« La naissance du Panafricanisme », par Oruno Lara
Le Panafricanisme !
En voilà une chose qu’elle est tellement belle, tellement mystérieuse que tout le monde veut en parler paraître en être un expert plus expert encore que ceux qui y travaillent au quotidien, parfois depuis des décennies ! Cela me fait souvent à un drôle de phénomène qui a lieu régulièrement sur la rive droite du Congo. Quand, en 1990, la plèbe a eu le droit de créer des écoles privées, on en a vu partout, et, à ce jour, dans quasiment chaque rue de nos deux plus grandes villes, il y a une école privée. Que ce soit une salle ou vingt, on appelle ça école privée.
Quand il y en a qui construit un hôtel, tous ceux qui ont un peu de pèze se mettent à faire autant. Un tel moutonnisme, il faut le faire.
Depuis des années, je discute avec des gens qui disent connaître le Panafricanisme sur le bout des doigts. Souvent, je m’intéresse à leurs lectures. Ou plutôt, j’essaie de m’y intéresser. Je me rends compte que ceux qui n’y connaissent rien sont ceux qui font le plus de bruit à ce sujet, sur cette idée extrêmement noble. Le pire c’est qu’ils sont souvent incapables de me citer un seul livre, un seul article, un seul penseur du Panafricanisme. Ce sont souvent ces gens qui font le plus de mal au Panafricanisme.
C’en est consternant !
Pitoyable !
Pathétique !
Quand un individu dit « Le Panafricanisle est une escroquerie intellectuelle ! » Posez-lui la question de savoir ce qu’il entend par là, et il vous dira « Au Congo, on chasse les Zaïrois* ! » Et il est où, le rapport entre les décisions politiques des dirigeants de Mfoa et le Panafricanisme ? D’autres nous ressortent l’OUA devenu UA**.
Mais, diantre ! combien de fois devrons-nous répéter que l’OUA/UA c’est tout sauf le Panafricanisme ? Combien de fois faudra-t-il hurler que l’OUA/UA a consacré la berlinisation de Kama et que par conséquent c’est tout le contraire du panafricanisme ?
Oruno Lara est un Africain de la Guadeloupe. Voilà un homme qui a écrit un livre*** qui fait autorité. Un véritable bijou, un joyau qu’il faut absolument avoir dans sa bibliothèque, aussi modeste doit-elle être
Oui, le Panafricanisme, comme idée, comme idéologie, est née au sein de la diaspora africaine. Ce sont des Afrodescendants qui ont lancé l’idée et il ne manque pas dans la Caraïbe, aux USA etc. des textes qui e font état depuis des lustres. En cela, cet ouvrage que j’avais lu et que j’ai relu est plus que passionnant. Essentiel même. Organisé en des chapitres bien clairs avec des explications et des références que tout le monde peut vérifier pour corroborer son propos.
Dès la page 9****, on brûle d’en découdre car l’auteur dit On a longtemps cru que le mouvement panafricain émanait de plusieurs brillantes personnalités disséminées ça et là dans le monde colonial au tournant des XIXe et XXe siècles. Or, quatre décennies de recherches m’ont incité à tenir compte de la complexité de l’histoire. Ayant repris le dossier du panafricanisme pour mieux circonscrire les racines, je m’aperçois qu’il émerge dans le sillage de la suppression de la Traite négrière, aux marges du Système esclavagiste.
L’idée panafricaniste se précisa aux Caraïbes et en Amérique du Nord (…) au XIXe après une longue et parfois violente confrontation opposant les autorités et les propriétaires esclavagistes aux Nègres libres et aux Nègres esclaves. Á la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle les planteurs des Caraïbes et des États-Unis entreprirent de se débarrasser des Nègres libres qui constituèrent selon eux, un danger menaçant. Les premiers à trouver une solution furent les Anglais. (…)
Le long de l’ouvrage, les noms des illustres devanciers de Oruno Lara ne cessent d’être cités, preuve que l’homme connait son sujet et sait ce que lui, ce que nous devons tous et toutes à ces grands hommes qui durant leurs vies, nés dans des plantations, se sont battus pour que nous soyons libres. Il y a aussi ceux qui, nés libres, se sont emparés des problèmes et des Noirs de la Caraïbe, et des Noirs du continent, pour n’en faire qu’un et se mettre à les défendre becs et ongles, comme une maman-poule prête à lutter même contre un éléphant pour défendre sa progéniture. Les Joseph Jenkins Roberts (1809-1876), Edward Wilmot Blyden (1832-1912), empereur Ménélik II d’Ethiopie (1844-1913) Joseph Anténor Firmin (1850-1910), Marie-Joseph Benoît Dartagnan Sylvain dit Bénito Sylvain (1868-1915), William Edward Burghardt DuBois (1868-1963) et autres Henry Sylvester Williams (1869-1911) sont tous cités avec des références sur leurs parcours exceptionnels et les combats qu’ils ont menés, dans la longue lutte pour la reconquête de la Liberté du peuple africain.
De la page 134 à la page 163, c’est Blyden, sa vie, ses combats et son œuvre sont passés au crible. Natif de Saint-Thomas (sous domination danoise à cette époque). Il est envoyé au Liberia afin de « civiliser l’Afrique » : mon Dieu !!! Á la fin de ses études, il est nommé Commissaire du gouvernement libérien pour les USA. Il se battra afin de contribuer au retour en terre africaine, notamment au Liberia, des Africains vivant en Amérique.
Anténor Firmin a les honneurs de ce livre entre les pages 164 et 183. Voilà un homme qui, le premier, a taillé en pièces les idées du négrophobe Joseph Arthur de Gobineau, de très sinistre mémoire. Ce dernier, était un comte d’origine bordelaise (Sud-Ouest de la France) devenu célèbre suite à son essai intitulé Essai sur l’inégalité des races humaines. Oruno Lara dit bien, rappelle comme il se doit que Gobineau répète à ce sujet ce qu’écrivaient ou disaient les colons, naturalistes ou voyageurs, missionnaires, soldats ou commerçants. Il n’a donc parlé des Noirs que par ouï-dire ou par ses lectures.***** Les Noirs y étaient décrits de la pire des manières et tous les stéréotypes que nous connaissons sur nous y étaient repris et répertoriés. Anténor Firmin qui arrive à Paris (comme diplomate pour le compte de son pays, Ayiti), il trouve en librairie la seconde édition de l’ouvrage de Gobineau paru en 1884 deuxième tome. Après mûre réflexion sur la voie à suivre pour donner une réponse appropriée à Gobineau, il décide de rédiger un livre (paru en mai 1885).
Anténor Firmin, se plaçant sous l’autorité d’Alexander von Humboldt (naturaliste, géographe et explorateur allemand né en 1769 et mort en 1859) et dit Que l’on suive la classification de mon maître Blumenbach en cinq races (Caucasique, Mongolique, Américaine, Ethiopique et Malaise) ou bien qu’avec Prichard on reconnaisse sept races (Iranienne, Touranienne, Américaine, des Hottentots, des Boschimans, des Nègres, des Papous et des Alfourous), il n’en est pas moins vrai qu’aucune différence radicale et typique, aucun principe de division naturelle et rigoureuse ne régit de tels groupes.******
Ce livre est un vrai régal. Ecrit par un homme qui a vécu sur le continent. Il a notamment enseigné au Cameroun où est né son fils Xangomossey (à Yaoundé). C’est un homme qui a connu l’Algérie sous les bombes françaises. Pour lui, Caraïbe et Afrique ne font qu’un. Il ne perd pas son temps à scinder, à cliver dans cette immense famille qui justement depuis des lustres ne cessent d’aller de divisions en divisions alors que nous avons tant et tant à reconstruire, ensemble, en regardant dans la même direction.
Obambe GAKOSSO, May 2014©
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* : Pour info, depuis 1997, on ne dit plus « Zaïrois », mais « Congolais », mais les gens ont vraiment du mal…
** : Organisation de l’Unité Africaine (créée en 1963) et Union Africaine (née des cendres de la précédente, en 1999)
*** : La naissance du Panafricanisme. Les racines caraïbes, américaines et africaines du mouvement au XIXe siècle, Maisonneuve Larose, 5 avril 2000, 23€75
**** : Partie I : Exposition du thème (pages 9 à 13)
***** : Page 166
****** : Page 180. Pour aller plus loin avec le magnifique travail d’Anténor Firmin, lire son ouvrage, en réponse au négrophobe Gobineau, De l’égalité des races humaines. Anthropologie positive, Paris, F. Pichon, 1885, réédité par L’Harmattan en 2004 avec une préface de Jean Métellus. Inutile de vous dire que ce livre est indispensable dans vos bibliothèques.