Abel Eyinga n’est plus
Quand on évoqué le nom de l’UPC (Union des populations du Cameroun), on a tendance à s’arrêter sur les noms des illustres disparus des années 50 à 70, à savoir:
- Ruben Um Nyobé (1913-1958), assassiné dans le maquis par l’armée coloniale, suite à une trahison ;
- Roland-Félix Moumié (1924-1960), empoisonné au thallium par un membre des services français, William Bechtel (un homme qui mourra tranquillement, à plus de 95 ans, dans les années 90…);
- Ossende Afana (1930-1966), assassiné à la frontière Cameroun-Congo ;
- Esnest Ouandié (1914-1971), fusillé par l’armée camerounaise.
Á juste titre d’ailleurs, tant leurs morts, violentes, auront marqué les esprits à jamais et tant que l’enclos Cameroun, tant que le continent ne se sera pas libéré du joug impérialiste sous lequel il ploie depuis tant de décennies, ces quatre noms seront considérés longtemps comme ceux de l’UPC. Ils feront tellement corps avec ce parti au point d’éclipser tous les autres.
Pourtant, l’UPC, on le sait très bien, ne s’est jamais limité et n’est pas du tout limité à eux. Un autre grand de ce parti, une autre figure légendaire vient de nous quitter, en la personne d’Abel Eyinga.
Durant son parcours, ce natif de la ville d’Ebolowa connaîtra un bref compagnonnage avec le pouvoir issu de l’indépendance formelle. En effet, il sera collaborateur du Premier ministre (14 mai 1960-01 octobre 1961) Charles Assalé (1911-1999) du Cameroun Oriental. Il en claquera la porte et osera défier Ahmadou Ahidjo, l’homme de la France, officiellement président de la République. L’adversité est trop costaude, il faut dire et il connaîtra alors les chemins douloureux de l’exil.
Une chose m’a toujours frappé dans la vie de cet homme, c’est son bref compagnonnage d’avec Paul Biya, successeur d’Ahidjo au palais présidentiel à Yaoundé depuis 1982. En effet, Biya et Eyinga ont logé dans la même cité universitaire, en France (Antony, région parisienne). Je ne sais pas s’ils ont été amis mais ce qui est sûr, Biya a dû avoir longtemps peur de son ancien voisin car des années durant, Eyinga sera privé de passeport, alors que cela est un droit reconnu à tout citoyen camerounais. Il faut dire que les activités politiques d’Eyinga, en exil, agaçaient au plus haut point celui que le grand écrivain Mongo Beti appelait Le Petit Peul (à savoir Ahidjo). Résultat des courses, un drôle de tribunal siégera au Cameroun en 1970 et condamnera Eyinga à 5 ans de prison.
On est prié de ne pas rigoler…
Quand Biya arrive alors aux affaires avec toutes les promesses des nouveaux arrivants (démocratie, liberté, etc. et surtout son fameux Renouveau) Eyinga le prend au mot et effectue toutes les démarches nécessaires pour obtenir un passeport. Que nenni. Il n’aura rien de rien. Ceci conduira même Eyinga, le 18 août 1986 à écrire une lettre au préfet des Hauts-de-Seine (département de la région parisienne) afin d’obtenir un document lui permettant de se rendre à Vienne (Autriche) pour assister à une conférence internationale sur le terrorisme. Dans ledit courrier, il rappellera même au préfet que du fait qu’il n’a plus de passeport, il a dû manquer trois rencontres internationales (Genève en Suisse, Philadelphia aux USA et Maputo au Mozambique), l’année précédente.
Ce destin d’exil est tellement commun, il a tellement de ressemblances avec ce que nombre d’exilés africains ont connu des années 50 aux années 90 voire 2000 que les mêmes problèmes, les mêmes soucis, les mêmes préoccupations se retrouvent en nous, autour de nous. On pourra enlever le nom d’Eyinga et celui de Biya pour les remplacer par ceux de Mongo Beti et Ahidjo ou encore de ressortissants d’autres contrées africaines, on en reviendra au même point. Celui de la reconquête de notre liberté.
Des hommes comme Eyinga ont voué leur existence pour cela. Pourtant, ce n’était pas sa situation sociale qui aurait pu l’empêcher de demeurer dans son confort au Cameroun, en France ou encore en Algérie. Tiens, l’Algérie… Il vivra dans ce pays où il donnera des cours à l’Université (jusqu’en 1983). Conjoint de Française, il aurait pu, lors de son séjour français se taire et manger tranquillement du poulet fumé et boire du bon vin régulièrement, en ignorant son Cameroun. Pourtant, il a fait le choix de la lutte et en rentrant au Cameroun, il est demeuré dans cette constante.
Eyinga, à son retour au Cameroun, fondera son parti, La Nationale. Hélas! Il ne connaîtra pas le succès escompté*.
Il y avait de l’intelligence, beaucoup d’intelligence chez cet homme et cela se sentait notamment au niveau de ses phrases et de la manière d’utiliser les mots. Un historien camerounais par exemple s’était exprimé en juin 2010 sur la Guerre d’indépendance que le Cameroun a connue, Eyinga dira: Je n’ai pas suivi la conférence-débat organisée le vendredi 4 juin à la télévision (CRTV) par M. Charles Ndongo. Mais des amis y ayant participé m’ont parlé de l’intervention faite par le Pr. Abwa, intervention au cours de laquelle l’historien aurait déclaré en substance : « Il y a eu bel et bien une guerre d’indépendance au Cameroun. Les nationalistes ont pris les armes pour réclamer l’indépendance du pays. Et le colonisateur, qui disposait lui aussi de d’une armée, leur a répondu. D’où la guerre…’ Je ne prétends pas reproduire ici les mots exacts utilisés par le professeur. Ce problème de vocabulaire m’indiffère. Mais ce contre quoi je m’insurge, c’est le fait de laisser entendre que les patriotes de ce pays ont déclenché une guerre pour poser le problème de l’indépendance. C’est le contraire qui est vrai. (…)
Ne dites pas que l’UPC a déclenché une guerre d’indépendance pour imposer notre autodétermination au colonisateur. Ne le dites pas parce que cela est contraire à la réalité que nous avons vécue dans ce pays. Dites plutôt que face à l’agression visant à exterminer le nationalisme et les nationalistes camerounais, agression déclenchée par le colonisateur français, les patriotes camerounais ont organisé une légitime et courageuse résistance qui fait honneur à notre pays et qui se trouve désormais inscrite en lettres d’or dans les pages glorieuses de notre véritable histoire nationale. »
L‘Histoire.
Avec des gens de la trempe d’Eyinga, on ne pouvait se permettre de mentir avec notre histoire et de la falsisfier comme certains ont pris l’habitude de le faire depuis des lustres.
RIP, Eyinga.
Obambe GAKOSSO
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*: Je ne me suis pas penché sur la vie de ce parti pour en savoir plus et expliquer ses échecs, mais une des raisons est évidemment le système RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), parti au pouvoir qui broie et écrase tout depuis le retour du multipartisme dans une bonne partie de Kama.