« Côte d’Ivoire: Vote sanglant, douleurs d’exil », par Armand Iré
Dès que j’ai appris la sortie, il y a quelques semaines, la sortie de l’ouvrage d’Armand Iré, je me suis promis de me le procurer et de ne pas tarder à le lire, comme il m’arrive un peu trop souvent de le faire, avec certains livres.
Certains lecteurs et certaines lectrices de cet espace vont encore sourire en voyant un énième sujet sur la Côte d’Ivoire, le pays non seulement des présidents Félix Houphouët-Boigny et Laurent Koudou Gbagbo, mais aussi de vingt autres millions d’habitants qui, depuis le 19 septembre 2002 sont entrés dans une ère de violence jamais connue dans cet espace, un des bijoux sacrés de la Françafric, des décennies durant.
Certes, par le passé, il y eût le massacre du Guébié (4.000 morts, évidemment, les chiffres varient selon les sources). Il y eût aussi les complots plus ou moins imaginaires sous l’ère du premier président de la République de ce territoire de 322.000 Km2. Mais rien, aucun de ces évènements, de 1960 à nos jours, n’a atteint les sommets de barbarie, de cruauté et d’horreur que les populations ivoiriennes ont connues depuis septembre 2002. La France et l’ONU, par le biais d’une « rébellion », ont fait vivre l’enfer sur terre à ces pauvres populations qui venaient à peine d’entrer dans une nouvelle ère, avec, pour la première fois, l’élection d’un président, au suffrage universel direct, en toute liberté, sans le tripotage des bulletins ni des urnes qui les contenaient. Koudou Gbagbo battait ainsi le putschiste Robert Gueï, originaire comme lui de l’Ouest du pays, mais les eux hommes étaient opposés idéologiquement.
L’Ouest ivoirien. C’est de là aussi qu’est originaire Armand Iré, alias Marc Blanchard K., l’auteur de ce livre que je recommande très vivement. Homme de communication, autour de la quarantaine, comme le dit la quatrième de couverture, Iré a une bonne connaissance d’une partie des événements qui ont eu lieu ces dernières années dans son pays natal. Et même si, aujourd’hui, il en vit loin, grâce aux réseaux sociaux notamment, il se tient au courant de ce qui s’y passe. Il suffit de le lire sur Internet : il n’est pas déconnecté des réalités.
La lecture de certains essais ou récits laissent sur une faim. Pas une faim de moineau, mais une faim de pachyderme car on se dit, Je n’ai vraiment rien appris là-dedans. Ce gars raconte des choses que tout le monde sait.
J’ai commencé sérieusement à m’intéresser à la politique ivoirienne en 1990 quand un frère, rentrant de vacances (il avait l’habitude grâce à son pater, cadre supérieur à Air Afrique de faire l’Afrique de l’Ouest), nous parla d’un homme qui allait battre Houphouët-Boigny lors des prochaines élections, à coup sûr. Diantre ! Battre Nana Boigny ? Je le pris vraiment pour un illuminé. Mais quand il nous narra comment le Woody de Mama déplaçait des foules (par dizaines de milliers), je revis mon jugement. Et, en lisant ce livre, notamment, la première rencontre entre Iré et le Woody, j’eus l’impression de revenir plus de 20 ans en arrière.
Si on dit de Koudou Gbagbo qu’il a un courage physique et un culot à nul autre pareil, au fil des pages de récit, j’ai tendance à croire, toutes proportions gardées, qu’Iré est fait de la même graine. Des moments de frayeur, Iré en a connu. Dans sa commune, la plus grande du pays (Yopougon), quand il fallait sortir pour aller chercher à manger alors que, inexorablement, les Occidentaux à peau noire* appelés « rebelles » gagnaient du terrain. Un soir, il se retrouva avec une arme à feu pointée sur sa tête : la mort était là, à quelques secondes près. C’étaient des jeunes Ivoiriens qui avaient pris les armes pour défendre leur pays et qui avaient cru que lui, était un dozo. Dieu merci pour lui, un le reconnaîtra. Ces jeunes étaient sûrs de la victoire alors que lui, il n’y croyait plus vraiment…
Il rencontrera de nouveau la peur sur la route de l’exil, lorsqu’il laissera derrière lui, trente ans de vie (page 64) il passera par Aboisso pour rejoindre le Ghana (d’abord). Ironie du sort, c’est un policier, presqu’à la retraite, proche du camp Ouattara qui le transportera dans sa voiture. Avant Aboisso, un barrage érigé par des forces pro-Ouattara et là, on refuse de le laisser passer. Pour eux, il était soit un gradé de l’armée ivoirienne ou encore un ponte du régime. Il a beau lancé une blague anti-Gbagbo, rien n’y fait. Il a beau avoir des journées porches des nouveaux maîtres du pays en mains, en face, ils n’ont qu’en faire. Des billets de banque règleront l’affaire. Il peut alors reprendre la route.
Au Nigeria, au Cameroun (sa destination finale), il lui faudra sans cesse faire usage de corruption pour être laissé tranquille. Sans ça, son calvaire aurait été pire. De tous les pays traversés (Ghana,Togo, Bénin, Nigeria et Cameroun), Iré en donne quelques informations, quelques descriptions qui donnent l’impression qu’il pourra nous faire de beaux bouquins. Je pense qu’il a un don pour la narration. Les choses sont bien embellies quand il l’estime nécessaire. Elles sont bien assombries aussi quand il le faut.
Chers lecteurs et chères lectrices, vous serez sans doute étonnés de lire La première chose qui m’a frappé, c’est d’apprendre le pourquoi de la séparation de Louis-André Dacoury-Tabley d’avec le FPI (Front populaire ivoirien) et aussi d’avec Koudou Gbagbo. En effet, quand les « têtes » pensantes de la rébellion du 19/09/2002 firent leur « apparition », je faillis faire une crise d’apoplexie en apprenant que cet homme, fondateur du FPI en 1983 était passé du côté des rebelles. Diantre ! me dis-je. Au cours d’une interview accordée par Koudou Gbagbo (alors déjà président), concernant cet homme, né comme lui en 1945, il répondra qu’il fallait lui demander, à lui-même, pourquoi il avait quitté le FPI. Je doute qu’avec le temps, il ait dérogé à cette règle. Ce livre me donne une clé – jusqu’à ce que, bien entendu, l’intéressé lui-même nous en dise autre chose. En effet, en page 55, nous apprenons que le fait pour Koudou Gbagbo d’avoir opté et pratiqué sans cesse l’opposition pacifique avait fini par pousser ce membre de la fratrie Dacoury-Tabley a rendre son tablier. Ces deux hommes étaient plus que des amis, des frères. Un jour, ils diront eux-mêmes pourquoi ils en sont arrivés là…
Autre clé que j’ignorai, sur le plan socio-éducatif, c’est à Alassane Dramane Ouattara que l’on doit la fermeture des internats dans ce pays. Décidément, on ne me convaincra jamais que le FMI est une bonne chose pour nous. S’il n’existait pas cette solidarité ancestrale sur notre continent, comment feraient certains enfants qui, obligés d’aller étudier à 100, à 1000 Km de chez eux, pour se loger? C’est ainsi que dans cette Côte d’Ivoire que certains Africains, influencés par des media poisons, ont dépeint tantôt comme xénophobe, tantôt comme islamophobe, tantôt simplement comme n’aimant pas les Malinke, que la petite Fanta, une fille du Nord , qui devait faire la classe de seconde au lycée de Divo, se retrouva hébergée par la famille de l’auteur, une famille Wè. Orpheline de mère, sans le moindre soutien de son père, un homme indigent, elle avait dû sa survie à cette famille qui n’avait que faire de sa non-appartenance au même sous-groupe linguistique qu’elle.
Je vois que j’ai pas mal écrit. Nous sommes dimanche et vous avez besoin de vous détendre, pas de vous fatiguer les yeux. Bon dimanche à vous.
Obambe GAKOSSO, October 2013©
* : L’expression est de moi, en toute modestie, m’inspirant beaucoup d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon.