Parlons nos langues (aussi) pour notre peuple
Récemment, la ville de Djambala (Centre du Congo-Mfoa), a été en fête. Le chef de l’État, sa cour et nombre de hauts-fonctionnaires s’y sont retrouvés. Dans le cadre des festivités tournantes de l’ « indépendance » du pays (15/08), cette ville et son département (les Plateaux) sont à l’honneur.
À cette occasion, il y a eu des échanges entre des « notables » du cru et les visiteurs. Si ce genre de rencontres entre un président et le peuple de l’hinterland est à encourager – très vivement – hélas ! les visiteurs, lorsqu’ils prennent le mirco et donc la parole, s’adressent à leurs hôtes en… français, au prétexte que c’est la langue de l’administration. J’ajoute souvent, « langue de l’administration coloniale ».
Nous avons été conquis il y a plus d’un siècle par la France, c’est un fait. Après avoir massacré nos aïeux qui résistèrent tant bien que mal, la colonisation lancée passa en outre par l’instauration du français comme langue de travail. Celles et ceux qui voulaient travailler au sein de l’administration se devaient de lire et d’écrire le français. Pourtant, nos parents et grands-parents qui vécurent cette époque, qu’ils soient nés « en ville » ou « au village » – comme on dit si bien chez nous – étaient obligatoirement bilingues. Au moins. Ils parlaient en effet leur langue maternelle, quand leurs deux géniteurs avaient la même langue maternelle, eux aussi. Et, lorsque les villageois allaient en ville, ils apprenaient soit le lingala (Mfoa) soit le kikongo (Ndjindji, Nkayi, Loubomo). C’était quasi systématique. Ce qui donnait des individus parfaitement polyglottes.
Le colon parti officiellement en 1960, aucun gouvernement n’a pensé à renverser la table en mettant sur la place publique la question de l’enseignement de nos langues et de l’enseignement dans nos langues. Si le colon n’avait ne l’avait pas fait, ce n’était que normal car il n’était pas en mission de bienfaisance : c’était un conquérant qui était venu soumettre et surexploiter, afin de contribuer à la croissance économique de son pays. Cela ne pouvait donc être dans son intérêt de travailler sur la question de nos langues qui d’ailleurs ne sont pas les siennes. Il avait imposé le français, comme il avait imposé le code noir et comme il imposera d’autres pratiques dans le seul et unique intérêt de son pays.
Si durant des années, on a pu voir ça et là des hommes politiques congolais s’exprimer publiquement en lingala ou en kikongo, lorsqu’ils étaient loin de nos grandes villes, il faut dire que ce phénomène tend à disparaître. La norme est le français. On voudrait revenir à l’époque coloniale où le moindre mot prononcé dans une école (même dans la cour) et qui n’était pas en français, était passible d’une sévère réprimande et d’une humiliation*, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Combien de fois je ne vois pas des députés dits de la République qui, lors de leurs descentes parlementaires disent expliquer leur travail et ce qui se passe au Parlement en… français ?
Même s’il est vrai que le ridicule a élu domicile aussi au sein de la classe politique congolaise, il serait temps que nos « honorables », « vénérables » et autres « Hommes politiques » se rendent compte que cette situation n’est pas tenable et qu’il faut parler aux gens une langue et un langage qu’ils comprennent. Même dans les quatre plus grandes villes du Congo, il y a des gens qui parlent un français tellement sommaire qu’ils ne doivent pas comprendre 10% des mots et phrases utilisés par les dirigeants. De toutes les façons, pour bien boucler la boucle du ridicule, il faut dire que certains « élus » et autres dirigeants ne sont pas, eux-mêmes, capables de faire une phrase correcte en français, sans quintaux de fautes, des quintaux qui tueraient une seconde fois Antoine Letembet Ambily (1929-2003). J’ai entendu une députée dire, il y a quelques mois à ses mandants Le budget a connu un excédent budgétaire (…) Dans ce pays, on ne connaît vraiment pas la honte. Et pourquoi ne pas dire aussi que le « Budget est monté en haut » ? Un autre, dirigeant une structure étatique a dit publiquement, Le Congo a connu la paix, depuis la fin de la guerre, grâce aux mécanismes de retour à la paix. Et le jour où la guerre reprendra, ce sera grâce aux mécanismes de retour à la guerre ?
Tout cela n’est pas très sérieux. On se plaint souvent que le fossé est trop criard entre les politiques et le reste du peuple. Mais comment ne le serait-il pas si le canal utilisé par les uns pour s’exprimer ne peut être décodé par les autres ? Il faut croire que tout est voulu pour maintenir ce même peuple dans l’obscurantisme le plus total. Des pays comme le Niger, le Sénégal et en Afrique de l’Est (plus le Burundi et le Ruanda) ont pris sur le Congo-Mfoa une longueur d’avance extraordinaire. Un homme politique sénégalais de premier ne saurait demeurer muet s’il lui était demandé de parler de son projet politique en wolof : cela coulerait de source et il le ferait avec plaisir. Au Niger, les noms des partis politiques, d’ailleurs, après les acronymes ou les définitions en français** sont suivis d’un mot haoussa : les mamans et les papas ne parlant pas la langue du Tubab s’y retrouvent alors aisément. 40 ans durant, le président de la Tanzanie, le Mwalimu Juius Kambarage Nyerere (1922-1999) parla à son peuple en swahili, alors qu’il parlait même mieux l’anglais que cette langue. Il savait qu’il venait du peuple et que lui parler en anglais serait une des meilleures manières de s’en couper. Le président Mobutu Sese Seko Kuku Ngwendu wa Zabanga (1930-1997) parlait très souvent à son peuple en lingala (et un lingala de très haute facture). Quand il en avait la possibilité, il disait aussi des mots en swahili (langue très parlée à l’Est de la RDC)***.
Cette pierre que je jette en direction des « responsables » congolais est valable aussi bien pour les membres de l’opposition (dont certains hier étaient aux affaires). Elle est aussi jetée dans le jardin de tous les cadres et techniciens congolais qui ont à cœur de contribuer à l’édification d’un Congo meilleur. Moi-même, je ne saurais m’en exonérer. Charité bien ordonnance, comme dirait ce Congolais devenu illustre un jour de 1991…
Quand un micro m’est tendu, j’ai envie de m’exprimer en kikongo comme en lingala, afin d’être compris par le plus de Congolais possible. Or, il s’avère que pour la première langue citée. Or, il s’avère que j’ai un déficit de mots quand il faut parler économie, administration, bref ! politique, dans cette langue. Comme tous les Congolais, je n’ai appris aucune de ces deux langues à l’école. Comme beaucoup de Congolais, je les apprises dans la rue ou dans un cadre familial (voire les deux). Or, je rappelle que le colon est officiellement parti en 1960 et il serait temps en effet que nous nous y mettions tous et toutes, pour éviter de répéter le même ridicule que ceux qui gouvernent ce pays et qui jouent le jeu de la puissance tutélaire, en parlant par exemple à une vieille villageoise en français…
Obambe GAKOSSO, May 2013©
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* : Il y avait le « symbole » dans certaines écoles. On mettait par exemple de la matière fécale dans un pot et ce dernier, soutenu par une corde ou un fil, entourait le cou de l’écolier puni.
** : MNSD-Nassara ; CDS-Rahama ; PNDS-Tarayya (le parti de l’actuel président du Niger) ; etc. Reconnaissons qu’au Congo, nous avons l’UDR-Mwinda, fondé par feu André Milongo
*** : Je ne sais pas par contre s’il parlait couramment le swahili
Ndeko na ngai,
S’agissant de la pratique de nos langues nationales, je pense qu’il y a quelques efforts de faites ces derniers temps.
Quand on suit les journaux télévisés de Télé Congo, on a souvent l’agréable surprise d’assister à des interviews accordées en lingala ou en ki-kongo par nos hommes politiques.
Globalement ils ne s’en sortent pas mal, même si l’entretien n’est pas accordé dans leur langue régionale.
D’ailleurs, j’ai même remarqué que certains y mettent souvent un peu de zèle essayant de parler un lingala littéraire (à la Botséké), relativement différent de celui qu’ils parlent d’habitude.
A l’inverse, la pratique du lingala dans les médias s’est beaucoup dégradée à la Télé RDC car on y entend souvent un lingala truffé de mots de français ou d’expressions argotiques.
Je pense modestement qu’un effort a été fait dans ce sens à Brazza: nos présentateurs de journaux télévisés en lingala suivraient une vraie formation assurée par Laurent Botséké.