Tchad: entre délestages et nouvelle université trop étroite, on « avance » quand même
Quand les mots n’ont plus de sens, les gens les utilisent du soir au matin, sans même se rendre compte de ce qu’ils disent. Ils ne savent plus de quoi ils parlent. Nous parlons un « gros français » comme le disent si bien certains de nos compatriotes africains.
Pendant le monopartisme, nombre de nos présidents de la République et les membres de leurs gouvernements ne cessaient de dire que nous étions en démocratie. Malgré le caractère assez drôle de cette assertion, il n’y avait pas grand monde qui osait en rire en public, de peur d’avoir droit (au mieux) à de solides représailles (arrestations, intimidations, tortures physiques etc.). On pouvait aussi (au pire) bénéficier d’un billet aller-simple pour Longa*. Quand le mur de Berlin est tombé, contraints d’accepter le multipartisme du fait de la poussée de diverses forces progressistes dans nos pays, nos dirigeants d’alors**, ont continué à dire que nous étions toujours en démocratie. Nous étions tellement heureux de pouvoir enfin crier tout ce que nous refoulions depuis si longtemps que nous n’eûmes pas le temps de rigoler à cette autre ânerie.
La décennie 90 est passée avec ses illusions et ses désillusions. Certains battus et virés de cette période sont revenus aux affaires soit par les urnes, soit par la force, mais on continue à nous dire que nous sommes en démocratie. Soit. Je veux bien. Mais ce qui déjà nous faisait rire dans les décennies précédentes continue à faire rire certains d’entre nous, malgré les lots et les quintaux de malheurs que nous vivons au quotidien, sur le continent comme en dehors. Nos dirigeants ignorent ou font semblant d’ignorer certains fondamentaux qui devraient permettre aux nôtres, qui ne sont pourtant pas très exigeants, de mieux vivre tout en les laissant jouir de nos mannes pétrolières, forestières, aurifères, diamantifères et j’en passe.
Un coup d’œil dans le magazine Jeune Afrique*** m’a inspiré cette réflexion que vous avez sans doute déjà lue ici, ailleurs. Ce sont des choses que vous connaisse car c’est le quotidiens des nôtres demeurés sur le continent, donc le nôtre aussi. Il s’agit de l’électricité et de l’école. Le pays concerné est le Tchad, dont tout le monde s’accorde à dire que depuis que les premières gouttes de pétrole ont commencé à y être commercialisées, le Trésor public, et donc les Finances publiques se portent à merveille. Cependant, aussi curieux que cela puisse paraître, la question énergétique dans ce grand pays****, il y a 20.000 abonnés. Ne riez pas, c’est bien ce que j’ai lu, à moins que le rédacteur de cet article ne m’induise en erreur. Et 75% de ces 20.000 abonnés (soit 15.000) sont concentrés dans la métropole ndjamenoise, dont le boom démographique est sans cesse croissance. Je vous laisse faire le calcul pour savoir combien de Tchadiens ne bénéficient pas à leur domicile du réseau électrique. En Août 2011, le président tchadien, Idriss Déby Itno confessait qu’un de ses gardes du corps lui avait dit « monsieur le président, l’un des problèmes que vous n’avez pas réussi à régler, ce sont les coupures d’électricité ». Et les délestages font partie du quotidien des abonnés de la SNE (Société nationale d’électricité). Hélas ! en lisant cela, j’ai enlevé le nom Ndjamena, le nom Tchad, le nom Déby Itno et j’ai mis les noms de nombre de capitales politiques et économiques subsahariennes, des noms d’autres pays africains et d’autres chefs d’États bien de chez nous et j’ai rigolé. J’ai rigolé car ce sont quasiment les mêmes problèmes. Si dans certains pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun et le Congo-Mfoa, proportionnellement, il doit y avoir bien plus de connectés au réseau électrique qu’au Tchad, la réalité des délestages avec donc un très mauvais service rendu aux masses africaines, est exactement la même, à un microampère prêt.
Au lieu de continuer à se battre seuls dans leurs coins en construisant des micro-barrages hydro-électriques ou en comptant sur des raffineries (cas du Tchad) afin que les populations puissent voir la lumière la nuit, nos responsables devraient plutôt commencer à travailler ensemble pour voir comment régler ce problème dont les conséquences sont énormes et sans doute non évaluées à ce jour. Doit-on reparler des appareils électriques détruits chaque jour ? Doit-on reparler des groupes électrogènes que nos compatriotes sont obligés d’acheter (au prix fort, le produit étant importé) ? Doit-on reparler des denrées alimentaires qui pourrissent plus vite que prévues et nous sommes parfois obligés de consommer ? Ce que les présidents d’Afrique centrale essaient de faire pour sauver l’embryon d’État qu’est la RCA (République Centrafricaine), que ne le font-ils point pour la question énergétique ? Parce qu’ils estiment que cela ne menace aucun de leurs pouvoirs présidentiels ?
Concernant l’école tchadienne, j’ai ressenti de la peine pour nos jeunes frères, jeunes sœurs et enfants qui sont inscrits dans le supérieur (public). En effet, l’Université locale étant jugée depuis un bon moment trop étroite pour gérer le flux d’étudiants arrivant chaque année, le projet avait été lancé d’étendre cet établissement. Fort bien ! C’est ainsi qu’en 2011, le président Déby Itno a inauguré le campus de Tounkra, à 15 Km au Sud de Ndjamena, sur 60.000 mètres carrés. Pour la rentrée de 2012 ce sont 7.000 étudiants qui y ont été inscrits, dans deux facultés (langues, arts, lettres et communication d’une part, sciences humaines et sociales de l’autre). Les frais annuels s’élèvent à 22.000 XAF/étudiant. Les cours sont en arabe et en français plus une option en anglais (sciences humaines et sociales).
Quand on présente les choses de la sorte, on est tenté d’applaudir et de se dire Bravo ! C’est une très bonne nouvelle. En voilà une avancée qu’elle est bonne, et une ! On a même envie de commander une bon bidon de lungwila**** afin partager un verre en famille, en ayant honoré les ancêtres au préalable. Pourtant, comme on dit si bien en lingala, Mayele E za pembeni, bozoba pe kaka pembeni*****. En effet, il s’avère que tout ceci est une grosse fumisterie dont les jeunes tchadiens sont en train de souffrir au quotidien. Les locaux sont tellement étroits que les cours se font par… rotation ! Oui, vous avez bien lu… Ceux et celles qui ont étudié à la faculté des sciences économiques de l’Université Marien Ngouabi, à Mfoa, précisément les étudiants de première année, doivent s’en souvenir : l’amphithéâtre était appelé Amphi600 car il ne comportait que 600 places, alors que depuis des années, l’effectif avait dépassé 600, 1000, 1500, 2000, 4000 étudiants. Je ne sais pas combien il y en a aujourd’hui, mais durant toutes ces années, je puis vous jurer que toutes nos autorités s’en contrefoutaient royalement, comme de leurs premiers mangwanda******. Chaque amphithéâtre a une capacité d’accueil de 300 places alors que chaque fac a 3.500 étudiants… On croit rêver !!! Un étudiant en première année d’histoire de compléter le tableau : Les toilettes ne fonctionnent même pas ! Le groupe électrogène et le château d’eau, prévus pour cela sont encore en cours d’installation… Vous savez quoi ? Il manque des enseignants…
Je vous le dis sans cesse tous les jours ici : enlevez le nom d’un pays et vous aurez chaque fois l’impression que vous êtes à Dakar. À Mfoa. À… Voilà comment nos dirigeants disent vouloir nous mener tantôt vers l’émergence ; tantôt vers le développement. Sans savoir ce que cela veut dire, je me demande tous les jours comment ils vont faire pour atteindre ces destinations, sans électricité ni cadres, techniciens et ouvriers formés. Avec les dents, comme on dit si bien sous nos cieux ?
Obambe GAKOSSO, May 2013©
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* : Le séjour des morts
** : Dont certains sont encore aux affaires au 07 mai 2013
*** : Numéro 2722, du 10 au 16 mars 2013
*** : 1.284.000 millions de kilomètres carrés et 11.274.000 millions d’habitants
**** : Alcool à base de canne à sucre
***** : Traduction libre : L’intelligence n’est jamais loin de la bêtise
****** : Pluriel de lingwanda. Je ne traduis pas : travaillez un peu, vous aussi, oh !