Epurebere, adi ibo ya ndziya yo: le blog d'Obambé Mboundze Ngakosso

Kemet (l'Afrique), les Kamit (les Africains), leurs relations avec le reste du monde, les essais qui me frappent, etc., voilà les sujets de cet espace

4 avril 2014

Lingua frança, langue de prison mentale

Classé dans : Culture,Politique africaine — Obambé Mboundze GAKOSSO @ 9 h 35 min

4 avril 1960.

4 avril 2014.

Langues

Cela fait donc 54 ans que les colons ont officiellement quitté l’enclos colonial du Sénégal et, comme c’est devenu une coutume dans nos enclos coloniaux, les hommes présentés comme les présidents desdits enclos, les veilles des dates « anniversaire », font un discours télévisé, en direct bien entendu pour parler de cette indépendance, pour parler économie, pour parler politique, pour parler unité nationale etc.

Macky Sall, né le 11 décembre 1961 et élu président le 25 mars 2012, a donc rompu à cet exercice hier soir. J’ai pris le temps de jeter un œil sur la chaîne sénégalaise 2STV Macky Sall et j’ai été consterné – encore une fois ! – quand je l’ai entendu parler. Monsieur parlait tranquillement en français. Le plus naturellement du monde. Et j’ai éclaté de rire quand il a dit qu’il félicitait les Anciens combattants sénégalais pour leur « débarquement en Provence », vu que cette année, cela fait 70 ans que nos pères et grands-pères étaient arrivés dans le Sud de la France pour libérer ce pays, le pays de leurs prétendus ancêtres gaulois, du joug nazi.

Combien de Sénégalais savent-ils ce qu’est la Provence ? Est-ce un plat pour eux ou une planète très lointaine ? Quand nos élites politiques parlent en public, ont-ils conscience qu’en général personne ou pas grand-monde ne les comprend ? Nous aimons le « gros français ». Des mots et des noms ronflants et au final, rien n’est dit en final de compte.

Flash-back !

En octobre 2007, Macky Sall, membre de la majorité parlementaire est président de l’Assemblée nationale (AN) du Sénégal. Il décide de convoquer Karim Meïssa Wade, fils de l’alors président de la République, Abdoulaye Wade, pour des explications concernant l’Organisation de la conférence islamique (ANOCI) dont Wade fils était le patron. Si pour tout le monde, en se rendant à l’AN, le rejeton Wade se retrouvera en réalité devant un tribunal, il y a un autre aspect qui fait le plus peur au clan Wade et aux amis de Karim Meïssa : il sera interrogé en wolof, langue dont il n’a pas une aussi bonne connaissance de Macky Sall et d’autres membres de l’AN chargés de l’interroger. Wade père protégera son fils et annulera cette convocation.

Pourquoi donc Macky Sall qui voulait faire interroger Wade fils en wolof s’obstine-t-il à faire des discours envers son peuple en français alors qu’il sait que la majorité des Sénégalais ne parle, ni n’écrit, ni ne lit, ni ne comprend la langue des Français ? Pour faire beau ? Pour faire intellectuel ? Pour plaire au Quai d’Orsay et à l’Elysée ?

Le 29 décembre 2013 dernier, nous organisions à Paris les 90 ans de la naissance de l’Wsir Cheikh Anta Diop, CAD (1923-1986) et, à cette occasion, nous avions invité Dialo Diop, médecin virologue (il exerce à Dakar) et actuel Secrétaire général du RND (Rassemblement national démocratique, le dernier parti politique crée par CAD. Il a dit ce jour-là une chose que sans doute beaucoup de Sénégalais savent mais que nous, qui ne vivons pas dans cet enclos colonial, ignorions totalement (moi en tout cas). En effet, seuls 15% de la population sénégalaise parle le français. En s’exprimant en français, Macky Sall exclut de fait 85% de ses compatriotes qui n’y comprennent rien, mais alors, rien du tout. Est-ce vraiment responsable de se comporter ainsi ?

Dès que la question de l’aliénation mentale, culturelle est évoquée, les français crient au scandale et disent que nous les insultons et les injurions. Pourtant, là aussi, il est essentiel, fondamental, de revenir à nos basiques au lieu de raconter tout et n’importe quoi comme les thuriféraires de la françafric en sont un peu trop – hélas ! – coutumiers. Un alien est un mot qui veut dire « être étranger à quelqu’un ou à quelque chose ». Tout simplement. Ce que nous, Panafricains, Afrocentriques, adeptes du retour au Back II Africa appelons donc « Aliéné », c’est tout simplement un être qui est devenu étranger à lui-même. Á sa culture. Á son histoire. Á sa spiritualité. Etc. Je n’ai jamais eu la prétention de me dire désaliéner car on n’efface pas comme par un coup de chiffon sur un tableau les conséquences de plusieurs siècles d’une vaste politique d’aliénation, de déshumanisation de tout un peuple. Les envahisseurs, quand ils mirent les pieds chez nous, avaient une vraie politique de destruction de notre peuple. Ils aimaient l’Afrique, mais sans les Africains. Ils ne nous ont pas tous tués physiquement, mais mentalement, ils ont réalisé un chef d’œuvre et il suffit donc de revenir sur le discours de Macky Sall. Il a utilisé des mots certes qu’un homme comme moi, en toute modestie, peut comprendre, mais quid du Sénégalais moyen ?

Que fait-on pour, de cet Africain qui ne comprend rien à cette langue qui n’est pas la nôtre – il n’y a aucune honte à le reconnaître – et qui ne fait que nous causer mille et un tracas ?

Comment peut-on tous les jours parler e développement (c’est quo, déjà ?) ou d’émergence (nouveau mot à la mode, creux, vide de sens) en excluant délibérément une partie de la population et, qui plus est, la majorité ? Nos élites sont plongées comme dans un formol du déni de la réalité qui explose les limites de l’irresponsabilité, collectivement. Au Congo, je ne me souviens pas une seule fois (1979-1992 ; 1992-1997 ; et depuis lors) avoir entendu Denis Sassou Nguesso et Pascal Lissouba faire les discours du 31 décembre et du 14 août en kikongo ou en lingala, nos langues nationales, parlées par la plèbe. Et là, on nous sort des mots comme « agrégats économiques » ; « prix du baril » (puisqu’au Congo, on ne sait parler que de pétrole) ; « PIB, PNB, taux de croissance » etc. Je ne prends que ces deux exemples, qui sont les plus récents.

Le Mwalimu Julius Kabarange Nyerere (1922-1999) a dirigé la Tanzanie des décennies durant. Il parlait, lisait, écrivait mieux l’anglais que le swahili, lui, l’instituteur de formation. Pourtant, quarante ans durant, il a parlé à son peuple en swahili. Point. Voilà un homme qui savait qu’il venait du peuple, qu’il lui devait tout et qu’il avait intérêt à ne pas s’en éloigner. Les choses sont pourtant d’une simplicité et d’une banalité affligeantes : parler à une foule de gens dans une langue que cette foule ne comprend pas est une perte de temps. Perte de temps pour ces pauvres gens qui auraient eu sans doute mieux à faire que de griller sous le soleil à écouter des inepties. Perte de temps pour le politique qui lui aussi aurait mieux fait de rester dans un bureau et à bosser ses dossiers.

Il suffit d’aller dans nos administrations pour nous rendre compte de l’ampleur des dégâts. Combien d’actes administratifs ne sont pas truffés de fautes ? Quand on a un document où il est écrit « DUPLICAT », on se demande si la personne qui l’a rédigé n’a pas envie de faire quitter le Congo de la francophonie pour l’amener de force dans le Commonwealth…

Il est plus que temps que dans nos contrées il soit posé la question de l’enseignement de nos langues, dans nos langues. Certaines expérimentations existent le succès est au rendez-vous : le Burkina Faso est le meilleur exemple que j’aime citer, en terre soi-disant francophone. CAD avait démontré combien l’enseignement pour un enfant, dans sa langue maternelle lui facilitait la compréhension des sciences dures (maths, physique, chimie et biologie) et l’enfant ne pourra qu’exceller, mieux en tout cas que le pauvre gamin qui parle wolof depuis sa naissance, à la maison, dans son quartier et qui à l’école est obligé de tout apprendre en français.

Les moyens existent. Il ne tient qu’à nous de nous y jeter.

 

Obambe GAKOSSO, April 2014©

 

 

 

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