La puissance d’un livre: L’Afrocentricité, de Molefi Kete Asante
Son nom sonne tellement africain. Son nom respire tellement l’Afrique qu’ils sont nombreux à le croire natif d’un de nos enclos coloniaux. Moi y compris. J’étais tombé dans le piège, l’imaginant originaire de… D’où déjà? D’une contrée où le swahili se parle comme les poissons évoluant dans leur milieu naturel.
Pourquoi? Du fait de la dernière partie de son nom, « Asante » qui signifie merci dans cette merveilleuse langue qui, je l’espère un jour, sera la langue officielle de notre structure supranationale.
Dans ce livre, l’auteur a abattu un travail colossal. Comment s’en étonner quand on sait que ce natif des USA (né Arthur Lee Smith Junior, en 1942) a déjà écrit 55 ouvrages, sans compter les nombreux articles qu’il a signés? Cet homme est un Africain et il n’y a aucun doute à ce sujet ce n’est pas qu’une question de couleur de peau. Il respire l’Afrique, il vit l’Afrique, il exprime l’Afrique, bref! l’Afrique est en lui.
Chacune de ses lignes, dans cet ouvrage remarquable, majeur dans le cadre des études africaines, montre combien il est non seulement attaché au continent de ses ancêtres (également le sien), mais en plus combien il lui voue un culte empreint de la plus grande des dévotions. J’ai rarement lu un tel attachement même de la part d’un natif du continent originel.
Dans le cadre de son travail, il ne cesse de poser des jalons, des passerelles, des ponts entre l’Afrique et sa diaspora, en tant qu’Afrodescendant. J’ai sélectionné un extrait où ces rapports sont évoqués, de manière sublime. Appréciions et que la soirée de votre dimanche soit agréable.
La confraternité et le continuum
En dépit du fait qu’un grand nombre d’Africains-Américains ne connaissent pratiquement rien sur la vie africaine, l’Afrique demeure le symbole le plus important de la mythologie africaine-américaine. Nos auteurs et poètes ont fréquemment invoqué le nom sacré, symbole de toutes nos aspirations et de tous nos efforts. Marcus Garvey en fut le défenseur le plus ardent en ce siècle. A ses yeux, aucune symbolique ne pouvait remplacer l’Afrique pour l’Africain. Il en découle que déjà, psychiquement et physiquement, par les Africains-Américains, l’Afrique a déjà été transformée en symbole. Étant donné l’emprise magnétique intense que l’Afrique exerce, la question de la confraternité africaine est des plus pertinentes. Ce qui me préoccupe ici, c’est la place que l’Afrique occupera, comme facteur réel et imaginaire, dans la redécouverte de notre passé. Cette redécouverte est intrinsèquement liée à l’élévation de notre esprit. Cette question comporte plusieurs aspects. D’un certain point de vue, nous pourrions parler du continuum africain comme nous aidant à accepter le passé. D’un autre point de vue, nous pourrions nous préoccuper de l’œuvre d’auteurs africains sur le sujet de la Négritude et de la Personnalité Africaine. Ou bien, nous pourrions encore être appelés à considérer l’interaction culturelle entre l’Afrique et l’Europe, ceci dans le but d’expliquer le symbolisme magnétique de l’Afrique. Ce sont là des tâches auxquelles je vais m’atteler, avec en outre l’intention d’indiquer les manifestations de cette confraternité qui accompagneront l’élévation de nos esprits.
Les modalités spécifiques des Africains-Américains forment un continuum de l’Afrique aux Amériques. Selon Baraka, il existe une « mémoire épique » qui soutient l’élan des Africains-Américains en Amérique. La relation entre les langues de la côte ouest-africaine et les langues des Noirs dans les Caraïbes et le Sud des États-Unis a été établie à plus d’une occasion. Le livre, Africanisms in the Gullah Dialect (1949) de Lorenzo Turner figure parmi les premiers textes linguistiques classiques traitant de langue noire. Turner montre que quatre mille expressions utilisées par les Noirs en Caroline du Sud et en Georgie peuvent être rattachées à des langues africaines. En outre, bien que certaines expressions fussent plus courantes que d’autres, les informateurs étaient capables de les identifier toutes. Dans d’autres études, Turner attira l’attention sur le fait que ces expressions n’étaient pas des mots anglais prononcés de façon fautive, ainsi que certains critiques blancs le soutinrent, mais d’authentiques mots africains. L’un des liens donc entre l’Afrique et l’Amérique se manifeste dans la langue. Nous sommes Africains et l’évolution que connut notre esprit ne révèle pas simplement notre passé, mais aussi l’essence de notre réponse à l’Occident. Un autre aspect de notre contribution linguistique africaine est la tonalité de notre voix, qui lorsque mélangée aux tond européens, créa le schéma intonatif qui est particulier au Sud. Ce phénomène ne se produisit pas ailleurs principalement parce que la densité d’Africains dans le Sud profond ne fut jamais égalée ailleurs aux États-Unis, de ce fait, le continuum africain fut directement responsable de l’impact des Noirs sur le comportement des Blancs dans le Sud.
Il existe un trait de continuité africaine encore plus impressionnant que la rétention de certains items lexicaux. Nous trouvons de nombreux mots d’origine africaine, « goober », « biddy », « okra », « o.k », « agogo », etc. mais nous ne sommes tous conscients des africanismes présents dans notre langage. N’y a-t-il donc aucune ne trace de « mémoire épique » dans notre langage ? Pour la plupart d’entre nous, même si nous n’utilisons pas d’items lexicaux africains, la marque de l’Afrique est présente. Je veux dire par là que notre caractère expressif même est un trait africain. Lorsque quelqu’un dit « Pour sûr qu’il peut rapper », ou « Il a certainement un bel effet », celui-ci réagit, affirme la présence de cette continuité en lui. Ainsi, la façon dont nous disons quelque chose compte autant que ce que nous disons. Les deux sont importants. Bien qu’il soit possible que les gens acceptent ce qu’une personne dit en raison de la valeur intrinsèque des idées exprimées, le message serait encore plus puissant s’il était bien délivré. Être bien délivré met en cause le ton, les gestes, les rythmes, et un peu de style.
Mais c’est peut-être dans le domaine musical que nous trouvons l’exemple que nous trouvons l’exemple le plus authentique de continuité. Sans aucun doute, les spirituals qui sont synonymes d’élégance artistique, les blues qui expriment notre pathos fondamental, et le jazz qui suggère toute la complexité de nos modes de communication, nous viennent de nos mémoires épiques. Les formes musicales représentent un lien continu avec les rituels et les performances artistiques de l’Afrique de l’Ouest. Parce que la musique embrasse nos traditions, elle guidera notre avenir quoi qu’il se passe dans le domaine économique, politique, et dans la société de façon générale, nos musiciens en parleront, ils guident en même temps qu’ils suivent. Ceci souligne la relation de réciprocité qui est inhérente au contexte artistique. S’il y a innovation en politique, les musiciens en traiteront dans le domaine artistique. D’un autre côté, les musiciens ont souvent essayé de donner une réalité à certains concepts présents dans notre musique. James Brown, le roi de la soul music, a prêché « Pars du bon pied », et nos politiciens ont compris le sens de cet air. Brown donne de l’énergie, l’on est enclin à dire qu’il donne de l’âme, sa musique jaillit de nos émotions collectives. Il chante ce que des millions de voix chanteraient si elles pouvaient s’exprimer, et c’est précisément là que réside la force de sa séduction. Notre art capture les aspects élémentaires de notre existence. Fela et Sony Ade du Nigeria nous montrent à quel point nous sommes un.
Obambe GAKOSSO, February 2014©