Kako Nubukpo, le Togo et la Zone franc
Le professeur Kako Nubukpo est un homme dont on devrait parler abondamment dans les jours, les semaines et même les mois à venir. Sinon, nous confirmerons encore une fois que l’expression « peuple de serpillère » nous sied à merveille, ceci, en parlant de nos décideurs, en pays-CFA, bien entendu.
J’ai lu son nom pour la première fois sur un blog et j’avais accroché. Cet homme est intéressant et dans la droite ligne de certains de ses illustres devanciers, il dit des choses très puissantes. Je pense à Castor Ossende Afana. Je pense à Joseph Tchundjang-Pouemi. Je pense à Nicolas Agbohou.
Ossende Afana est un des premiers économistes du territoire Cameroun (comprendre docteur en économie) et fut un des plus importants dirigeants de l’UPC (Union des populations du Cameroun). Il sera assassiné sous Ahmadou Ahidjo en mars 1966, par les hommes de ce dernier. Tchundjang-Pouemi était aussi économiste (agrégé notamment), donnant des cours dans les universités d’Abidjan et de Yaoundé. Il est le premier à avoir posé dans un livre la question du nazisme monétaire que les pays-CFA (Colonies françaises d’Afrique) subissent depuis des décennies. J’ai entendu ça et là qu’il se serait inspiré des travaux de son aîné et devancier, Ossende-Afana, mais je ne l’ai jamais lu tel que. Il mourra mystérieusement en 1980. Son livre*, longtemps introuvable a été publié de nouveau depuis peu et il ne cesse de s’arracher dans les milieux Panafricains et Afrocentriques. En 1999, l’Ivoirien Nicolas Agbohou, politogue et agrégé de sciences économiques a continué sur la même lancée en jetant un pavé du même tonneau, dans la mare, avec un ouvrage consacré à la monnaie coloniale appelée franc CFA, à l’euro et au franc français**.
La problématique posée depuis le départ et qui n’est malheureusement pas inscrite dans les agendas des « oppositions » dans les enclos coloniaux CFA est qu’il faille le plus tôt possible, le plus rapidement possible opérer une rupture radicale entre nous et le franc CFA. Dès que possible. Le caractère nuisible de cette monnaie n’est plus à démontrer. C’est un fait que même le bac+1 le plus cruel parmi nous, Africains, tenant du maintien des liens incestueux entre nos enclos et la France, ne peut soutenir en son for intérieur. Il le dira, le reconnaîtra devant autrui, histoire soit de préserver quelques acquis (souvent malhonnêtes) ou de défendre un dirigeant sous prétexte qu’ils sont du même groupe linguistique. Même quand il n’y gagne pas un likuta***.
Pour faire très court, sans entrer dans tous les détails techniques, il y a actuellement entre 8.000 et 9.000 milliards de francs coloniaux appartenant aux pays-CFA, au sein du Trésor public français. Le bon sens le plus élémentaire dira « Mais pourquoi ? » Parce que les « accords » « signés » entre nos enclos et la France (en fait, en clair, entre la France et elle-même), obligeant nos pays à y laisser une partie non négligeable.
Pause.
Cet argent qui nous appartient, normalement, à quoi peut-il bien servir au sein du Trésor public français ? Pas besoin d’être diplômé de Normale Sup’ pour le comprendre, mais nos excellences et celles d’ici disent « C’est pour garantir la parité fixe entre le franc français (hier, aujourd’hui l’euro) et le franc CFA ».
On peut être un mouton, mais plus de 50 ans de moutonnisme, ça commence à faire long…
Le pire c’est que nos excellences courent après Paris depuis ce temps pour disent-ils, emprunter de l’argent et bénéficier de prêts.
On se moque de qui ?
Les hommes que j’ai cités, tous économistes, l’ont compris. Tchundjang-Pouemi l’a sans doute payé de sa vie. Agbohou, compagnon de route de l’opposant Koudou Gbagbo, naguère, n’a pas pu comprendre son camarade et frère de sortir du franc CFA. Au moment où la Côte d’Ivoire subissait les assauts français, dans les années 2000, il donnait ses cours et ses conférences sur la question (entre autres).
Nubukpo, ancien fonctionnaire de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique occidentale) et ancien consultant de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) a jeté à son tour ce pavé (le même) dans la (même) mare françafricaine et sur la toile, des blogs ont repris ses propos qui sont d’une fraîcheur très intéressante. Je les avais lus, ces textes et je me réjouissais de voir qu’il y avait de plus en plus de compatriotes qui avaient la lucidité non seulement de voir les choses comme elles sont réellement mais aussi de dire ce qu’il faut, afin que les lignes bougent, aujourd’hui ou après-demain. Peu importe.
En octobre dernier, le président togolais Faure Eyadema a crée la surprise en nommant cette homme de la même génération que lui (ils sont nés respectivement en 1966 et 1968) au poste de ministre à la présidence de la République, chargé de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques. C’était le 11/10/2013 dernier. Il n’y a même pas deux mois de cela.
C’est un acte très courageux de la part d’Eyadema fils, de nommer un homme qui a résolument pris, publiquement, position contre le nazisme monétaire que nous subissons, tels qu’avait développé le regretté Tchundjang-Pouemi. Je ne sais pas combien ni comment il pèsera au sein de ce gouvernement pour que nous, Panafricains et Panafricanistes puissions nous réjouir comme il se doit, même un quart de demi-seconde, mais l’acte en lui-même est très fort car nous savons que le retrait du moindre de nos enclos, de la zone CFA sera un coup dur, porté à cette France qui elle-même ressemble de plus en plus à un navire ivre, sans commandant de bord, avec des passagers songeant de plus en plus à quitter le navire. Un navire qui part à la dérive.
Je me souviens que peu après son arrivée au pouvoir, quand le président Sylvanus Olympio avait manifesté sa volonté de faire sortir son pays, le Togo, de cette même zone CFA, le président français Charles de Gaulle avait dit « Mais qu’il sorte ! » et en même temps, le sort d’Olympio était déjà scellé. On sait comment le pater de l’actuel président togolais lui règlera son compte, le reconnaissant lui-même publiquement.
Il se dit ça et là qu’Eyadema fils manifeste des velléités identiques, sur ce point, à celles de son lointain prédécesseur. Je n’y crois guère car il est comme nombre d’héritiers, prisonnier et partie prenante d’un système qui le dépasse complètement. Qu’il le fasse et nous l’applaudirons, et je n’hésiterai pas à partir en pèlerinage à Lomé, à Kara, s’il le faut. Je voudrais vraiment à cet effet calmer les ardeurs de frères et sœurs qui s’enflamment à ce sujet depuis quelques temps, déclarant même urbi et orbi que « Le Togo déclare vouloir quitter la zone franc ».
Quand on veut quitter, on ne doit pas « déclarer vouloir quitter ». On quitte. Point. Les gesticulations ne servent absolument à rien, si ce ne sont des moyens de pression pour que nos monarques soient reçus en audience (5 mn ? 15 mn ?) à l’Elysée.
Bon vent et bonne chance à Kako Nubukpo, qu’il fasse ce qu’il peut et si jamais, il y a trop d’écueils, qu’il n’hésite pas à claquer la porte, il a assez de talents pour les utiliser ailleurs.
Obambe GAKOSSO, November 2013©
——————————————————————-
* : Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique, Menaibuc éditions, 2000, 23 pages (Editions JA en 1980, 284 pages) ;
** : Le franc CFA et l’euro contre l’Afrique, Editions Solidarité mondiale, 23€50, 315 pages, préface du Pr. Grégoire Biyogo (1e et nouvelle édition), préface du Pr. François Ndengwe (nouvelle édition), postface du Pr. Jean Ziegler ;
*** : Sous-unité monétaire du zaïre, ancienne monnaie de la RDC, du temps où ce pays s’appelait Zaïre.