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14 juin 2014

Les salaires si bas des Africains: une vieille (très vieille) histoire…

Classé dans : Economie,Histoire,Lectures — Obambé Mboundze GAKOSSO @ 12 h 23 min

Il y a près de vingt ans, j’avais suivi une émission de la chaîne de télévision M6 (France) qui parle souvent d’économie, avec un titre bien évocateur : Capital.

Le reportage  avait été tourné en Côte d’Ivoire où l’on nous parlait d’une usine de textile qui avait eu de sérieuses difficultés au point de risquer la fermeture.

WR0Normal, ne sommes-nous pas en Afrique où il est bien connu que l’on n’est tellement pas assez entrés dans l’Histoire au point de ne pas être capables de gérer correctement une usine ?

On appellera un sauveur. Français et Blanc. Cela va de soi. Nous sommes dans un enclos colonial. L’homme arrive, tel Zorro le justicier et Jésus le sauveur réunis. Il est payé 100.000 francs français (FF, 10.000.000 de francs CFA, FCFA). Ce qui est astronomique, dans nos enclos coloniaux.

Dans son usine, il y a le chef du personnel*. Un Noir, de nationalité locale. Diplômé (bac+4), l’homme gagne mensuellement 7.000 FF (700.000 FCFA). Ce qui pouvait paraître impressionnant dans un enclos colonial comparativement à la moyenne de ce que gagnaient alors ses compatriotes africains ne représentait en fait que un quatorzième de ce que gagnait alors le PDG de cette usine.

Normal car nous sommes dans un enclos colonial et c’est une vielle tradition que de rémunérer ainsi les Nègres et leurs maîtres.

Dans la même usine, il y avait un contremaitre. Titulaire d’un CAP**. Lui, il gagnait 25.000 FF (2.500.000 FCFA). Un quart de ce gagnait son patron mais près de 3,6 fois que le chef du personnel. Je ne voudrais pas faire de discrimination entre les diplômes mais le CAP est bien loin e, bas dans l’échelle des classifications des diplômes, en comparaison d’un bac+4. Et les responsabilités d’un chef du personnel sont tout de même bien plus importantes que celles d’un contremaître… Oui, mais ce contremaître était Français. Et Blanc. Cela allait de soi.

J’ai pensé à cet excellent documentaire en relisant le livre de Walter Rodney*** dont je vous ai déjà parlé. Pourquoi à votre avis, en Afrique, les Noirs gagnent moins bien, beaucoup moins bien que les Blancs ? Nombre d’Africains font les mêmes écoles, les mêmes facultés que les Blancs, quand ils sont élèves ou étudiants en Europe. On pourra trouver ou essayer de trouver toutes les raisons que l’on voudra, mais j’invite tout le monde à regarder dans notre rétroviseur, un petit moment.

L’Histoire nous aide à mieux comprendre certains comportements actuels et si on est malins, elle nous aidera à ne pas tomber dans les mêmes errements.

Le racisme est à la base de cette discrimination salariale. Rien d’autre. Toute autre explication ne serait que chimère et écran de fumée.

Depuis la nuit des temps, quand les entreprises occidentales se sont installées par la force sur notre continent, grâce aux coups de fusils d’un côté et à la bible de l’autre, les revenus de la Négraille ont toujours été inférieurs à ceux des maîtres. Pour expliquer comment l’Europe sous-développa notre continent, Walter Rodney a eu l’intelligence de revenir sur ces pages très sombres et extrêmement dures de notre histoire.

J’ai sélectionné quelques extraits de ligne de cet excellent ouvrage qui gagne à être connu en milieu africain.

Bonne lecture

 

En tout cas, la main d’œuvre était bon marché en Afrique, et l’importance du surplus tiré du travailleur africain était considérable. Dans le cadre du colonialisme, l’employeur payait un salaire infime – un salaire qui ne suffisait habituellement pas à maintenir physiquement l’ouvrier en vie – et, par conséquent, ce dernier devait faire pousser des aliments afin de survivre. C’était le cas notamment de la main-d’œuvre agricole des plantations, du travail des mines et de certaines formes d’emploi dans les villes. Au moment où les Européens imposèrent la domination coloniale, les Africains étaient en mesure de tirer leur subsistance de la terre. Dans les années suivantes, certains gardèrent quelque contact avec la terre, et s’ils partirent travailler loin de leurs « shambas », ce fut pour payer les impôts ou parce qu’ils y étaient contraints. Lorsque le féodalisme eut pris fin en Europe, le travailleur n’eut absolument pas d’autre possibilité de survivre que de vendre sa force de travail aux capitalistes. Par conséquent, l’employeur se trouva dans une certaine mesure responsable d’assurer la survie physique de l’ouvrier en lui donnant un « salaire de survie ». Les Européens offrirent les salaires les plus bas possible et comptèrent sur la loi, appuyée par la force militaire pour le reste.

Durant le siècle présent, l’ouvrier Africain fut, pour plusieurs raisons, plus brutalement exploité que son homologue européen. Premièrement, l’État colonial étranger, après avoir écrasé toute opposition grâce à sa force armée supérieure, avait le monopole du pouvoir politique. Deuxièmement, la classe ouvrière africaine était peu nombreuse, très éparpillée, et très instable à cause du système des migrations. Troisièmement, si le capitalisme tendait partout à exploiter les travailleurs, les capitalistes européens en Afrique avaient de plus en plus de justifications raciales pour traiter avec injustice les travailleurs africains. La théorie raciste selon laquelle le Noir était inférieur aboutit à la conclusion qu’il n’avait droit qu’à un salaire moins élevé ; et il est intéressant de voir que les populations d’Afrique du Nord, Arabes et Berbères à peau claire, étaient considérées comme « noires » par les Français blancs racistes. La combinaison des facteurs ci-dessus rendit à son tour toute organisation très difficile pour les travailleurs africains. Ce n’est qu’en étant organisée et résolue que la classe ouvrière peut se protéger de la tendance naturelle qu’ont les capitalistes de l’exploiter au maximum. C’est pourquoi dans tous les territoires coloniaux, lorsque les travailleurs Africains se rendirent compte de la nécessité d’une solidarité syndicale, les régimes coloniaux leur barrèrent la route en leur opposant de nombreux obstacles.

Les salaires versés aux ouvriers en Europe et en Amérique du Nord étaient beaucoup plus élevés que ceux payés aux ouvriers africains de catégories comparables. Le mineur nigerian d’Enugu gagnait un shilling par jour pour travailler sous terre et 9 pence pour les travaux en surface. Un salaire aussi misérable aurait dépassé l’entendement d’un mineur écossais ou allemand qui pouvait pratiquement gagner en une heure ce que recevait le mineur d’Enugu pour une semaine de six jours. La même disparité existait au niveau des travailleurs des ports. Les archives de la grande compagnie maritime américaine Farrell Lines montrent qu’en 1955, les cinq sixièmes du montant total des salaires payés pour le chargement et le déchargement du fret entre l’Afrique et l’Amérique allaient aux ouvriers américains contre un sixième aux Africains. Pourtant, on déchargeait et chargeait les mêmes quantités de fret des deux côtés. Les salaires versés aux dockers américains et aux mineurs permettaient quand même d’assurer aux bénéfices des capitalistes. Il s’agit ici simplement à quel point le degré d’exploitation des travailleurs africains était élevé.

Lorsque, au cours de la période coloniale et par la suite, l’accent était mis sur de telles disparités, ceux qui trouvaient des justifications au colonialisme se hâtaient de répondre que le niveau et le coût de la vie étaient plus élevés dans les pays capitalistes. Le fait st que c’est l’exploitation des colonies qui permettait un niveau de vie plus élevé, et rien ne pouvait justifier le maintien d’un niveau de vie si bas en Afrique, à une époque et dans une situation où il était possible de l’améliorer, à cause du travail fourni par les Africains eux-mêmes. Le genre de niveau de vie que pouvait assurer le travail des Africains à l’intérieur du continent peut être facilement illustré par les salaires et le style de vie des Blancs vivant en Afrique.

 

Obambe GAKOSSO, June 2014©

__________________________________

* : On l’appelle désormais DRH (Directeur des ressources humaines)

** : Certificat d’aptitude professionnel

*** : Et l’Europe sous-développa l’Afrique… Analyse historique et politique du sous-développement, Éditions Caribéennes, 1986 (le livre en anglais étant lui sorti en 1972)

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