« Marx quand même », par Henri Peña-Ruiz
Karl Marx !
Voilà un des hommes dont l’importance a traversé une partie du dix-neuvième siècle et tout le vingtième. Alors que nombre de ses contempteurs étaient persuadés que c’en était fait de lui et de ses idées, le voilà qui est revenu en force en ce vingt-et-unième siècle débutant, grâce ou à cause (c’est selon les goûts, bien entendu) à la fameuse crise financière puis économique ayant éclaté en 2008 et dont les effets se font encore sentir six ans après.
Cette crise est d’une violence telle que nombre d’économistes occidentaux qui en parlent chaque jour disent qu’elle est encore plus violente que celle de 1929. Et dire qu’au collège, l’on nous disait que cette crise était la principale de la guerre de 1939-1945…
Je me souviens qu’il y a 5 ans environ, des organes de presse signalaient ça et là une recrudescence des ventes du Capital, le fameux livre de Karl Marx, la bible des marxistes et parfois aussi des marxistes-léninistes. Comment expliquer un te phénomène 20 ans après et la chute du Mur de Berlin, et après l’effondrement de l’empire soviétique qui n’aura duré que 7 dizaines d’années ? Pire encore, il ne reste qu’un seul territoire au monde qui se réclame encore peu ou prou, officiellement et dans les faits, de cette idéologie rouge. La Corée du Nord. Même à Cuba, le virage s’est opéré. Quant à la Chine populaire, depuis le temps où son disparu leader Deng Xiao Ping avait dit Chinois, enrichissez-vous ! les jeux étaient faits.
Alors, pourquoi se ruer à acheter et à lire Das Kapital (Le Capital) ? Quand, même Peer Steinbrück, réputé très libéral et ministre allemand des Finances (novembre 2005-octobre 2009) se met à déclarer* que Certaines parties de la théorie de Marx ne sont pas fausses, il y a de quoi se dire que tout fout le camp, en ce bas monde ! Y a plus d’respect, ma bonne dame !
Henri Peña-Ruiz est un philosophe et écrivain français, maître de conférences (Sciences politiques, Paris) et militant du Parti de gauche (France). Auteur de quelques ouvrages, j’ai eu le plaisir de tomber sur une de ses œuvres qui a particulièrement attiré mon attention et c’est l’objet de ce billet : Marx quand même !** Marxiste convaincu, il explique dans cet ouvrage comment il a été ébranlé dans sa vie en voyant les horreurs commises par des communistes, au nom du communisme. Au nom de cette idéologie à laquelle il tant cru, des décennies durant ! Au fil des pages, on sent sa déception, peut-être même son amertume et une sorte de désarroi, au regard de ce que nombre de cocos considèrent comme un gâchis.
Pourtant, de la première à la dernière page, on voit, on sent, on lit bien qu’il y croit toujours et il faudrait vraiment se lever de très bonne heure pour lui faire changer d’avis voire carrément le pousser à retourner sa veste. Peña-Ruiz est un homme de conviction et il en faudrait énormément pour le pousser à brûler ce qu’il a aimé – je n’ose dire « adoré ».
J’ai moi-même lu cet ouvrage majeur de Karl Marx, par le passé et j’ai bien envie de le relire. Peut-être y trouverai-je des choses qui m’avaient échappé à l’époque (j’étais bien jeune). Peut-être y trouverai-je des réponses suite à mes interrogations concernant ce monde où l’on veut obliger tout le monde à boire du Coca-cola, à manger du poulet nettoyé à l’eau de Javel et du poisson plein de graisse de la tête à la queue en passant par les nageoires caudales et dorsales.
Allez, trêve de bavardage et lisons-le (préface) :
Á contre-courant de la morosité idéologique, voire de la mélancolie démocratique qui semble marquer l’air du temps, il convient donc de revisiter un penseur visionnaire qui à bien des égards a anticipé certaines des dérives de notre époque, tout en esquissant les voies d’une émancipation humaine authentique, à mille lieues des réalités historiques qui ont prétendu s’inspirer de lui.
Marx a su prévoir la mondialisation capitaliste et la froide mercantilisation de toutes choses qui en résulte. Il a montré les limites d’un libéralisme qui ne se soucie pas de donner vie et chair aux conquêtes du droit, et n’exalte le modèle du contrat que pour mieux enfermer les acteurs économiques dans la contrainte du rapport de force local.
Il a réfléchi sur les mécanismes multiformes de l’aliénation et développé et développé le soupçon qui réfère les beaux principes et les beaux discours à la réalité triviale des pratiques, afin de les mettre à l’épreuve et de démystifier une certaine façon de faire la politique. Dénoncer l’incantation mystifiante et mensongère, ce n’est pas pour lui disqualifier l’invocation des principes, mais bien plutôt les prendre au mot afin de mettre en évidence les abîmes qui trop souvent séparent la réalité des idéaux dont elle prétend s’autoriser. Il est donc faux d’affirmer que Marx a voulu ainsi invalider les principes et les idéaux. Réclamer leur application effective par la mise en place de ce qui les rend crédibles dans la vie réelle, ce n’est pas les tourner en dérision, mais au contraire se montrer exigeant pour les faire vivre authentiquement.
Il a livré une analyse approfondie des apparences que prend l’exploitation de l’homme par l’homme. Son décryptage méthodique de la vie économique a permis de démystifier les illusions et les préjugés dont elle s’assortit. Une véritable méthode d’interprétation critique de la réalité sociale et des discours politiques en est issue. Il a mis en évidence le fétichisme de l’argent et des mirages de la circulation financière, éludant ses mystères sans transiger et réfutant par avance la nouvelle religion du marché. Il a montré ce qui advient du social – ou tout simplement l’humain – n’est plus qu’un résidu de l’économique. Il a pressenti l’« horreur économique », non pour disqualifier la production de richesses et le génie inventif qui s’y affirme, mais pour souligner les rapports de force qui s’y déploient. De fait, ces rapports sont trop souvent occultés par une approche idéologique sans distance critique. Il a montré que sous prétexte d’efficacité économique le système capitaliste relègue la question sociale au rang d’un problème inessentiel, abandonné aux hasards de l’aumône. Il a identifié ainsi de façon péremptoire le couplage actuel entre l’ultralibéralisme et la religion conçue comme supplément d’âme caritatif.
Obambe GAKOSSO, July 2014©
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* : Lire ici.
** : Plon, 2012.