La République populaire des dons
Brasco, vous connaissez ?
Pardon, cette question s’adresse plutôt aux Congolais et aux Congolaises. De la rive droite du Congo, s’entend.
Pour être précis, elle s’adresse à toutes celles et à tous ceux qui vivent dans cette contrée.
Brasco est une entreprise de fabrication de boissons. Ce sont les « Brasseries du Congo ». On y trouve des boissons sucrées, appelées par les Congolais « jus » et aussi de la bière. J’aurais dû dire « mais aussi et surtout de la bière ». Rien à voir donc avec le rappeur guadeloupéen.
Je vous en parle ce mercredi 15 mai 2014 non pas pour en faire la publicité (ils n’ont vraiment pas besoin de moi et d’ailleurs je n’y gagnerai vraiment rien), mais encore une fois pour revenir sur cette épineuse affaire des dons. J’ai signé et je persiste à penser et à affirmer que le Congo est devenu une République des dons. Des dons qui font que l’effort personnel, tel qu’il nous est enseigné par nos parents, tel que ces derniers nous l’enseignaient, tel que l’école publique (donc l’État) nous l’enseignait, n’a plus vraiment de sens dans ce pays.
Du fait de plusieurs raisons que je ne prendrai pas la peine de rappeler ici, le Congolais moyen a été reformaté par l’État-PCT* de sorte que pour lui, il est devenu normal de voir à longueurs d’émissions de télévisions des ministres, des Directeurs de cabinets, des Directeurs généraux d’entreprises publiques, des escrocs appelés « opérateurs économiques » se transformer en donateurs publics.
C’est une sorte de course au mbil’esobe** à laquelle nous assistons avec ces hommes qui piochent d’une part dans les caisses de l’État pour offrir à la plèbe un tee-shirt, un sac de riz, un carton de savon et qui, d’autre part, ne font pas (en tout cas pas comme il se doit) le travail pour lequel ils sont payés.
Dans ce pays, cela ne choque, apparemment, personne, que nous assistions à une telle débauche de distributions de tout et de rien envers la populace qui, malgré elle, est bien obligé non seulement d’accepter cela mais en plus de faire semblant d’acclamer ces margoulins qui, sourire aux lèvres, ont l’illusion d’être « aimés » et d’être « populaires »…
Sourions…
Il nous reste au moins cela.
Si encore ces dons avaient lieu de façon discrète, sans que les caméras de télé Congo ne soient là pour témoigner de la légendaire « générosité » de ces bonnes, on pourrait se dire « Bon ! allez… », mais il y a vraiment comme une forme aggravée d’indécence de nous jeter cela au visage, comme si nous devrions regarder TV Congo pour ça.
Sourions, disais-je !
Au Congo, en ait, il n’y a pas que ces gens qui se livrent à cette débauche de démonstrations, comme le chrétien et le musulman qui sont persuadés que leurs dons peuvent racheter tout le mal qu’ils font à leurs compatriotes, au quotidien. Il y a aussi les entreprises privées.
Si je peux mieux accepter la démarche de ces dernières, à condition qu’elles gagnent honnêtement leur argent, paient leurs impôts, versent des revenus corrects à leurs collaborateurs, n’empoisonnent pas la population avec les produits que nous connaissons hélas ! trop bien.
Par contre, je pense qu’il y a des limites à ne pas dépasser. L’image du jour que je vous sers (voire plus haut) est celle d’une école congolaise. Pour être précis, il s’agit de ce que nous appelons au Congo « table-banc » car la chose est composée d’une partie « banc » où les enfants posent leurs séants et d’une partie « table » où ils posent leurs mains, leurs bras, leurs cahiers et leurs autres instruments de travail scolaire.
Qu’y voyez-Vous ? Un don de la « Fondation Brasco ». Comment un enfant peut-il commencer la vie, peut-il être éveillé en commençant par des mots et une image pareils ? Non seulement je me demande si ceux et celles qui font des dons réfléchissent un peu, ne serait-ce que quelques nanosecondes, avant d’agir, ceci d’une part et, d’autre part, je ne comprendrai jamais comment un dirigeant d’école peut laisser passer des choses pareilles.
Oui, nous savons qu’au Congo, l’État a démissionné de sa mission régalienne d’éduquer et de former les enfants. On le sait.
Nous savons que ce même État n’estime pas important, utile ni nécessaire que les enfants ne soient pas assis à même le sol quand ils suivent leurs cours.
Mais tout de même, sont-ce des raisons pour laisser la porte ouverte, sans oublier les fenêtres, à toutes les dérives possibles ?
C’est le même État qui jette l’argent des Africains par les fenêtres nuit et jour en organisant des séminaires, des colloques, des conférences et des-je-ne-sais-quoi d’autres machins et trucs sur ce qu’il appelle lui-même « antivaleurs »…
Décidément, le ridicule ne les tue vraiment pas. Eux !
Obambe GAKOSSO, May 2014©
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* : Quand je dis ici « PCT », il faut retourner à la création de ce parti avec tous les caciques de l’époque et les apparatchiks qui se sont succédé jusqu’à ce jour, y compris donc les périodes André Milongo (14 mois de 1991 à 1992) et Pascal Lissouba (5 ans et des poussières de 1992 à 1997). Il y avait dans ces équipes des anciens membres du PCT, Parti congolais du travail, qui avaient eux et elles aussi bénéficié du lait et du miel qui avaient coulé naguère.
** : Transposition personnelle de « course à l’échalote »