Les Congolais écrivent, mais les Congolais n’ont pas le droit de les lire
Mon ami Rudy Pamphile Malonga a eu cette année le plaisir d’aller au Salon du livre de Paris, événement qui se tient chaque année un week-end du mois de mars, à Paris, depuis 1981. À cette occasion, outre de belles photos, notamment avec le grand et modeste Emmanuel Boundzeki Dongala*, l’ami Malonga nous a offert une petite réflexion avec dedans des propositions.
Je le connais depuis bientôt 18 ans et ce qui m’a toujours plu chez lui, c’est cette rigueur qui le caractérise avec entre autres cette exigence de toujours allier ses analyses avec des propositions. Et donc, dans son billet sur le célèbre réseau social, il a évoqué la question du livre au Congo. Son constat, je le reprends ici, in extenso : La presque totalité des auteurs aujourd’hui, écrit et publie de l’étranger, de France en particulier. Il y a plus de 800 de titres exposés sur ce stand à Paris. Les congolais sont vraiment très prolifiques. Ils écrivent beaucoup, beaucoup trop même, peut-on penser si on compare cela en proportion avec la population et le nombre de lettrés. Mais, au Congo, ces livres ne sont pas à la portée du grand public, des élèves et des étudiants, etc. Ces livres sont très mal distribués et ils coûtent plutôt chers. Ils sont absents des quelques bibliothèques fonctionnelles. Les auteurs congolais sont donc plutôt lus en France, pour les plus connus d’entre eux. Car avec l’importante production de livres qu’il y a dans l’hexagone, on peut vite comprendre que seules les stars (Mabanckou, Lopes, Dongala, Nsondé) ont un lectorat important. Et les autres auteurs alors, qui ne sont pourtant pas dépourvus de talent ?
Les amoureux du livre, vivant au Congo comme en dehors, ont déjà dû faire ce constat effarant. Quand on connaît l’histoire des lettres congolaise, ainsi que leur dynamisme, on est en droit de se demander à quel jeu joue nos autorités sur cette question, depuis si longtemps, en laissant la question du livre (en particulier) et de la culture (en général) de la sorte. Je me souviens que lors d’un échange, il y a belle lurette avec l’ami Rudy, nous avions évoqué l’universitaire et hommes de lettres qu’est Matondo Kubu Turé**. Cet homme qui écrit des pièces de théâtre et qui en dirigeait naguère***, Rudy le connaît très bien et lui voue un immense respect. Une phrase de lui, résonnera toujours dans ma tête, à moins que ma mémoire ne me joue un tour : Je suis son produit !
Voilà que des hommes de talent comme les Turé et autres auteurs congolais ne sont connus et reconnus que d’un très petit cercle d’initiés. Parce que les livres coûtent chers en rapport avec la poche du Congolais moyen. Parce que les autorités ont zéro politique du livre et ne semblent guère être pressés d’en mettre une en place, un jour.
Il y a des choses qui paraissent banales, normales pour le Congolais, mais qui, dites devant une personne ressortissante d’un pays où le livre est accessible, sera forcément perçue comme ridicule, voire criminelle. Je me souviens qu’habitant la rue Franceville, au bord de la rivière Madukutsekele, à Ouenze, j’étudiai au CEG de la Paix. Pour lire une bande dessinée que je n’avais pas eu le temps d’acheter, je m’arrêtai à mi-parcours, aux alentours de 10 heures ou 11 heures, à la bibliothèque de l’église du Saint-Esprit de Moungali. Voilà le genre d’endroits où nous allions, habitants des quartiers Nord et Centre de Mfoa, quand on voulait lire. Ensuite, élève au Lycée du Drapeau Rouge, plus proche du Centre ville, je pris l’habitude d’aller au Centre culturel français (CCF). BD et autres livres pour préparer certains exposés, j’en trouvais là-bas, moyennant un abonnement annuel. Voilà comment le Congo « gère » depuis toujours sa politique du livre. Qui va encore me dire que je suis méchant en disant que le Congo est vraiment un territoire français d’Outre-mer (TOM) ? La réalité est là car c’est un fait vérifiable aujourd’hui encore : nous n’avons ni Centre culturel africain, ni Centre culturel congolais. Un projet de ce genre, avec un bâtiment par département, je ne crois pas que cela coûterait les yeux de la tête. Le Congo est un pays riche. Immensément riche à tel point que nous ne savons que faire de notre argent. A-t-on besoin de sortir de la meilleur école de lettres au monde pour comprendre ce qu’il y a lieu de faire ?
Notre ami Rudy lance donc ses propositions qui n’ont rien de bien révolutionnaires, à tel point qu’on se demande encore comment aucun ministre de la Culture du Congo n’ait jamais entrepris quoi que ce soit à ce niveau. Redonnons-lui la parole : Et si l’Etat congolais achetait 100 exemplaires de chacun des livres qui paraissent tous les ans, écrits par des congolais ? Pour les mettre ensuite à la disposition des jeunes et du grand public, via des bibliothèques et d’autres lieux de culture. L’idée peut paraître fantaisiste, mais elle est digne d’intérêt…
Non, Rudy, crois-moi, ton idée n’est en aucun point fantaisiste ! Bien au contraire. Nous savons, toi, les autres et moi, que sans culture, on est comme un arbre sans racines. C’est-à-dire rien du tout ! Faisons des calculs simples pour essayer d’évaluer ce que cela pourrait représenter.
100 exemplaires/livre, sur les 800 ouvrages (au bas mot) dont parle Rudy dans son billet, à raison de 20€/livre (prix indicatif, donné par Rudy) = 1.600.000 €. Soit 1.049.531.200 XAF. Personne ne dira que dans un pays où l’on claque 10.000.000.000 de XAF dans un mausolée à la gloire d’un colon, on ait du mal à dégoter une telle somme.
Concernant les bibliothèques, il est criard de voir que nos plus grandes villes (Loubomo, Nkayi, Ndjindji et Mfoa) ne disposent ni de bibliothèques ni de médiathèques municipales. Combien faut-il pour en construire ? Je n’en ai pas la moindre idée, mais je crois sincèrement qu’avec les budgets colossaux de ces municipalités, ce n’est pas l’argent qui manque pour en bâtir. En poussant même la logique de Rudy, la mienne et sans doute aussi la vôtre (dussiez-vous être un thuriféraire du régime en place), ces quatre villes que je viens de citer devraient avoir en toute logique une bibliothèque municipale, au moins, par arrondissement, ou par quartier. Quant aux chefs-lieux des départements (Kinkala, Sibiti, Ouesso, Impfondo) et autres cités de taille plus ou moins comparables, que nous appelions il y a quelques années chefs de districts (Komono, Bouansa, Gamboma, Sembe, Betou etc.), elles sont en droit d’avoir aussi des bibliothèques gérées par les mairies et autres agglomérations (puisqu’administrativement, nous en comptons désormais).
J’ai fait ma sixième au CEG de la Fraternité. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu une seule bibliothèque là-bas. Je ne vous parle même pas de l’autre collège déjà cité. Quant à mon lycée, il y avait un truc appelé CDI (Centre de documentation et d’information). Il y avait une quantité infime de livres, mais pas d’endroits pour les consulter, que je sache. On empruntait les livres et les amenait chez nous. Cela fait froid dans le dos, avec le recul, mais c’est pourtant la triste réalité.
Cela ne ruinera point notre pays. Encore une fois, il faut le dire : le Congo a l’argent et nous n’avons pas besoin de mendier, de tendre la main envers qui que ce soit pour bâtir ces édifices publiques qui sont d’une importance capitale. Des jeunes qui vont lire, ce sont des jeunes en moins dans les rues et autres endroits mal famés. Des jeunes qui s’instruisent, ce sont des oisifs en moins et la paix, tant vantée, tant cherchée et recherchée (souvent même avec des lampes en pleine journée) sera en partie gagnée. Il n’est pas normal que la rentrée culturelle congolaise se passe au CCF. La France elle, de son côté, doit bien rire de nous… Imagine-ton un seul instant qu’en 2006, 2009, 2012 etc., la rentrée culturelle française ait lieu dans un des établissements culturels allemands de Paris, sous prétexte que la France fut occupée par l’Allemagne, naguère ? Je ne vous dis pas les réactions épidermiques dans ce pays où le coq gaulois fait cocorico à chaque occasion, bonne ou mauvaise ! J’ai vécu au Maroc et j’ai des instituts français à Casablanca, Rabat, Tanger et dans d’autres villes du royaume chérifien. Je ne me souviens pas une seule fois que des officiels marocains se soient déplacés dans un de ces établissements pour effectuer une quelconque rentrée culturelle. Dans ce pays où l’indépendance a été arrachée de haute lutte, celui qui prendrait une telle initiative se retrouverait très vite démis de ses fonctions et serait sans doute jugé ! J’ai déjà eu l’occasion, sur mon ancien blog, d’évoquer cette question. 4 ans après, il est plus que jamais urgent de mettre fin à ces anachronismes et de travailler enfin.
En 2010, le président de la République, Denis Sassou Nguesso, avait confié au Pr. Théophile Mwene Nzalé Obenga, la responsabilité de mettre sur pied et de diriger une équipe qui aurait la charge de rédiger l’histoire générale du Congo. Ce travail sera fait et il en sortira 5 volumes aux éditions L’Harmattan. Je vous invite, vous qui vivez au Congo, vous qui avez l’habitude d’y aller : si ces livres sont disponibles au pays, combien d’exemplaires y-t-il ? où les trouve-t-on ? Vous comprendrez mieux alors que la question du livre, malgré l’exceptionnelle production congolaise ne préoccupe guère grand-monde, auprès de nos autorités…
Je terminerai par une pique en forme de sourire envers mon cher Rudy. Non, ne dis pas que les Congolais n’écrivent pas trop même peut-on penser (…), comme tu dis. On n’écrit jamais trop car aucun peuple ne peut avoir assez de livres, assez de lectures. Au contraire : on en a toujours envie, besoin, peu importe les domaines. Et tu verras, très cher ami, comment les Congolais se jetteront sur les livres quand ils leur seront plus accessibles. Demain. Après demain. Un jour…
Obambe GAKOSSO, April 2013©
* : Son dernier roman est un chef d’œuvre : Photo de groupe au bord du fleuve, Actes Sud, 2010, Prix Ahmadou Kourouma 2011 et Prix Virilo 2010
** : Son dernier ouvrage, Vous êtes bien de ce pays ? Un conte fou, est paru chez L’Harmattan en 2009 dans la collection Encres Noires
*** : Je ne sais pas si sa troupe existe toujours. Turé est notamment sociologue, enseignant à l’Université Marien Ngouabi