Bruly Bouabré s’en est allé, bon repos, guerrier!
Enfants, combien de fois n’avons-nous pas entendu ces mots? L’Afrique est de tradition orale (…) Les Africains n’ont jamais eu d’écriture (…)? Il y a moins de trois ans encore, un collègue, Européen m’a dit (…) Il y a des choses que je comprends mieux chez vous, les Africains, car vous n’êtes que de tradition orale. Je ne vous raconte pas comment les choses se sont terminées par la suite. Il ne vaut mieux pas.
Le temps a beau remettre les gens et les choses aux places qu’ils n’auraient jamais du quitter, les légendes ont la vie dure. Les mensonges et autres constructions fallacieuses issus de l’ethnologie coloniale résistant dans ‘esprit de certains, aux évidences et autres vérités scientifiques. Si Cheikh Anta Diop avait dit Á formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de science jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel. Patrimoine culturel.
Voilà des mots qui ont dû longtemps frappé très fort dans la tête, dans l’esprit, dans l’âme de ce grand homme qui vient de nous quitter, quelques semaines avant de fêter ses 91 ans. En effet, Bruly Bouabré, cet enfant né dans le pays Béthé, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, nous lègue un patrimoine dont nous, Africains, n’avons pas assez conscience.
D‘ailleurs, depuis quand avons-nous conscience du travail abattu par les nôtres, dès qu’il est question de la Restauration de notre patrimoine culturel? Quand prenons-nous la mesure des choses quand les nôtres font sacrifice de leurs vies dans le domaine des sciences (dures, sociales et humaines) pour le bien de notre continent? J’espère me tromper mais des hommes de la trempe de Bruly Bouabré risquent de disparaître très vite de nos radars et nous en parlerons dans 10 ou 30 ans, autour d’une bière, comme d’un homme qui a fait des choses. Point. J’en suis d’autant plus sûr que hier soir, en jetant un oeil sur la RTI*, sa mort a été annoncé comme on parlerait d’un chien écrasé dans une ruelle de Marcory. En quelques secondes, le sujet fut traité. Point.
Né à Zépréguhé, non loin de Daloa (à 383 Km d’Abidjan, plus de 260.000 habitants) avait plus d’une casquette: poète et dessinateur notamment. Pour éviter que la culture béthé ne disparaisse comme le prévoient les pans de tous les colons, il inventa un alphabet avec un syllabaire de 448 signes qui désignent individuellement une syllabe. Pour cette création, il utilisera des petites cartes en carton et il s’inspirera de figures géométriques trouvées sur des pierres de son village. Il retranscrira avec tout ce travail les contes, les poèmes et autres textes de la tradition de chez lui. Intéressé par ce travail colossal, le scientifique français Théodore Monod les publiera en 1958.
Le ciel s’ouvrit devant mes yeux et (…) 7 soleils colorés décrivirent un cercle de beauté autour de leur Mère-soleil, je devins Cheik Nadro: celui qui n’oublie pas! C’était un jour de mars 1948. Le 11 pour être précis. Bruly Bouabré avait reçu sa mission, sa feuille de route et il s’était lancé dans ce travail colossal.
Cet enfant demandera de lui-même à son oncle Lebato à être scolarisé dans ces structures coloniales que nos anciens ont bien connues. Il avait soif de connaissances et de savoir. En 1940, vers ses 17 ans donc, il fait la deuxième Guerre ethnique eurasiatique au sein de la Marine française. Après sa démobilisation, il rentre en Afrique et on le retrouve au Sénégal où il gagne sa pitance. Il repart en Côte d’Ivoire où il intègre la Fonction publique française. C’est là qu’il fait la connaissance de Th. Monod. C’est à lui qu’il présentera son travail monumental. Pour mieux illustrer ce sur quoi il travaillait et qui lui tenait tant à cœur, Bruly Bouabré dira L’alphabet est l’incontestable pilier du langage humain. Il est le creuset où vit la mémoire de l’homme. Il est un remède contre l’oubli, redoutable facteur de l’ignorance. Trouver sur la scène de la vie humaine une écriture spécifiquement africaine tel est mon désir.
L‘aîné a fait son œuvre. Charge à nous de faire en sorte que ce travail titanesque (je suis vraiment obligé de répéter que ce n’est pas rien) ne tombe pas dans l’oubli et parlons-en, disons-le à tous ces gens, Africains et non-Africains qui disent que nous n’avons jamais su écrire que ce que les enfants d’Abraham ont bien voulu nous apprendre.
RIP, Bruly Bouabré. Tu n’auras vécu en vain!
Obambe GAKOSSO, January 2014©
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*: Radio télévision ivoirienne