Municipalisation accélérée: à quoi ça rime?
Municipalisation accélérée. Voilà une expression qui fait florès au pays de Marien. Je pense vraiment que cette expression et sa matérialisation sur le terrain sont des sparadraps dur la jambe de bois qu’est le Congo, ce grand corps malade, dont se servent et le pouvoir de Mfoa, de ses thuriféraires et autres affidés.
Congolisme
Étymologiquement, la « municipalisation » est « le fait de municipaliser ». Ce verbe lui-même signifie, « ce qui relève de la municipalité ». En gros, pas besoin d’être un fin et distingué linguiste pour se rendre compte que nous avons là, encore une fois, affaire à un congolisme bien de chez nous qui, en français, ne veut plus rien dire par rapport à son sens de départ, par rapport à sa définition qu’en ont donné eux-mêmes les créateurs, si je puis dire.
Les congolismes, nous en avons, nous en usons et abusons à satiété. Mais j’estime que quand un pouvoir, un exécutif et un législatif se mettent à en faire usage, il est bon, il est requis et ce serait même un gage de sérieux et de rigueur que de dire la vérité à la populace, sur le sens déformé du mot qui est utilisé. Car en fait, dans l’imaginaire de beaucoup de nos compatriotes, ce mot, qui est un mot français, a un sens et c’est faire injure encore une fois à nos vaillants et valeureux enseignants qui nous ont appris la rigueur lorsque nos postérieurs chauffaient encore les bancs des écoles primaires, des collèges et des lycées du pays, de Bétou à Loandjili, en passant par Okoyo, Makelekele et Divénié.
En gros, dire « municipalisation accélérée », en français, ça ne veut rien dire. Un élève congolais sérieux qui serait interrogé sur un tel sujet, en philosophie comme en français devrait gronder son prof. Mais comme cela n’est pas possible, au risque de rater son examen ou carrément de rater ses études à vie, il devra soit se contenter de rendre une copie avec son prénom, son nom, la date du jour, le sujet. Point. Ou bien, il essaiera alors de se mettre dans la tête de ces messieurs qui prétendent nous diriger en accumulant âneries sur bêtises…
« Municipalisation accélérée » : laisser filer encore la dette…
Lors de la grand-messe de 1991 appelée Conférence nationale souveraine (25/02/1991-10/06/1991), il avait été démontré que le Congo était le pays le plus endetté par tête d’habitant, au monde. Chaque enfant congolais qui naissait arrivait avec un fardeau colossal sur sa tête, sans même la possibilité d’y mettre un nkata (coussinet), ce qui augmente d’autant plus la douleur. Le pouvoir sortant de cette époque, incarné par le PCT, qui avait régné sur la plus grande partie de la double décennie que nous venions de traverser, avait la plus grande part de responsabilité dans cet endettement extérieur, suivi par le pouvoir de Youlou. Il y avait aussi la dette léguée par les colons.
Le PCT, revenu par la force des canons des PMAK en octobre 1997 ne semble pas avoir retenu les leçons à lui infligé par le peuple souverain et a remis le Congo sur un chemin d’avenir pavé sans cesse de recours à des endettements massifs et excessifs. Le PCT fait exactement, sinon pire, que ce qu’il a reproché en partie à l’UPADS, 5 ans durant. Mais j’essaie de demeurer lucide et cohérent avec ce que j’ai toujours pensé et toujours été : l’UPADS a été longtemps, surtout dès sa création, une sorte de PCT bis. Ce furent les mêmes gars qui se disaient marxistes-léninistes des années durant, qui ont quitté le navire PCT – qui prenait eaux de toutes parts - qui ont rejoint l’UPADS ou sont allés le créer. Idéologiquement, IL N’Y A ABSOLUMENT AUCUNE DIFFERENCE ENTRE L’UPADS ET LE PCT ! Pas étonnant que ces deux partis soient de piètres gestionnaires des deniers publics, au contraire d’un Alphonse Massamba Débat et d’un Jacques Opangault qui eux, avaient un immense respect de ce qu’était l’argent et n’en dépensaient pas plus qu’il n’en fallait.
La dette en soi n’est pas une mauvaise chose, si celui qui emprunte en fait un bon usage. Des pays comme les nôtres, ont, en fonction de leurs sources de revenus (impôts, douanes, matières premières quand elles existent, etc.) besoin souvent (trop souvent à mon goût), recours à l’endettement pour financer certains projets d’intérêt national. Que l’on s’endette pour bâtir un hôpital d’envergure, une route nationale etc., je veux bien. Mais dans ce cas, les chiffres doivent rendus publics, à la virgule près. Ce qui n’est pas le cas, mais vraiment très loin d’être le cas. Les Congolais devraient avoir droit aux éléments suivants, sans même qu’ils aient à en poser les questions qui les sous-tendent :
- Pourquoi emprunter ?
- À qui emprunter ?
- À quelles conditions emprunter ?
- Combien emprunter ?
Et dans le cadre de ces fameuses « municaplisations accélérées » dont on se gargarise tant, au pays de Jean-Félix Tchicaya, il y a recours à l’endettement. Les faits parlent d’eux-mêmes : ce pouvoir a recours à la politique de la main tendue (en d’autres mots, à la mendicité) pour faire le moindre parpaing d’un bâtiment. On s’endette pour tout et pour rien.
« Municipalisation accélérée » ou accélération de la dépense publique
Autre congolisme qui est devenu aussi vieux que le baptême du diable, « grever ». Pour nos concitoyens, grever c’est faire grève, ne pas aller à l’école ou ne pas aller au job. Or, en français, ce mot signifie « accabler avec de lourdes charges financières ». Et, dans la réalité des faits, la « municipalisation accélérée », made in Congo c’est cela : dépenser, dépenser, dépenser au maximum l’argent que nous avons et celui que nous n’avons.
Ubu roi n’aurait pu rêver mieux !
L’argent coule à flots. Les amis et les parents courent les cabinets ministériels et les autres bureaux où passent le liquide, qui pour avoir un « marché », qui pour proposer une prestation (peu en importe la qualité). Les tee-shirts, casquettes, pagnes, survêtements etc. sont commandés par centaines de milliers (en Europe, évidemment, puisque nous avons fermé l’usine textile de Kinsoundi, il y a belle lurette). On fait la fête des semaines durant dans le département concerné. Le président et sa cour s’y rendent. Les ministres y sont tous aussi. Les directeurs de cabinet suivent leurs chefs et plus personne ne tient les ministères. Le pauvre clampin et la pauvre pelée qui, à Mfoa, ont besoin d’une signature pour faire par exemple tourner leurs affaires sont obligés de ronger leurs freins. Du coup, leurs affaires ne tournent pas, ce qui entraîne un manque à gagner certain.
Dans le département où a lieu la fête, l’inflation bat son plein car tout devient plus cher, extrêmement cher. Les citoyens qui y vivent, s’ils n’ont pas eu la prudence de faire des stocks importants de denrées et autres produits de vie courante, n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.
Tous les observateurs un tant soi peu pétris d’esprit patriotique sont enclins à reconnaître que :
- Les objectifs assignés à ces « municipalisations accélérées » ne sont jamais atteints. Nous sommes devenus des spécialistes des travaux finis à 80%. Ce pourcentage est répété chaque jour, sans la moindre honte ni gêne de la part de nos dirigeants, à tel point que nous sommes même fiers d’inaugurer des édifices inachevés. Mais c’est le Congo, « l’apeuprisme » est devenu la norme ;
- Les enveloppes dégagées pour ces « travaux » sont donc, de fait, très mal utilisées et ce ne serait faire offense à personne en parlant corruption, concussion et autres termes du même genre, dans les différentes phases de ces marchés qui n’ont de publics que le nom ;
- Quand on creuse pour savoir qui se trouvent en réalité à la tête des entreprises qui gèrent certains marchés de ces grandes fêtes, la boucle est bouclée et l’on comprend encore une fois aisément à quel point il y a connivence entre les prêteurs et les nôtres : l’argent se met à circuler en circuit fermé. Quel est l’officiel congolais qui n’a ni enfant, ni épouse (restons-en là) impliqués dans la gestion d’un marché public ?
Quand il y a quelques années, les Occidentaux nous ont offert une nouvelle variété de la poudre de perlimpinpin, appelée « annulation de la dette », j’étais de ceux qui en avaient ri car je savais pertinemment que cela ne servirait à rien, bien au contraire. L’actualité a donné raison à ceux qui sont de la même école de pensée que moi car le Congo, qui adore se distinguer négativement, est redevenu le pays le plus endetté par tête d’habitant…
Revenir aux fondamentaux
Dans l’esprit donc de nos bienheureux dirigeants, la « municipalisation accélérée » est donc le fait d’accélérer l’évolution de nos cités vers le statut de « villes modernes », si je puis utiliser ces mots (car eux-mêmes n’en ont pas réellement, mais l’esprit est là). Du coup, on voit fleurir ça et là, dans les régions concernées des bâtiments administratifs, des routes etc.
Aucun esprit censé ne pourra crier que la route est mauvaise. D’ailleurs, je ne connais aucun Congolais qui se soit déjà ridiculisé ainsi. Personne ne pourra pleurer que l’on bâtisse des bâtiments administratifs : nous en manquons cruellement et tout bâtiment, surtout dans l’hinterland, serait le bienvenu.
Mais soyons un tant soi peu lucides et rangeons nos considérations amicales et autres dans nos poches et regardons froidement ce qui se fait réellement :
- quelles sont les dimensions desdites routes dont on nous fait état au quotidien ?
- combien de kilomètres de routes bitumées ont été réalisés ?
- de quels bâtiments administratifs nous parle-t-on ? à quoi ils servent ?
- combien coûtent (réellement) tous ces ouvrages ?
- combien d’écoles ont été bâties ? quels types d’écoles ?
- combien d’hôpitaux et avec quels personnels soignants s’y trouvent ?
- des espaces boisés sont-ils prévus dans ces travaux ?
- etc.
Si on est capable de répondre sérieusement à ces questions, on comprend rapidement que tout ceci est une vaste fumisterie. Et que l’on ne vienne pas encore nous dire qu’il nous manque des ingénieurs, techniciens et autres ouvriers pour faire un travail de qualité : le Congo en a à foison et l’Afrique aussi. Mais à partir du moment où des dossiers sont gérés par des gens qui ont d’abord l’appât du gain personnel comme objectif premier, et que ces gens n’ont de compte à rendre à personne, il ne faut guère s’étonner que l’on donne des miettes à nos parents de l’intérieur du pays et que l’on crie ensuite, « Bo moni, mokonzi A zo sala ! »
Champagne !
Pour finir, je reviens sur un évènement dont nous avons vraiment le secret. Lorsque le Congo est devenu PPTE (Pays pauvre très endetté), le champagne a coulé à Mfoa. Véridique et authentique. De quoi peut-on qualifier des gens qui sont fiers d’être traités de pauvre et de très endettés ? Chacun est libre d’en rire ou d’en pleurer !
Obambe GAKOSSO, April 2013©
Ndéko na ngai,
j’apprécie les congolismes.Ils ont en eux cette forme d’humour typiquement congolais qui fleurit nos conversations…
Tiens, j’en ai découvert un nouveau la semaine dernière en regardant en direct la rencontre entre Denguess et la diaspora congolaise en France….
Le Boss interrogeait les représentants de la diaspora pour savoir s’ils avaient oublié leur pays (Le Congo)?
Il y en a une dans la salle de l’Hôtel Meurisse qui a répondu « Inssalamable! »
Tout le monde a marqué un temps d’arrêt pour essayer de décrypter ce nouveau mot du vocabulaire congolais… Ensuite, ils ont tous éclaté de rire quand ils se sont rendu compte que ça venait du verbe lingala « Kosalama/faire ». Insalamable veut donc dire: « ça ne peut pas se faire »… « Impossible »…
Et voila notre Dinguess national qui s’empare du mot pour meubler son discours…
Quoi de mieux pour passer à la phase de dégustation des petits fours?
Notre patrimoine linguistique vient de s’enrichir d’un nouveau mot la semaine dernière…
Qui a osé dire que les congolais ne sont pas créatifs?
Ndeko na ngaï,
En fait, cela fait des années que j’entends les Congolais utiliser ce mot, insalamable. Il m’arrive même d’en faire usage, parfois.
On a aussi des mots comme mawable (de mawa). Les Congolais sont de grands créateurs.
@+, O.G.
Ndeko ne ngai,
Il y a une expression congolaise qui me fait toujours marrer: c’est quand on parle de « rectifier l’âge… », ce qui n’a rien d’une réelle rectification puisqu’on le falsifie en réalité en le réduisant administrativement pour se donner une sorte de « cure de jouvence civile ».
On a également des verbes comme « pembeniser » qui a le sens d’écarter, exclure…; « tchayer »/prendre du thé ou prendre un petit déjeuner (expression inventée par les étudiants revenant d’URSS); l’expression ancienne: »profiter » qui veut dire « draguer », « courtiser »…
Mon maître du CE1, qui avait réussi enfin à obtenir son brevet (BEMG) en candidat libre après plusieurs tentatives malheureuses s’en était fièrement venté en disant: « le BEMG! je l’ai bâclé avec facilité! »… Le terme « bâcler » signifiant pour lui « réussir ».
La mode, à l’époque, étant de faire usage d’un vocabulaire pompeux (signe de personne détentrice d’une bonne culture générale),ce même maître nous injuriait en nous traitant de « goguenards! » lorsque nous nous montrions trop remuants en classe.
Récemment, j’ai découvert à Brazza un nouveau mot: »Moscovite » qui qualifie toute personne venant d’Europe, considérée comme mal habillée, mal fagotée (selon les codes vestimentaires congolais).
Un « moscovite » c’est une personne dans le style: le mec mal rasé, qui se ballade en jeans/sandales et qui, globalement, n’accorde pas beaucoup de soins à ses effets vestimentaires. Il y a une trentaine d’années, ce mot désignait uniquement les étudiants venant des pays de l’Est, qui n’avaient pas l’occasion de s’équiper en jolis fringues parce qu’ils ne pouvaient pas en trouver sur place s’ils n’avaient pas eu l’occasion de transiter par Paris pour en acheter…
Il y a donc eu un glissement sémantique au fil du temps et ce terme (Moscovite) a pris un sens plus extensif qui englobe désormais également des personnes venant de France ou d’Europe en général.