Les Sud-Américains l’ont fait, pourquoi pas nous?
Le 05 mars 2013 dernier, comparaissaient deux anciens présidents de la République Argentine, Jorge Videla (87 ans) et Reynaldo Bignone (85 ans), pour le premier procès de l’Opération Condor. Ce plan visait à réprimer les opposants Sud-Américains, qu’ils fussent en Argentine, au Brésil, au Chili, en Uruguay, au Paraguay ou en Bolivie. Alors qu’ils purgeaient déjà une lourde peine de prison pour crimes contre l’humanité, enlèvements et tortures, des actes commis entre 1976 et 1983.
Ce procès ne pourra que faire date car on ne s’en rend pas assez compte, mais combien de chefs d’États, leurs collaborateurs et leurs hommes de main ont échappé aux jugements de leurs contemporains pour aller connaître, qui sait, le repos éternel ? Rien que pour cela, les Africains et autres afropessimistes devraient voir la vie sous un jour nouveau : même si la justice sénégalaise (donc les gouvernements sénégalais) refusent de juger l’ex-président tchadien, Hissein Habré, il arrivera un temps où un, deux voire bien, de pays africains, mettront sur le banc des accusés, leurs anciens présidents, pour des actes similaires. Je ne parle même pas des procès zambiens, déjà relatés ici, mais je parle des crimes de sang et autres violations des droits de l’homme.
Le tableau de l’Amérique du Sud et centrale, dans les années 70-80, sur le plan des libertés n’était pas très différent de celui de notre continent. On assassinait pour un oui, on torturait pour un non. Même le fait de se taire pouvait valoir les pires intimidations. Ils sont nombreux, les Sud-Américains, à avoir, malgré eux, choisi le chemin de l’exil (Europe, Amérique du Nord), pour espérer vivre dignement. Dans la même période, on ne compte pas non plus les Africains qui furent obligés de s’exiler dans les pays même qui hier encore nous colonisaient et qui avaient installé leurs supplétifs dans nos palais présidentiels, supplétifs qui feront le travail mieux encore que les colons eux-mêmes.
L’on se souviendra sans doute longtemps que l’attribution de la Coupe du monde 1978 à l’Argentine avait provoqué un scandale au sein des milieux « humanistes » d’Occident. Ce pays était alors dirigé depuis le 29 mars 1976 par le général Videla (arrivé par un putsch), qui dirigeait une junte militaire. La gauche sud-américaine subit alors des affres terribles : tortures, exécutions de masse, assassinats divers, arrestations arbitraires etc. Le nombre d’exilés Sud-Américains, à travers l’Europe et l’Amérique du Nord ne se compte plus… C’est dans ce contexte que l’Opération Condor voit le jour, au départ d’abord entre le Chili, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay, la Bolivie et le Brésil, des pays qui sont tous des dictatures. Le Plan Condor est officialisé le 25 novembre 1975 en présence de hauts-fonctionnaires des pays concernés : Manuela Contreras (Chili), Jorge Casas(Argentine), Carlos Mena (Bolivie), Benito Guanes Serrano (Paraguay), José Fons (Uruguay), Flavio de Marco, Thaumaturgo Sotero Vaz (Brésil). Les services vénézuéliens ne participeront pas car le président de l’époque, Carlos Andrés Perez ayant mis son veto. Plus on est de fous et plus on rit, en 1978 le Pérou et l’Équateur entrent dans la danse.
Concernant le bilan des années Videla, on évalue à 30.000 le nombre de morts et de disparus, en Argentine. Bien entendu, les sources divergent et certaines estiment par exemple à 50.000 le nombre de tués et à 35.000 le nombre de disparus de 1975 à 1983*. Le procès argentin pourrait durer deux ans avec des témoignages de 450 personnes environ et 106 victimes ont déposé plainte entre 2008 et 2012. Et, les nationalités sont diverses pour ce procès. Bref ! il va y avoir du sport !!!
Les Africains ne doivent jamais désespérer de nos malheurs. Je ne vous ressortirai pas pour la énième fois l’adage concernant le soleil et la nuit. Non, mais l’exemple argentin nous prouve à suffisance qu’il n’y a rien d’éternel sur cette terre. Tous les systèmes, aussi répressifs soient-ils, ont une fin. Tous les tortionnaires, tous les criminels, ne connaissent pas une fin heureuse, tranquille dans leurs fauteuils de vieillards cacochymes. D’ailleurs, Videla qui vient de mourir en ce mois de mai en prison, n’y était pas pour faire du tourisme mais bien parce qu’’il y purgeait une peine de 50 ans de prison pour des vols de bébés. Oui, cela peut étonner, mais sous cette dictature, on ne commettait pas les crimes énoncés plus haut : on volait aussi des bébés pour les donner à des familles aisées, très proches du pouvoir militaire. Ainsi, Videla, même s’il ne paiera pas pour les autres crimes, aura connu l’humiliation d’un procès et de la prison. Je sais que certains me diront qu’Augusto Pinochet a évité la case prison. Oui, mais je suis sûr qu’un jour, ses collaborateurs subiront un ou des procès. Et même si ce procès n’a lieu que dans 100 ou 200 ans, peu importe. Il y aura une satisfaction morale de la part des plaignants, descendants ou proches des victimes. Et cela ne peut être qu’apporter un plus à l’honneur de ce grand pays qu’est l’Argentine.
Des pays comme le Congo, le Togo, le Nigeria etc., comptent nombre de nombreux cas de disparus non élucidés. Nous ne comptons même plus les morts. Quand ils ne sont pas ou n’étaient pas assassinés par les hommes du pouvoir, les responsabilités de nos États ne faisaient aucun doute lors de ce que nous appelons pudiquement « drames ». Et vogue la galère…
Nous devons avoir foi en nous et en notre avenir. Il n’y a pas de raisons que ce que les Sud-Américains arrivent à faire avec leurs anciens bourreaux, nous ne soyons pas capables de le faire demain, dans 10 ou dans 50 ans. Nous pouvons et ce serait même une injure à la mémoire de nos ancêtres et des nôtres qui ont subi les pires avanies de l’histoire : nos ancêtres de la part des dirigeants occidentaux et de leurs hommes de nos mains, et les autres, de la part de nos propres dirigeants et de leurs hommes de mains. Ne désespérons pas. Un jour nouveau poindra. Il nous suffit de nous en donner les moyens.
Obambe GAKOSSO, May 2013©
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