Il y a 99 ans, la « mission civilisatrice » de l’Occident pendait Duala Manga Bell
Parmi les dynasties que l’Afrique centrale a connues, figure celle des Bell*. Cette dynastie fut fondée en 1792 et en 1872 y naîtra le prince Duala Manga Bell**.
Ce dernier est le fils de Manga Ndoumbe (père) et de Tomedi Mouasso. Son grand-père paternel Ndoumbe Lobe, alias King Bell, était le quatrième souverain de cette dynastie. Le territoire que les Portugais avaient appelé Camaroes (Pays des crevettes, sic !) est alors occupé par l’Allemagne. L’histoire officielle nous dit même qu’il existe un « traité » liant la dynastie des Bell avec l’occupant allemand… Le territoire est alors appelé Kamerun***.
Le prince Duala Manga Bell fait ses études primaires et une partie du secondaire à Duala, plus grande ville du territoire, il s’en va en 1891 en Allemagne pour la suite de ses études, au lycée d’Aalen (Sud, près de Stuttgart) puis à l’Université de Bonn (pour y faire son droit). C’est en 1896 qu’il rentre en Afrique et un an plus tard, son grand-père paternel décède, ce qui fait de son père le cinquième chef des Bell. 9 ans après, il succède à son père sur ce trône sans royaume, sans véritable territoire à gérer car l’Allemagne règne encore maîtresse quand son père est mis en terre.
En 1910, les Allemands, par le biais de Théodore Steitz, qui a le titre de gouverneur, envisagent d’importants travaux d’urbanisme au niveau de la ville de Douala, ce qui va obliger les populations Duala à « libérer » les espaces occupés par leurs ancêtres depuis des lustres, et qu’ils ont hérités, pour aller s’établir dans les nouveaux territoires « aménagés » par les colons allemands. Voient ainsi le jour les quartiers de New Bell, New Akwa, New Deido notamment, quartiers réservés aux Africains, qui doivent ainsi être séparés des Blancs qui eux, se voient réservés le cœur de la ville, le centre-ville. la césure se matérialise par un no man’s land d’un kilomètre de large.
Manga Duala Bell, souverain sans couronne voit rouge et qualifie cela d’apartheid. il s’y oppose farouchement. Dans ce combat, il est soutenu par les habitants du Plateau de Joss, lieu que les autochtones sont appelés à libérer pour faire place nette et laisser ainsi la « mission civilisatrice » continuer à faire le bien que nous connaissons. Rien n’y fait et en 1913, un décret d’expropriation est notifié à Manga Duala Bell et à ses sujets.
Ce dernier rappelle aux Allemands qui semblent avoir la mémoire courte que le « Traité » les liant, datant de 1884, n’a jamais prévu d’expropriation. Mais les Allemands n’en ont cure et, face à l’entêtement de l’Africain et de ses compatriotes, ils finissent par le destituer de son statut de chef, ce qui le prive de sa pension de 3.000 marks/an. Qu’à cela ne tienne, Manga Duala Bell estime que son honneur, la dignité des siens valent bien plus que tous les titres et autre argent confondus. Il ne lâche pas prise. Mais comment lutter à mains nues face à la canonnière et autres baïonnettes ? Le combat est par trop déséquilibré et le prince tente alors l’arme de la diplomatie.
C’est ainsi qu’il envoie, suite à de nombreuses pétitions de ses compatriotes, l’affaire au Reichstag (Parlement allemand). Les débats qui s’ensuivent sont alors vifs ! Un certain Ngosso Din, collaborateur du prince, est envoyé en Allemagne afin de porter le plus possible la voie du prince et des Africains car, sur le terrain, les chantiers d’apartheid battent leur plein : les colons tiennent absolument à se séparer des « sauvages », tels que la littérature coloniale les a toujours dépeints…
Manga Duala Bell met en place ensuite une autre stratégie en prenant langue avec d’autres chefs traditionnels, ses homologues, si l’on peut faire usage de ce terme pas vraiment approprié, afin qu’une unité se fasse autour de cette question cruciale. Il est quand même question de la terre des ancêtres…Ainsi, les chefs de Yaoundé, Nagoundere, Yabasi, Baham, Dschang, Banyo etc. sont sollicités par le Duala.
Comme depuis la nuit des temps, chaque fois que les Kamit ont tenté de s’unir, l’oppresseur les a souvent écrasés, tuant dans l’œuf ce beau et merveilleux projet d’unité. Le secrétaire d’État aux colonies, Wilhelm Heinrich Solf (1862-1936) ordonne l’arrestation de celui qui revendique les droits de son peuple à vivre à peu-près paisiblement sur la terre de ses ancêtres. Le motif est très vite trouvé : haute trahison. Et, le 10 mai 1914, Manga Duala Bell est mis aux arrêts et, 5 jours plus tard, son secrétaire et émissaire en Allemagne, Ngosso Din subit le même sort, pour être ensuite embarqué le 24 mai vers le Kamerun.
La machine à broyer continue le travail et, en juillet de la même année, les partisans du prince subissent le même sort : aux arrêts ! La justice occidentale, « exemplaire » comme toujours, expéditive comme d’habitude quand il est question des « sauvages », juge les deux hommes et les condamne à la peine capitale.
Le 08 août 1914, ces hommes qui sont arrivés sur notre continent, une bible dans une main, prêchant la bonne parole, l’amour de leur dieu, de Jésus Christ, ont donc sorti le fusil qu’ils avaient dans l’autre main et ont frappé : Manga Duala Bell et Ngosso Din sont pendus haut et court…
Obambe GAKOSSO, August 2013 ©
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* : Bell, issu de la déformation, sous l’occupation allemande, de Belle. C’est notamment le même nom que le gardien de but de football à la retraite, Joseph-Antoine Bell (1954-)
** : Les Allemands l’affubleront du prénom de Rudolf, pffffff…
*** : En français, cela donne depuis des décennies, Cameroun et en anglais, Cameroon