2 ans après le 11 avril 2011, le combat continue
En 1990, un frère, rentrant de vacances d’Abidjan nous parla d’un homme qui osait défier le président Félix Houphouët-Boigny (FHB), indéboulonnable leader politique de ce pays depuis les années 40, époque où nos pays n’avaient pas encore accédé à la souveraineté internationale.
Cet homme, c’est Koudou Gbagbo, né à Mama (Ouest de la Côte d’Ivoire) le 31 mai 1945, diplômé d’histoire. À l’époque, c’était un fou pour presque tout le monde. Comment ? Oser défier le bélier, Nana Boigny ? Les deux jeunes que nous étions, en face de ce frère, franchement, nous ne croyions pas trop à cette histoire. Pour nous, ce Gbagbo qui, d’après notre frère rentré fraîchement d’Abidjan, remplissait des stades et drainait des foules immenses partout où il s’exprimait, ne pouvait ébranler ce pilier, le plus solide sans doute, de la Françafrique. Paris tenait fermement à cette colonie et il était hors de question qu’elle passe sous la coupe de ce fou de Gbagbo ! D’ailleurs, les officiels français avaient déjà fait leur travail : le score de Gbagbo, pour la prochaine présidentielle, présumée « libre et transparente » (sic !) était connu depuis les laboratoires élyséens et du Quai d’Orsay. 15%. Pas plus. Le reste pour l’ancien ministre française du temps des colonies, FHB.
Cet homme qui tenait meeting sous des chaleurs accablantes, avec une serviette grâce à laquelle il s’épongeait dès qu’il pouvait, cet homme savait qu’il avait un but principal : accéder au pouvoir suprême. Malgré tous les obstacles qui seront placés sur sa route, il n’aura de cesse, avec son parti, avec ses militants, avec le peuple ivoirien, de se battre sans relâche pour atteindre son but : accéder au pouvoir. C’est ce qui arrivera 10 ans après cette année 1990.
En 1996, c’est un autre frère ivoirien, qui a le PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain) dans la chair, les os et la moelle épinière, avec qui je parle longuement de Gbagbo. Il faut dire que le personnage m’intrigue de plus en plus mais je n’avais pas assez d’éléments pour le cerner. Ce frère, qui considérait FHB comme un dieu, vouait aux gémonies Gbagbo. Pour lui, Henri Konan Bédier (HKB), le « fils » de Nana Boigny est là pour très longtemps et le pouvoir ne saurait quitter la maison PDCI-RDA.
En décembre 1999, je discute cette fois avec un frère ivoirien, peu après le putsch de décembre qui verra HKB fuir le pays en bon trouillard. Pour lui, il ne fait aucun doute que si les élections sont fair play dans un an ou dans dix, Gbagbo va gifler Robert Gueï. Ah ! bon ? lui dis-je. Il m’explique calmement les choses en me faisant comprendre combien l’homme est populaire et que lui, malgré qu’il soit Akan (même groupe linguistique que FHB et HKB) et membre du PDCI-RDA, il y a belle lurette que le pouvoir présidentiel aurait dû échoir à Gbagbo.
L’histoire lui donnera raison, comme elle donnera raison aux militants et sympathisants du FPI (Front populaire ivoirien) qui auront toujours cru au destin national de leur champion, leur Woody*, comme ils l’appellent si affectueusement. Malgré la fraude organisée par Gueï et sa tentative de s’accrocher contre la vérité issue des urnes, Gbagbo et la rue balayeront Gueï, tout général qu’il fut. Henri César Sama Damalan, à la surprise générale, prendra son courage à deux mains et déclarera. Gueï n’aura d’autre choix que de s’incliner devant plus fort que lui.
Dans les présidences africaines, le séisme est à son comble : comment un homme qui n’a pas été du tout prévue par les experts françafricains a-t-il pu réussir à atteindre le Saint-Graal ? Encore une preuve que ces africanistes et autres conseillers qui abreuvent les cabinets français de notes en tous genres, peuvent se planter lamentablement et ne connaissent, en définitive, pas vraiment l’Afrique comme certains d’entre nous le croyons un peu trop et comme ils tendent à le faire accroire.
Si le président Gbagbo, malgré tout, a réussi au-delà du possible et du probable (pour les ennemis de l’Afrique) à atteindre cet objectif, pourquoi devrions-nous pleurer parce qu’il est depuis le 11 avril 2011 prisonnier des forces ennemies du continent ?
Bien sûr que c’est humiliant pour nous qu’il soit arraché devant les cameras du monde entier par des soldats français.
Bien évidemment que c’est humiliant pour nous qu’il se soit retrouvé prisonnier de la France, SUR notre continent, à Korhogo.
Évidemment que c’est humiliant pour nous qu’il ait été déporté de Korhogo vers La Haye, en plein vingt-et-unième siècle, sans que le moindre président africain ne lève son armée pour combattre nos ennemis.
Je ne parle même pas de cette mascarade de procès qui se déroule à La Haye. C’était au départ une autre forme de violence psychologique à notre endroit, mais fort heureusement, cela s’avère être une vraie pantalonnade…
Les combats, les guerres, les luttes, les batailles etc. sont parsemés d’embûches et d’obstacles en tous genres. Des combattants peuvent tomber un jour, dix jours, mais cela ne doit nullement freiner les autres combattants car le plus important est l’enjeu : pour quoi se bat-on ? Se bat-on seulement pour un homme ou se bat-on pour un idéal ? Se bat-on seulement un homme ou pour une cause bien plus grande, qui nous dépasse toutes et tous ? Si les Africains arrivent à intégrer cela, nos larmes vont sécher par elles-mêmes et ceux et celles qui ont baissé les bras vont reprendre le combat car nous avons une mission : léguer aux plus jeunes que nous un continent meilleur que nous avons trouvé. Avec comme point d’orgue, un élément très important, qui, à défaut de tout surpasser, en écrase quand même pas mal d’autres : la Liberté ! Si après la capture puis la mort du général Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines et les autres combattants ayitiens avaient baissé les bras, je doute très fort que la face du monde aurait été la même…
Obambe GAKOSSO, April 2013©
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*: Homme, dans sa langue natale, le « béthé »
Cet homme là est à jamais dans le coeur de la majorité des ivoiriens. ça été une grossière erreurs de la part de ses adversaires de le traiter ainsi car ils en ont fait une icône