Il faut voter, malgré tout
J’ai été interpellé cette semaine au sujet de la politique française. Notamment les élections municipales dont le premier tour a eu lieu dimanche 23 mars 2014. Je vous rassure : les quelques personnes qui voulaient que j’aborde la question voulaient le point de vue de l’Africain que je suis.
Quel regard ai-je là-dessus ?
Comment expliquer la débâcle des socialistes en particulier et de la gauche en général ?
Le plus intéressant sans doute, c’est un jeune frère qui voudrait un jour se lancer dans la politique, qui vit en Occident, qui se dit de gauche et qui aimerait soit faire de la politique en France (où il est né et qui est aussi le pays où sa mère est née) ou bien en Afrique, où il a grandi et où son père est né.
Il faut dire pour commencer que la passion que je pouvais nourrir pour une élection se déroulant en Europe est vraiment éteinte en moi, quand je compare avec l’attention que j’en portais quand je vivais encore à Kama. Élève, étudiant, je ne pouvais manquer la moindre soirée électorale et les analyses de tous les protagonistes, y compris les politologues, les sondeurs et les journalistes etc. J’écoutais tous et quand et j’achetais les journaux qui en parlaient.
Il y a quelques années encore, j’avais la même attitude et les lundis qui suivaient les votes, je me jetais sur Le monde, Libération, Le Parisien pour ne citer que les trois-là et je prenais le temps de décortiquer les chiffres, régions par régions, villes par villes. Oui, ça doit vous faire rire quand vous avez l’habitude de lire ce que j’écris au quotidien sur mon blog.
Je reconnais. Mais je ne regrette pas ce temps-là où je pouvais rester devant la télévision en train de tout scruter jusqu’à minuit voire plus, pour écouter, regarder, voir, entendre et essayer de comprendre.
Mais ce temps-là est bel et bien fini et il appartient à un passé qui n’est pas prêt de revenir. Sauf erreur ou omission de ma part car jurer, on sait ce que cela peut entraîner : La parole prononcée est notre maître tandis que celle qu’on n’a pas dite est notre esclave.
Je me souviens du début des années 2000. Un frère m’avait sorti une phrase qui certes m’avait fait rire mais qui est assez révélatrice de certains préjugés que nous avons, préjugés servis par une histoire douloureuse où tout ce qui vient du Nord de la Mare Nostrum est forcément bien et tout ce qui vient d’en bas est à nettoyer sans cesse pour avoir un bon résultat. Le frère avait dit « Avant de venir en France, je croyais que Chirac était bon. Depuis que je suis ici, je me rends compte qu’il est vraiment nul. »
Contrairement à lui, je n’ai jamais considéré Jacques Chirac comme étant quelqu’un de « bon », sur le plan de la gestion de la cité. Certes, la France lui doit la création de l’ANPE (ancêtre de Pôle emploi) et, en tant que Premier ministre du président Valéry Giscard d’Estaing (1974-1976), il avait fait preuve d’une énergie extraordinaire. Mais pour quels résultats ?
De tous les présidents de la cinquième république, je persiste à dire qu’il a été le plus nul. Que retient-on de positif de ses douze ans de présidence ? La sécurité routière avec un nombre de morts qui a diminué. Sur le plan international, c’est son fameux « Non » à George W. Bush qui voulait entraîner le monde entier pour aller brûler les Bédouins en Iraq. Pour le reste, zéro pointé. Cet homme a été un roi fainéant qui a passé son temps à manger, à boire, à dormir et à inaugurer les chrysanthèmes.
Ce que l’on peut reprocher à un homme comme Chirac, il faut reconnaître qu’ils sont nombreux en France qui mériteraient un traitement identique, avec la même dose de tranquillisants et suramplificateurs. Pendant les campagnes électorales en France, on entend tout et son contraire. Á les entendre, on a même l’impression que rien n’a jamais été fait avant et que eux arrivent avec :
- La Fontaine de jouvence ;
- Le produit qui engrossera les femmes stériles ;
- Le fluide qui rendra la vue aux aveugles ;
- La poudre qui donnera de la neige aux commerçants qui vivent des sports d’hiver pendant qu’en même temps cette poudre permettra à ceux qui ont besoin du soleil de vendre leurs glaces, leurs lunettes de soleil etc.
La débâcle de la gauche (en général) et des socialistes (en particulier) est ce qu’il y a de plus logique et cela ne devrait surprendre personne. Peu importe la ville. D’une part, je ne crois pas aux sondages et cela fait des années que ça dure. J’ai eu le bonheur, dans d’autres vies de travailler pour des instituts de sondages et je le redis sans cesse : c’est du très grand n’importe quoi. Et je vous prierai vraiment de me croire (je ne vous le demande pas souvent car je ne suis pas une église). En 2008, un après la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, la droite avait connu une véritable hémorragie en perdant 90 municipalités de plus de 10.000 habitants. Aujourd’hui, les estimations disent que la gauche pourrait en perdre après-demain dimanche entre 110 et 150. Ce qui rend la saignée encore plus immense. Cela est pourtant normal pour des élections à mi-mandat. Et je ris quand je vois la droite se frotter les mains en disant que cela est un désaveu de la politique de François Hollande. Possible. Mais eux aussi, donc, ont été désavoués entre 2008 et 2012 car il faut dire que la droite a perdu toutes les élections organisées durant cette période et la gauche aussi est bien partie pour subir le même sort en avril prochain avec les élections européennes à venir.
Le taux d’abstention est très élevé. Oui, et en France, il est de plus en plus fréquent de voir les électeurs bouder les urnes. Que des Français, qui sont nés ici, qui n’ont jamais quitté leur pays se comportent ainsi, j’ai un peu de mal à le comprendre, mais bon… Quand je pense par contre à celles et ceux qui sont nés en Afrique ou qui y ont grandi, là, je ne comprends pas et ils sont nombreux (je parle de mon entourage et en interrogeant, je ne suis pas le seul à faire ce constat), les nôtres aiment bouder les urnes. Et si un autre 21 avril arrivait, ils seront les premiers à pleurer et à aller veiller devant les écoles pour faire « barrage au Front national ».
Ce taux d’abstention élevé fait mal à la gauche, pour celles et ceux qui cherchent des explications à la débâcle de la gauche. De mon modeste point de vue, j’ai constaté que les électeurs de gauche ont une capacité de démobilisation extraordinaire car ils ont des exigences de qualité qui m’impressionnent : « Pas assez à gauche ! » ; « Trop rose ce gouvernement ! » etc. Voilà ce que j’entends souvent. Même du temps de Lionel Jospin (1997-2002), je lisais et entendais cela.
Á droite, on ne se pose jamais ce genre de questions : peu importe l’animal choisi pour porter les couleurs, qu’il soit un cheval ou un âne, on l’enfourche et on va au combat. Point.
Je me trompe ? Peut-être. Je ne suis pas badé de certitudes.
Pour conclure à mes interrogateurs, je réponds souvent qu’on ne fait la politique pour regagner des élections (seulement). On est élu, normalement, pour appliquer son programme. Un programme que les gens sont censés avoir lu et avoir compris ou au moins plus de 50%. Hollande lors de l’élection avait présenté un catalogue qui, semble-t-il avait plu aux électeurs puisqu’une majorité des votants lui avait accordé leurs suffrages.
Combien de ces mesures ont été appliquées ? Combien sont encore à appliquer ? Bien entendu, un homme qui est élu pour cinq ans a cinq ans pour appliquer son programme. Bien entendu, je n’ai jamais eu la naïveté de croire qu’il appliquerait que les fameuses 60 propositions. Je n’ai plus dix-huit ans pour croire en ce genre de fables.
Quand même…
De même que je savais que l’agité du bocal, Sarkozy, était plus un crocodile édenté qu’autre chose, qui n’appliquerait pas tout son programme entre 2007 et 2012 et dont les seules fois qu’on a pu mesurer la force, ce fut en Afrique pour bombarder des Ivoiriens et des Libyens.
La mesure qui m’aurait le plus intéressé, concernant Hollande, en tant que contribuable est la séparation des banques de détails et des BFI (Banques de financement et d’investissements). Y ai-je cru ? Un peu, mais vraiment un peu. Là, on a assisté à une véritable escroquerie. Une arnaque digne des politiciens français qui savent manier la farine mieux que les meilleurs boulangers de France. Je pourrais aussi citer les fameuses Class Action qui devaient être portées par Benoît Hamon, le sous-ministre de la Consommation. Comment ne pas faire confiance à cet homme, classé à la gauche du PS (Parti socialiste).
Pourtant, Dieu sait combien ces deux mesures, rien que ces deux mesures auraient changé la vie des contribuables. Pourtant, encore une fois, le pouvoir s’est couché devant les puissants. Qui sont ces puissants ? On les connaît. Ce sont eux qui véritablement ont le pouvoir en Occident (mis à part l’Islande) et qui décident en lieu et place des hommes et des femmes politiques. C’est là, encore une fois que l’on voit que les élus ne le sont que de façade dans cet Occident donneur de leçons qui exige de nous des « élections libres, démocratiques et transparentes », chaque jour que nous permettent de voir nos ancêtres.
Qui avait dit « Mon ennemi, c’est la finance ? » On parie combien qu’à la fin de son mandat cette finance ne se portera que mieux.
En rédigeant ce billet d’un peu plus de trois pages sur Word, il me revenait sans cesse les mots de Danielle Mitterrand (1924-2011). Je reprends ses mots, suite à ce qu’elle avait entendu de son mari, tout président qu’il était :
« Mai 1981 fut un mois de grande activité, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François. J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ce rêve d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, devienne réalité. Mais bien vite j’ai commencé à voir que cette France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je demandais à François : ‘‘Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais promis ?’’ Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir. J’appris ainsi qu’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant quatorze ans. Même s’il essayait d’éviter le côté le plus négatif du capitalisme, les rêves ont commencé à se briser très rapidement. […]
[…] Durant la célébration du Bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme – juillet 1989 – j’ai pu voir jusqu’à quel point nous étions soumis aux États-Unis. L’État français n’invita pas plusieurs dignitaires, en particulier des Latino-Américains. Comme par hasard, c’était ces pays-là que Washington voulait détruire. […] Je me rappelle avoir dit à François : ‘‘Jusqu’à quel point allons-nous être dépendants de l’humeur des Etats-Unis, ne pas pouvoir choisir nos invités pour nos festivités… ?’’ Ce fut une honte. […]
En France, on élit et les élus font des lois qu’ils n’ont jamais proposées et dont nous n’avons jamais voulu. […]La France est-elle une démocratie ? Une puissance mondiale ? Je le dis en tant que Française : cela ne veut rien dire ».
Les Africains ont du boulot.
Revenons vers nous-mêmes et arrêtons de copier bêtement ce qui se fait ailleurs car on nous vent du vent par des brasseurs de vent qui eux-mêmes comprennent de moins en moins ce monde dans lequel ils veulent nous emmener. Nous devons voter, où que nous soyons dans ce monde et peu importe la nationalité que nous avons. Mais gardons toujours cette lucidité qui nous évitera bien des maux et quand nous avons la possibilité d’apporter un peu de nourriture spirituelle aux nôtres, pour les sortir de leurs illusions, il faut le faire.
Obambe GAKOSSO, March 2014©