pas de quoi mettre en avant leurs prétendues « richesses » matérielles.
Non !
Non
Non !
On ne peut continuer à jouer avec la vie des gens à ce point.
Du côté des élites politiques, il ne faudra attendre – encore une fois – rien de bon car elles se font soigner en Occident, au Maroc (où la chasse aux Nègres est devenue un jeu d’enfants). Alors, pourquoi se préoccuperont-ils de ce qui se passe dans les hôpitaux congolais ?
Pauvres Congolais !
Pauvres Africains !
Et après, on s’étonne que le taux de mortalité soit aussi élevé sur notre continent, alors qu’il y a plein d’échéances que l’on pourrait très bien repousser.
Entre morts à crédit et morts sans crédit, je ne sais comment trancher ce dilemme.
Obambe GAKOSSO, September 2014
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* : Le Congo a changé, hein ! Les gens sont désormais pleins aux as (…) Nombre de mes amis, des médecins ont plein de fric (…)