Libération de prisonniers politiques ivoiriens (2): Koudou Gbagbo, « tribaliste », qu’ils disaient
Je reviens ce dimanche sur la libération des prisonniers politiques ivoiriens, qui a eu lieu au début du mois d’août 2013. L’aspect que je voudrais aborder aujourd’hui concerne le « tribalisme » supposé du président Koudou Gbagbo. En effet, une des raisons souvent évoquées par les rebelles et leurs soutiens, pour justifier la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002.
Au début donc de cette crise, j’avais eu l’occasion de discuter avec nombre d’Ivoiriens à ce sujet. La plupart de ceux qui se disaient originaires du Nord (Malinke, abusivement appelés « Diula ») me disaient soutenir les rebelles car selon eux, le nouveau pouvoir, incarné par Koudou Gbagbo, un Bété (Béthé ou Bétée, c’est selon) les marginalisait. Le nouveau pouvoir les traquait. Le nouveau pouvoir les tuait. Le nouveau pouvoir les contraignait au mieux à l’exil. Comme si cela ne se suffisait pas, ils en rajoutaient en me disant que seuls les parents biologiques de Gbagbo étaient nommés à divers « postes ». Ah ! ces fameux postes dont rêvent tant les Africains…
J’écoutais et je prenais vraiment le temps de beaucoup les écouter car, malgré les connaissances que j’avais des femmes et des hommes qui composaient le paysage politique ivoirien, j’avais du mal à cerner certains contours. La victoire de Gbagbo m’ayant estomaqué, en 2000, tant je ne voyais pas comment le putschiste Robert Gueï pouvait lâcher ce bel os qu’il rongeait depuis décembre 1999.
En faisant un saut quelques années auparavant, l’on se souvient que c’est Alassane Dramane Ouattara, alors Premier ministre 51990-1993) de La Côte d’Ivoire, qui avait institué la Carte de séjour, chose que même le françafricain Félix Houphouët-Boigny (FHB) n’avait jamais osé faire. Qui, en réalité était alors frappé par l’instauration de ce document totalement contraire aux mœurs africaines ? Les originaires du Burkina Faso, de la Guinée, du Sénégal et du Mali principalement. Et c’est au nom de ces mêmes individus que Dramane Ouattara dira combattre pour détruire le pouvoir républicain de celui qui fut son allié d’hier, du temps où ils ferraillaient ensemble contre le successeur constitutionnel de FHB, Henri Konan Bédié.
Vous avez dit schizophrénie ? Hélas ! cette pathologie ne se soigne pas.
Certains se sont même permis de parler de clivage religieux pour justifier cette rébellion. On prenait les arguments écrits plus haut et on avait exactement les mêmes choses : Les musulmans sont stigmatisés (…) On demande tout le temps leurs papiers aux musulmans… Il est extraordinaire de constater que celles et ceux qui, hors de Côte d’Ivoire se faisaient le relais de ces propos d’une stupidité infinie ne se posaient même pas la question de savoir si sur le visage d’un individu il était écrit « Musulman » ou encore « Musulmane ». Non, on le disait et on le répétait sans cesse. Pour justifier une rébellion contre un pouvoir issu des urnes.
Le président Koudou Gbagbo est originaire de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, comme Gueï. Il est évident que pour les Africains qui ont depuis longtemps laissé leur cerveau dans les caniveaux, les seuls électeurs de ces deux hommes ne pouvaient que venir de ce coin de la Côte d’Ivoire. Or, ces gens oublient ou méconnaissent un fait essentiel de la politique ivoirienne des années 70 à ce jour. C’est le fait que l’on a souvent appelé le FPI (Front populaire ivoirien) « le parti des professeurs ». Cette appellation n’est tombée ni du ciel ni d’un cabinet de marketing ou encore de communication politique. Non. Une partie non négligeable des cadres du FPI était composée d’universitaires. On peut citer :
- Koudou Gbagbo, professeur agrégé d’histoire ;
- Simone Gbagbo née Ehivet, épouse du précédent, docteur ès littérature orale ;
- Emile Boga Doudou (1952-2002), juriste, maître assistant à l’université de Cocody de 1988 à sa mort ;
- Mamadou Koulibaly, professeur agrégé d’économie ;
- Aboudramane Sangaré, docteur d’état en droit (1973) ;
- Paul-Antoine Bohoun Bouabre (1957-2012), professeur agrégé d’économie ;
- Etc.
Bref ! le FPI avait investi le milieu universitaire depuis longtemps et avait profité pour diffuser son message auprès des étudiants et autres personnels universitaires. C’est là que des jeunes comme Charles Blé Goudé et Guillaume Kigbafori Soro (pour ne citer que ces deux-là, les plus emblématiques) vont se former véritablement à la politique.
Nos jeunes États, on le sait, n’ont pas beaucoup d’université, en général. Les quelques unes qui existent reçoivent des enfants de tous les coins de nos territoires. Comment s’étonner alors qu’un homme comme Koudou Gbagbo, issu d’un sous-groupe linguistique qui ne fait pas 50% de la population (18% environ et même si on ajoute les autres Kru, le total ne dépasse pas les 23%) ait pu convaincre en 2000 59,36% des électeurs ? Les gens se souviennent quand même qu’en 1970, il fut le premier à s’opposer politiquement à FHB, abusivement appelé « Père de l’indépendance ».
Trente ans durant, il s’est opposé au parti au pouvoir sans jamais recourir aux armes, mais tout en demeurant constant dans ses idées. Et, lorsqu’il a gagné ses élections (présidentielle et législatives avec 91 députés), il a travaillé avec des camarades issues de régions diverses et appartenant à des sous-groupes linguistiques différents du sien.
La récente libération de prisonniers politiques en dit long. Deux, je citerai juste deux, qui ont été des collaborateurs très proches de cet historien : Pascal Affi Nguessan et Aboudramane Sangaré. Le premier fait partie du groupe Akan que l’on retrouve aussi bien en Côte d’Ivoire qu’au Ghana. C’est lui-même, que Koudou avait choisi comme président pour diriger le partie en ses lieu et place. S’il était aussi tribaliste comme certains le prétendent, que n’a-t-il pas nommé un Bété ou un Kru comme lui à ce poste très stratégique ? C’est le même Affi Nguessan qui sera nommé premier Premier ministre de Koudou Gbagbo. Et non pas un Béthé.
Le second (Sangaré) a un nom à consonance malinke. Pas besoin d’être linguiste ou expert en géographie pour s’en convaincre. Pourquoi n’a-t-il jamais quitté le navire pour rejoindre le RDR (Rassemblement des républicains) dont certains sont persuadés à tort ou à raison qu’il est le « parti du Nord ».
Ces deux hommes ont été libérés et, sauf erreur ou omission de ma part, demeurent fidèles à leur patron et à leur parti politique. Malgré un trop long séjour derrière les barreaux, ils n’ont pas – apparemment – craqué.
Quels éléments les détracteurs de Koudou Gbagbo ont-ils pour s’en prendre à lui ? Du vent ! Faut-il rappeler que, malgré le fait que dans le Nord, on ne payait plus l’eau et l’électricité, le président Koudou Gbagbo n’a jamais ordonné la coupure de ces produits de première nécessité ? Ceci, du début de la rébellion, jusqu’à son kidnapping et à sa déportation.
On peut aussi citer ces réalisations :
- Le Règlement définitif de la pénurie chronique du manque d’eau potable dans la ville de Korhogo: construction d’une canalisation allant du Bandama à Korhogo pour un coût de plus de 4 milliards de F CFA en 2009
- La Mobilisation de 20 milliards de F CFA dont 15 Milliards auprès de la BID et 5 Milliards comme contribution nationale pour le bitumage des axes principaux de la ville de Kgo.C’est garce à ce financement mobilisé par Koudou Gbagbo que Kgo a fière allure aujourd’hui et les populations le savent bien. Qu’on ne s’y méprenne pas
- Le redémarrage effectif des travaux de bitumage de la route Boundiali-Tengrela qui devait être achevée en 2003.Le retard accusé par les travaux étant lié à l’éclatement de la rébellion en septembre 2002
- La Création de l’Université de Korhogo en 2002
- L’Inauguration de l’usine d’égrenage de coton de la société LCCI de Cheikhna Kagniassi (le père de Mohammed Sidi Kagniassi qui a réalisé le recensement électorale en Côte d’Ivoire pour le compte de la SAGEM !!!)
- La Création de Départements : Ouangolo, Dikodougou, Sinématiali, Kouto, samatiguila, Madinani, Ouaninou, Tengrela etc.
- La Création de nombreuses sous-Préfectures au Nord, outils de développement local
- Promotion de nombres cadres du Nord à des Hautes postes dans l’administration et cela dans tous les corps (Armée, Préfectoral, justices, enseignement, agriculture, tourisme, artisanat etc.
- Accélération de la décentralisation pour le renforcement du développement local par les futurs élus locaux Un décret portant création de nombreuses sous-préfectures et communes y compris au Nord de la Côte d’Ivoire a été pris par le président Koudou Gbagbo en 2010. Interprété à tord comme ayant une visée électoraliste, ce décret a été abrogé par le nouveau régime et remplacé par un autre à visée au contraire manifestement électoraliste et décrié au sein même du RHDP*. Le « classement » par la CEI des partis politiques ayant pris part aux dernières élections municipales et régionales en est la parfaite illustration.
Koudou Gbagbo toujours tribaliste ?
Obambe GAKOSSO, September 2013©
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* : Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix