Fochivé ou l’amour de l’esclave pour son maître (la France)
Fochivé a été fauché par la mort.
Voilà un jeu de mots facile, très aisé même qui a été utilisé lorsque le 15 avril 1997, Jean Fochivé Féwou, né Aboubakarim Fochivé Féwou, en 1931 à Feintan (Foumban) était passé de vie à trépas.
Cet homme entra dans les arcanes sécuritaires de l’enclos colonial Cameroun autour de ses 20 ans, a, sa vie professionnelle durant, été associé aux mots « terreur », « tortures », « assassinats », « répression » etc. Bref! un vrai poète! C’est dire combien se sont réjoui en ce mois d’avril 1997, de la nouvelle annonçant sa mort…
Le jour où Fochivé fut révoqué pour la première fois de ses fonctions, il est intéressant de le lire et d’apprécier les mots du premier concerné: C’était un samedi, nous nous préparions à aller accompagner le chef de l’État à l’École militaire inter-armes (EMIA) où il devait présider la cérémonie de sortie d’une promotion (…) Le convoi était prêt et l’on n’attendait plus que le président de la République. C’est alors que l’un de nos plus influents ministres et l’un de nos plus influents généraux de l’époque se détachèrent et entrèrent rencontrer le chef de l’État. Sous menaces à peine voilées, ils obtinrent de lui ma révocation qui fut signée séance tenante et publiée dans l’émission militaire de l(‘après-midi. Le chef de l’État donna des instructions pour que rien ne me fut retirée. Malgré cela, ils me prirent tout, sauf la résidence.
Voilà comment, en 1984, 2 ans après le départ d’Ahmadou Ahidjo et donc après l’arrivée au pouvoir de Paul Biya, Fochivé, alors aux premières loges de la sécurité de ce territoire de plus de 475.000 kilomètres carrés, depuis le 06 janvier 1962 notamment (quand il créa le SEDOC, le Service des études et de la documentation), fut débarqué, sans autre forme de procès par un pouvoir qu’il avait servi avec une servilité (envers le pouvoir) et une cruauté extraordinaire envers les Camerounais.
Il avait tellement terrorisé ses compatriotes, il s’était tellement installé dans leurs têtes, trente-cinq ans durant, que certains n’ont pas cru un seul instant qu’il avait lui aussi ravalé son bulletin de naissance. Je me souviens même que certains autour de moi m’avaient dit que c’était une farce comme lui seul savait en jouer et qu’il devait être quelque part, dans un bureau, en train de traiter un dossier en vue de lancer des interrogatoires et des contre-interrogatoires…. Pourtant, lui, ce fils de musulman né en pays Bamoun, qui subira une éducation protestante (dont il adoptera même la foi, au grand dam de son père), était bel et bien mort, de sa belle mort…
De 1984 à 1989, il connaîtra ce qu’il appellera lui-même une traversée du désert. Durant cette période, il en sera réduit à vendre des tomates et du café, produits de son travail agricole. La fièvre typhoïde le frappera? Il n’aura même pas de quoi se soigner! Sa mère décède? Idem, ses poches sont trop trouées pour qu’il fasse face aux frais d’obsèques! Cet homme n’était plus alors que même pas l’ombre de lui-même, avec pour seul souci quotidien, la question de sa survie.
Un beau jour, Biya le fait appeler en son palais présidentiel, mais le pauvre homme n’a rien à se mettre, à part un vieux par-dessus beige (son compagnon fidèle pendant ces temps difficiles, dit-il). Sa garde-robe était tellement vieille, il n’avait plus un sou pour s’habiller… D’ailleurs, à la fin de leur entretien Biya lui remet de l’argent et lui demande de ne plus remettre ce vêtement.
Fochivé sera de nouveau limogé, du nouveau poste où l’avait placé Biya après sa première période de vaches maigres et, jusqu’à sa mort, il attendra le coup de fil de son « ami et petit-frère » pour revenir aux affaires, comme nombre de cadres qui ne peuvent exister en dehors des ors des Républiques…
Ce livre*, dont je tire ces informations, a été écrit par Frédéric Fenkam, neveu de Fochivé. Il est très riche d’enseignements quand on cherche à avoir des lumières sur le Cameroun de 1962 à 1997, même un peu avant, quand le jeune Fochivé commence à sévir. Avant de le lire, je le savais françafricain zélé. Après avoir lu, c’est encore pire: il était vraiment un esclave de la France (il le dit lui-même). Avec des gens de son acabit dans nos administrations, comment s’étonner que nous ayons autant de problèmes?
Je vous offre à lire un extrait d’échange qu’il eut avec Ernest Ouandié, leader de l’UPC (Union des populations du Cameroun), alors en cellule, après avoir été capturé par l’armée camerounaise.
Ernest Ouandié: Monsieur Fochivé, dites-moi une chose, vous me semblez un homme intelligent. Pourquoi vous prêtez-vous à cette mascarade? Jean Fochivé: Monsieur Ouandié, je ne sais pas si le mot mascarade est celui qui convient mais je ne fais que mon travail.
E.O: Et en quoi consiste votre travail?
J.F.: Á traquer les ennemis de la République.
E.O.: Et selon vous, tout homme qui n’approuve pas la politique de Ahidjo et qui la combat, est un ennemi de la République?
J.F.: Écoute, Ernest, avant d’être policier, je suis un homme, comme toi. Nous menons le même combat dans les camps opposés. Je respecte mon adversaire même quand il est battu comme tu l’es en ce moment mais je déplore ton arrogance qui frise l’inconscience. Nous sommes dans un pays de droit régi par des lois et nos législateurs ont prescrit des procédures de combats politiques parmi lesquelles ne figurent nullement les tentatives d’élimination physique.
E.O.: Que vous n’arrivez pas à prouver!
J.F.: Tu me déçois Ernest! Comment peux-tu être aussi naïf? Dans le contexte actuel, a-t-on vraiment besoin de prouver quoi que ce soit? Et à qui? Tu as parlé de mascarade, t’ai-je contredit?
E.O.: Je me posais simplement la question sur la nécessité de toute cette longue procédure jalonnée d’enquêtes et de procès pour arriver à la décision d’assassinat. Par ailleurs, je perçois dans ton tutoiement un message. Permets-moi donc de te poser une question et réponds-moi franchement: crois-tu qu’ils vont me tuer?
J.F.: Ne serait-ce pas la suite logique de la mascarade?
(…)
E.O.: Nous sommes quand même ici chez nous, que je sache. Pendant combien de temps crois-tu que nous continuerons à laisser les Français nous dicter leurs lois sans réagir?
J.F.: Ceci durera tant que des hommes comme toi n’auront pas trouvé une stratégie de lutte autre que la violence contre la nécolonialisme.
E.O.: Ce néocolonialisme ne doit son existence et sa force qu’à des gens comme vous.
J.F.: Si ce n’était pas nous, ce serait vous. Ce n’est qu’une question d’idéologie.
E.O.: Explique-moi votre choix et votre amour pour la France.
J.F.: Cela s’est déjà vu en Afrique, c’est le choix et l’amour de l’esclave pour son maître.
E.O.: Qui s’explique simplement par la peur..
J.F.: Oui, la peur d’être là où tu es en ce moment (…)
Quelques temps après cet échange surréaliste, Ernest Ouandié sera exécuté…
Obambe GAKOSSO, March 2014©
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*: Les révélations de Fochivé, livre d’entretiens avec Frédéric Fenkam, 20€, 297 pages, Éditions Minsi