Du parasitisme à la Congolaise
Si ma mémoire ne me trompe pas, c’est en classe de seconde, en cours de biologie, que nous avons eu à faire à ce mot, parasitisme. C’était défini comme le fait de se nourrir, de vivre aux dépens d’autrui. On nous disait même qu’un parasite était un organisme vivant qui se nichait au creux d’un autre organisme vivant.
En ouvrant un peu mieux les yeux, nous nous rendions compte qu’autour de nous, les parasites ne manquaient guère. Certains les appelaient profiteurs et ces deux mots sont très bien choisis.
En politique congolaise, les parasites ne manquent pas. Nous en avons même trop. Si je maintiens que notre Sénat, la fameuse chambre haute, où sont sensés de retrouver les « sages » de la République, ne sert strictement à rien et qu’il faut s’en débarrasser le plus rapidement possible, il y a aussi le Conseil économique et social (CES), que les Congolais connaissent très peu.
Ce machin est composé de 75 membres. Oui, vous avez bien lu, 75 membres. Je ne sais pas sur quelles bases ces gens sont nommés, mais à la lecture de quelques noms, très rapidement on se rend compte que c’est plus une voix de garage qu’un endroit d’où le gouvernement de la République pourrait en effet tirer conseil. Petit tour :
- Jean-Marie Tassoua : il est membre du Comité central du PCT (Parti congolais du travail, au pouvoir). Le grand public l’a connu en 1991 à l’occasion de la CNS (Conférence nationale souveraine). Il avait été responsable de l’ARC (Assurances et réassurances du Congo) sous le monopartisme. Durant la CNS, il fut pris à partie comme quasiment tous les dirigeants des structures étatiques et paraétatiques de l’époque… Il sera, dit-on, un grand guerrier, selon la terminologie des chantres du camp des vainqueurs de la Guerre de 1997. Il en obtiendra une belle récompense avec un maroquin, celui de l’Énergie et de l’Hydraulique (97-2002). Battu lors des législatives de 2002, il n’est pas reconduit et, je suppose que sur la base de sa participation à la guerre, se retrouve vice-président du CES en 2003. Depuis 2009, il en est le président ;
- Juste avant lui, c’est un dinosaure de la classe politique congolaise, Auguste Célestin Gongarad-Nkoua (qui doit avoir bien plus que 70 ans) qui en était le président. Depuis, il est maintenu et n’en est même plus membre du Bureau ;
- Jeanne Dambezet : elle était ministre avant la chute du PCT. Les Congolais ont beaucoup entendu parler d’elle, suite aux fameux recrutements anarchiques de fonctionnaires, véritable politique de la terre brûlée*. Au lendemain de la fameuse guerre, elle est de nouveau ministre… Elle aussi sera recasée dans ce fameux CES.
- Michel Mampouya : cet ancien membre du Bureau exécutif du MCDDI (Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral) sera nommé après la guerre ministre de l’Industrie minière et de l’Environnement. Il est actuellement membre du bureau de ce CES.
On pourra citer d’autres noms qui parleront aux Congolais : El Hadj Djibril Abdoulaye Bopaka, Antoinette Ganongo Olou, André Gomez Gnali, Hyacinthe Ingani etc. Franchement, l’impression qui se dégage en listant ces noms, c’est que c’est une belle voie de garage où l’on peut boukouter** paisiblement. Quasiment ni vu ni connu.
Comme on est au Congo, pays très fâché avec les TIC (Technologies de l’information et de la communication), le CES n’a pas de site Internet. Son adresse mail est ces.congo@yahoo.fr. Vous avez vu l’extension : cette structure appartenant à l’État, n’a même pas une extension en .cg. On croit rêver, mais c’est ainsi, le Congo.
Comment savoir quel est le budget de ce CES ? Comment savoir à quoi il sert réellement ? Qui a eu la bonne idée de créer ce machin qui est une maison de retraite dorée où l’on retrouve aussi bien des quinquagénaires et septuagénaires avec quelques jeunes de 55/60 ans…
Les Français ont crée leur CES en 1924 par le président d’Édouard Herriot, avec 47 membres. La loi constitutionnelle du 23/07/2008 y a rajouté la compétence environnementale et il s’appelle désormais CESE. Il y a 233 membres ( !) aujourd’hui.
Petite pause encore en France. La France d’Herriot avait 40.170.000 habitants. Aujourd’hui, il y a 65.000.000 de Français. Donc, pendant que la population était multiplié par plus d’1,6, le nombre de conseillers était lui multiplié par près de 5. Les Français qui s’y intéressent réclament la suppression de ce truc dont je conviens que même chez eux, il ne sert strictement à rien.
Je parie mes ongles et mes cheveux que nous avons, encore une fois, copié bêtement ce qu’a fait la France, en créant le CES. Nous battons des records de structures administratives, où des gens sont payés à ne rien, mais alors strictement rien faire du tout.
Et puis, entre nous :
- 75 membres du CES ;
- 72 sénateurs (contre 60 en 1997) ;
- 136 députés (contre 125 en 1997) ;
- 38 ministres.
A-t-on besoin de tout ça ? Ces gens ne savent plus quoi faire de notre argent ? Ont-ils besoin de cours de gestion de finances publiques ? Savent-ils que nos écoles manquent cruellement de bancs, de craies, de tableaux etc. ?
Aller sur le site officiel du pays, regardez les noms des membres du CES : vous y trouverez forcément une personne que vous connaissez. Demandez-lui à quoi elle sert. Vous risquerez de vomir ! Je vous promets. J’ai encore en mémoire le témoignage d’un aîné qui a son ami là-bas. C’était il y a quelques années et cet ami de lui dire : Mais que fais-tu encore à (…) ? Tu sais combien je gagne au CES ? Tu as vu ma voiture de fonction ? Il n’y a rien à faire en plus. viens ! Des parasites, je vous dis, des parasites…
Obambé GAKOSSO, March 2013©
* : Lire à ce sujet, Quête démocratique en Afrique tropicale : Les occasions manquées au Congo de 1957 à 1997, de Pierre N’dion, L’Harmattan, 333 p, octobre 2011
** : Du verbe kuboukouta. Verbe qui a fait florès entre 1992 et 1997, désignant le fait de saigner comme il se doit les finances publics.
Ndeko na ngai,
Tu trouves vraiment qu’on est jeune dans la tronche des 50-60 ans comme tu le fais constater dans l’analyse que tu fais du CES?
Même en France où l’espérance de vie est plus élevée, les 50-60 ans sont classés dans la catégorie des « hommes mûres » ou des « séniors ».
Par ailleurs, en parlant du mimétisme administratif auquel tu as fait allusion tout à l’heure, j’ai été amusé récemment, en regardant Télé Congo, de voir la forte corrélation en terme d’organisation, qu’avaient les administrations de nos pays avec celles de leur « mères patries » respectives.
En effet, un colloque avait été organisé à Kinshasa pour comparer les formes d’organisations et de méthodes de travail entre la Mairie de Kin et celle de Brazzaville….
En suivant les différentes interventions, on avait aucune peine à observer la forte imprégnation des deux administrations respectives avec celles de chacune de leur « mère patrie » en terme de structure et de fonctionnement.
Ndeko na ngaï,
Plus je lis les réactions à certains de mes propos et plus je suis persuadé que je ne pourrais jamais faire carrière d’humoriste.
En parlant de jeunes de 50/60 ans, j’aurais dû écrire comme ceci « jeunes » car c’est de l’ironie. Je me moque de nous-mêmes dans ce pays où certains de nos aînés ont accédé à d’importantes responsabilités assez jeunes, au départ officiel des colons et même 2 décennies après :
- Youlou avait 43 ans en 1960 ;
- Massamba-Débat 42 en 1963 ;
- Ngouabi 30 ans en 1968 ;
- Yhombi-Opango 38 ans en 1977 ;
- Sassou Nguesso 36 ans en 1979.
Bien entendu, je me contente des âges officiels et je ne cite même pas les ministres et directeurs de cabinets de ces époques.
Or, que constate-t-on aujourd’hui ?
- Sassou Nguesso a 70 ans et ne semble pas donner le signe qu’il veut passer la main ;
- Koumba (AN) a 66 ans ;
- Obami Itou (Sénat)a 73 ans ;
Je ne parle même pas des autres.
Conclusion, si ces vieux briscards, dans un pays où l’espérance de vie est autour de 50 ans, ne lâchent pas, c’est que pour eux, les 50/60 ans doivent être encore bien jeunes…
@ suivre, O.G.
Bonjour Obambé,
Waow quel travail d’archive impressionnant. Curieusement en lisant ton titre, je m’attendais à autre chose, parce que vue de ma fenêtre le « parasitisme » est devenue un sport national chez nous. Entre nous, et je pèse mes mots 90 % des gens ne réagissent pas face à tout cela parce qu’au fond dans leur quotidien, ils font exactement la même chose. Si papa Mokonzi, tonton machin, ya ya untel le font, donne un exemple de parasitisme, bref que la majorité « visible » en tout cas donne ce modèle par quelle magie cela changerait ? Franchement !!!
Le truc c’est que la plupart des pseudos contestataires veulent en croquer, ceux qui font mine de vouloir appliquer une certaine rigueur, une vision globale et de grandeur ne font pas long feu, alors ils ne disparaissent pas forcément physiquement aujourd’hui, mais ils n’ont plus leur place dans le giron. Dixit mister bic rouge que le « peuple » si malheureux n’a pas soutenu quand il a fallu être rigoureux.
Au fait, toi qui semble être branché sur TV Congo que devient bic rouge ?
Grace
Grace,
Dis-moi, comment aurais-tu voulu que le peuple soutînt cet homme? Par des marches? Des grèves?
Je n’irai peut-être pas jusqu’à 90%, mais je pense foncièrement comme toi: ce parasitisme va bien au-delà de la sphère dirigeante. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler et j’y reviendrai.
Il faut changer la société, mais hélas! l’exemple venant souvent d’en haut…
Tu as le don de mettre le doigt là où ça fait mal…
Bic Rouge après avoir été remercié en janvier 2005 de son prestigieux poste, était reparti à Yaoundé occuper le poste de vice-gouverneur de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale), poste réservé au Congo.
Entre temps, il est rentré au pays où il dirige une structure nébuleuse, que les Français appelleraient les fromages de la République. Comment appeler ça chez nous? Les maniocs de la République?
En effet, cet homme qui suscita l’admiration de tant de Congolais est depuis le 29/11/2011, président du conseil de régulation de l’Autorité de régulation des marchés publics. Vas-y comprendre d’autant qu’il existe en parallèle une direction générale du contrôle des marchés publics…
Ce pays est merveilleux…
@+, O.G.
A propos de « bic rouge »,
Dans la vie, c’est un vieil ami.
Connaissant le contexte congolais, j’avais trouvé sa démarche complètement suicidaire sur le plan professionnel.
Je crois pour ma part, très honnêtement qu’il a été grisé par sa popularité du moment auprès des organismes internationaux qu’il croyait le soutenir envers et contre tout.
Cela a eu un effet désinhibiteur sur lui au point de lui permettre de telles extrémités complètement imprudentes .
Le connaissant bien antérieurement, je pense qu’il ne s’agissait pas, à proprement parler, d’un acte de bravour mais plutôt d’une mauvaise appréciation du rapport de forces de sa part.
Mon cher Roger s’est laissé griser par sa popularité du moment tout bêtement et malheureusement il s’est brûlé les plumes.
Dieu merci pour lui, il a été juste relégué au « purgatoire »… Ca aurait pu être pire pour peu qu’on connaisse les arcanes et les soubassements de la politique congolaise.
j’étais très inquiet pour lui à l’époque où son « bic rouge » raturait à tout va…. Il ne s’est pas fait beaucoup d’amis dans les rouages du pouvoir.
Il aurait pu procéder différemment
Il faut préciser que le scandale des malversations financières à la BEAC, notamment au niveau de l’antenne de Paris l’avait aussi éclaboussé par la suite…
Il était question, comme l’avait fait entendre la rumeur, de lui confier la direction de CNPC, mais c’était sans compter sur les aigreurs qu’il avait suscité par le passé.
je souhaite à mon cher Roger de passer un « bon purgatoire ». Ca sert à méditer et réfléchir.
Ndeko na ngaï,
J’ai lu et relu ton commentaire et on peut vraiment dire que tu es un ami, mais vraiment ce qu’on appelle un ami.
Car ils ne sont pas nombreux à tenir un tel langage de vérité à leurs proches et en plus à froid, tel que tu l’as fait.
En toute franchise, à la place des dirigeants de la CEMAC, j’aurais fait le ménage: toute la direction de la BEAC aurait dû être remerciée.
@+, O.G.