La présidence d’Alpha Condé: il y a loin de la coupe aux lèvres
Du temps où la Guinée était encore dirigée par le président Lansana Conté, alias Fory Coco, le juriste et opposant politique Alpha Condé avait tâté de la prison, durant 29 mois. Certains, qui adorent les raccourcis douteux, avaient tôt fait de l’appeler le « Mandela guinéen ». Comme au Congo, quand certains avaient osé dire la même chose de Bernard Bakana Kolélas, emprisonné sous le monopartisme…
Des phrases qui donnent plus envie de rire que de pleurer.
On aurait pu décemment penser que toutes ses années de lutte politique d’abord contre le président Ahmed Sékou Touré puis contre Conté, auraient rendu le Condé plus apte à la fonction présidentielle, ne serait-ce que sur le plan du droit. Force est de constater qu’il y a de loin de la coupe aux lèvres et que l’opposant Alpha Condé ne ressemble pas beaucoup au président Alpha Condé qui président désormais aux destinées de la Guinée.
Depuis l’élection de cet homme, ex-militant très actif de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), je ne me suis pas penché sur sa gestion, comme je l’aurais souhaité. Les nouvelles venant de cet enclos colonial ne donnent pas souvent envie d’être optimiste. Tout le monde sait par exemple que ce pays, sur le plan minier, est d’une richesse incommensurable : or, pétrole, uranium, diamant, phosphate, manganèse, bauxite, pour ne citer que cela, la Guinée en regorge. J’ai discuté l’an dernier avec un juriste guinéen qui lu et étudié minutieusement le nouveau code minier guinéen, sa sentence a été sans appel : La Guinée a dépensé une fortune en payant un cabinet occidental pour rédiger ce code minier, un code minier qu’une personne comme moi aurait pu rédiger seul. Ce code minier n’avantage en rien la Guinée, bien au contraire, tout le bénéfice sera pour les compagnies minières étrangères. Et le chef de l’État est un juriste. Et le chef de l’État s’est réclamé et se réclame encore de la gauche, supposée être du côté du peuple.
Je me souviens encore d’un discours de celui qui n’était pas encore président de la Guinée, où les mots à l’endroit du FMI étaient sans équivoque… Il y a vraiment loin de la coupe aux lèvres.
Lorsque les assassins appelés djihadistes attaquèrent le Nord puis le Centre du Mali, l’armée malienne avait commandé des armes qui devaient passer par le port de Conakry puis prendre la route pour le Mali. Nous savons tous que ces armes furent bloquées là-bas et, à ce jour, l’État guinéen a-t-il déjà dit une seule fois donné une explication aux Africains pour nous dire de quoi il en a retourné exactement ? Pendant ce temps, des mains étaient coupées au Mali. Des femmes et des filles étaient violées. Des Africains étaient massacrés par des assassins arabes et certains de leurs esclaves africains qui s’en donnaient à cœur joie de tuer ainsi leurs frères et sœurs.
Le 7 août 2012, à 9h30’ locales, la SOTELGUI (Société de télécommunications de Guinée) fermait ses portes, avec arrêt complet des équipements. J’avais sincèrement cru à l’époque que c’était une blague. Comment en plein vingt-et-unième siècle, dans des enclos comme les nôtres, avec tout le potentiel que nous avons, une société d’État, évoluant dans le domaine des télécommunications, peut mettre la clé sous le paillasson ? La raison évoquée à l’époque était « Mauvaise gestion » !
Je veux bien qu’il y ait eu « mauvaise gestion » comme ils disent, mais y a-t-il eu des sanctions suite à cette « mauvaise gestion » ? Des responsabilités ont-elles été établies ne serait-ce qu’une seule fois pour nous expliquer comment et pourquoi on en est arrivé à ce point ? La SOTELGUI c’est Ibrahima Kaba (ingénieur télécoms), Thierno Bah (responsable du collège syndical), Abdoulaye Camara et plus de mille autres personnes. Oui, la SOTELGUI, c’est 1633 collaborateurs tous à la rue aujourd’hui et 57 hommes et femmes qui sont décédés depuis le 7 août 2012.
Pourquoi ces morts ?
Ils étaient malades et n’avaient pas de quoi se soigner. Tout simplement…
Ibrahima Kaba le dit sans ambages : chaque fois qu’il pense à ce jour et à cette heure précise, les larmes lui viennent aux yeux. Des familles entières sont disloquées : qui peut résister au chômage, surtout dans un environnement sans filet de protection étatique ? Au moment où les hommes et les femmes de la SOTELGUI exigent 12 mois d’arriérés de salaires, le gouvernement leur en propose 3. Soit le quart à peine ! De qui se moque-t-on ? Comment ce gouvernement peut-il faire preuve d’autant de cynisme, d’autant que le ministre chargé du dossier, ne s’exprime même pas publiquement ? Alpha Condé aime à se faire appeler « Professeur » (ce qu’il n’est pas, usurpation de titre !). Et même dans les Journaux télévisés de la télévision guinéenne, il m’est arrivé d’entendre les journalistes l’appeler « Le président de la République, le Professeur Alpha Condé ». Comme Abdoulaye Wade que certains appelaient « Le président de la République, Maître Abdoulaye Wade », car il est avocat de formation (entre autres). Idem pour Pascal Lissouba que certains Congolais appelaient même « Le professeur des professeurs ». Eh ! ben ce dernier, pendant qu’il était candidat à la présidentielle, fut étonné d’apprendre que les étudiants congolais accusaient des mois d’arriérés de bourses. Il avait sorti cette phrase, en se tournant vers un de ses camarades politiques, assis juste à côté de lui, Mais comment peut-on vivre avec quatre mois d’arriérés de bourses ? Lui-même en quittant le pouvoir, cinq ans après, avait creusé ces quatre mois… Les Congolais s’en souviennent encore !
Ironie du sort, le gouvernement annonce la relance de la SOTELGUI mais sans un seul des anciens collaborateurs qui sont licenciés. Le gouvernement voudrait injurier et insulter les Guinéens qu’il ne s’y prendrait pas autrement… Combien de fois devra-t-on rappeler que chaque Africain qui a un revenu régulier a au minimum dix personnes derrière lui ? Ce qui nous fait au bas mot 16.330 personnes paupérisées.
Je ne rencontre aucun Guinéen qui soit content du travail effectué par le président Alpha Condé. Et quand je vais sur la toile, mis à part la presse acquise à sa cause (ce qui va de soi), il n’y a vraiment personne pour accorder du crédit à cet homme et à ses collaborateurs. S’il pouvait avoir l’intelligence de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle (2015, si cette année est maintenue), ce serait un beau cadeau fait à l’Afrique. Vraiment !
Obambe GAKOSSO, July 2014©