RIP, Daniel Biyaoula!
Il est des nouvelles…
C’était hier soir.
Par un coup de fil : « Tu as appris la mort de Daniel Biyaoula ? »
J’ai accusé le choc sur le coup et c’était d’autant plus embêtant que j’étais hors e chez moi et, ironie du sort, une heure plus tôt, la causerie tournait autour de la mort. Cela faisait un moment qu’on ne s’était pas vus et plusieurs décès étaient survenus dans mon entourage immédiat. Et voilà que, boum !!!
Et la maîtresse de maison de dire que ce nom, « Biyaoula » lui parlait. Il lui semblait qu’elle avait déjà lu un de ses livres. Essayant de surmonter mon choc, je les laissais là, non sans les avoir fait rigoler (surtout elles : la maman et les filles) au sujet du modèle d’attache de foulard appelé Biyaoula, au Congo-Rive droite.
Oui, dans les années 60, un certain Fulgence Biyaoula voulait quitter le Congo. Avec la chute de l’abbé défroqué Fulbert Youlou et l’arrivée à la présidence d’Alphonse Massamba-Débat, lui, le leader de la CATC (Confédération africaine des travailleurs croyants) ne se sent plus en sécurité dans le coin et il décide de s’enfuir, en direction de Léopoldville (pas encore Kinshasa). Pour cela, il se déguise en femme et se met un joli foulard bien attaché sur sa tête. Hélas ! pour lui, il sera rattrapé et arrêté au beach avant d’embarquer.
Le « Biyaoula » était né…
Lui, c’est le grand-frère. Né le 30 octobre 1936 à Mfoa. Il avait un cadet. Daniel Biyaoula, de 17 ans son cadet, né le 11 novembre 1953. Il fait son école primaire à Linzolo (Pool, sud du Congo) ainsi que son collège. En 1972, il se retrouve au lycée Pierre Savorgnan de Brazza (arrondissement 2, Bacongo) de 1972 à 1975. Bac en poche, c’est en France (Reims) qu’il entame ses études supérieures, à la fac des sciences où il étudie la biologie (de 1975 à 1981). Il se retrouve alors à Dijon où, comme le monde est petit, il côtoie un de nos blogueurs préférés et intervenant de cet espace, Raphaël Adjobi. Il décrochera à Dijon un doctorat en microbiologie.
Si je parle de sa mort aujourd’hui, si je tente (assez difficilement, je dois reconnaître) de lui rendre hommage, c’est parce que c’est via ses textes que je l’ai « connu ». Il fait partie de ces nombreux auteurs congolais que j’ai lus et dont j’ai adoré les livres, mais que je n’ai pas eu l’occasion de visu. Et je le regrette.
Vivement !
Amèrement !
3. L’homme a écrit 3 romans et je suis parfois tenté de dire, « 3 seulement…. Comme c’est dommage ! » Dommage car les trois romans (qui constituent une trilogie) sont de très grande qualité. Je les ai tous aimés et deux particulièrement que j’ai adorés. Oui, celui que je mets en dessous des deux autres est La source de joies (Présence Africaine, 2003).
Dans ce roman, l’amitié est mise à rude épreuve et, à la fin de sa lecture, on ne peut que se poser des questions sur le sens à donner à ce mot, si noble mais si galvaudé en ce monde où le premier qui passe devant vous se dit être votre ami (sans la moindre ironie) et vous plante une hache, une sagaie, une machette et un couteau dans le dos à la moindre occasion. Mais le plus terrible, c’est quand même un canif, un tout petit canif vous est planté par un ami, mais un vrai, cette fois-ci. C’est ce qui arrive à ce groupe d’amis avec la disparition de l’un d’entre eux, sur fond de politique, de « réussite » sociale et d’« échec ». Je ferme les yeux et je repense à ces deux mots : qu’est-ce que la réussite ? Qu’est-ce que l’échec ? Voilà pourquoi je les mets entre « ». Jusqu’où peut-on trahir son ami pour ce fameux matériel après lequel on court tant ?
Agonies (Présence Africaine aussi, 1998) est le deuxième volet de cette trilogie. Dans mon classement, c’est le deuxième que j’ai apprécié, aimé puis adoré. On est en plein dans une banlieue occidentale et l’amour est au rendez-vous. L’amour et la haine, il faut dire. Jusqu’où un homme est-il prêt à aller par jalousie et se venger contre celui qu’il croit être son ennemi. J’avais rigolé en lisant ce livre.
L’impasse (Présence Africaine, 1996) est pour moi LE roman, le livre par excellence de D. Biyaoula. Le n°1 de cette trilogie est à mes yeux un chef d’œuvre. Par sa qualité, par sa densité, par les émotions que l’on ressent en le lisant. Je pense à Kala* qui après plusieurs années en Occident, rentre en Afrique. Hélas ! pour lui, le décalage est trop immense entre lui et les siens. Tout le monde le regarde comme un homme venant de Jupiter ou de Pluton.
Ces trois romans de Biyaoula sont d’un pessimisme impressionnant sur le destin de notre peuple, de notre continent, que les scènes se passent en Occident ou en Afrique.
Oui, je regrette qu’il n’ait pas commis plus de romans que cela…
D. Biyaoula ne s’est pas arrêté au roman, même si c’est surtout cela que le grand public a retenu de lui. Il a tâté aussi de la nouvelle mais il faut chercher pour trouver. Je me souviens du Destin de Zu (Présence Africaine, 1997, pp. 171-176). Là, on est en plein cœur de la dualité, du combat entre le neuf et le vieux. Comment un conteur, élevé à l’ancienne, va-t-il réagir devant ce drôle de concurrent qu’est la télévision ? Cette boîte magique qui attire parents mais surtout enfants, ne va-t-elle pas lui faire fuir son public ?
Il a écrit une autre nouvelle dont le titre est Le dernier homme. Impossible d’en dire le moindre mot car je n’ai jamais pu mettre la main dessus.
En 2001 était publié sa nouvelle, Le mystère de la tortue (Nouvelles congolaises, n° 34). Bon, j’ai été assez bavard et comme on est en littérature, un extrait de cette nouvelle en disant à ce cher aîné qui vient de nous quitter à 61 ans, bon voyage à Longa, en espérant que les ancêtres te fassent l’accueil digne que tu mérites tant car tu n’auras pas vécu pour rien.
De par toutes ses richesses, Tà Ngouamboulou présidait le conseil des sages de la région. Et on lui attribuait des pouvoirs exceptionnels pour ce qui concernait les choses de l’invisible. Et il était craint. Disons, pour être plus exact, qu’un sorcier aurait réfléchi longuement avant d’oser prendre la décision de s’attaquer à lui. D’autant qu’il avait entre autres la tortue et le pangolin comme totems. Il était carapacé en somme. Bref, Tà Ngouamboulou n’était pas n’importe qui. Et, de ses pouvoirs qui l’auréolaient d’une indiscutable majesté, il tirait d’énormes satisfactions, il va de soi ! D’ailleurs, par quel miracle cela n’aurait pas été ! ? Il aimait voir les gens se figer à son passage, se courber devant lui. Il aimait sentir suinter d’eux cette humilité qui les gagnait face à sa grandeur quand ils s’adressaient à lui ; cette déférence qu’on observait devant lui, ces révérences qui honoraient son auguste viande. Même des vieillards qui le faisaient, dont le visage était plus ravagé, plus tapissé de rides que le sien. Des sages, donc. Eh bien, tout cela lui redressait les poils du corps de plaisir, à Tà Ngouamboulou ! Si bien que, vu qu’on les lui servait tous les jours, ces manifestations, c’était devenu pour lui une sorte d’habitude. Presque une nécessité. Comme de manger. Et lui seul, par sa naissance, son pouvoir, sa puissance et tout le reste, y avait droit, dans la région. C’est-à-dire de quoi vous gonfler la tête. Heureusement qu’il bouffait et qu’il allait au petit coin comme tout le monde, Tà Ngouamboulou, autrement, pour un vrai dieu qu’il se serait pris.
Tà Ngouamboulou était l’un des rares gars de la région qui portait des costumes. Certains enfants de Loukouo partis à la ville de M’foa y étaient revenus ainsi vêtus. Et les villageois les admiraient, les appelaient « les Blancs de Loukouo ». A partir de là, Tà Ngouamboulou s’aperçut qu’il lui manquait quelque chose, qu’il lui en fallait aussi, des costumes. Depuis lors, il en mettait. Même quand il allait à ses champs. Ce qui n’était pas commode, évidemment. Mais sa stature l’exigeait. Et puis, cela le particularisait encore plus.
Obambe GAKOSSO, May 2014©
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* : Témoignage lu sur un réseau social, notamment sur le mur de l’auteur et blogueuse Liss Kihindou.
** : Selon la prononciation, cela peut signifier charbon ou refuse. Dans ce roman, on fait allusion au charbon.