Lettre du Zaïre: Il y a 36 ans, Woungly Massaga Vs Marien Ngouabi
À l’époque du monopartisme, qu’est-ce qu’on nous gavait chaque 18 mars, pour célébrer, fêter, l’anniversaire du lâche assassinat du camarade Marien Ngouabi, président de la République (1968-1977), grand ami de la jeunesse.
Mais, aussi curieux que cela puisse paraître, depuis son retour au pouvoir par un putsch le 15 octobre 1997, soit 20 ans après la mort de son « président-fondateur », aussi curieux que cela puisse paraître, le culte du dieu Ngouabi semble être passé de mode. On n’en parle que très peu et il n’est plus du tout célébré comme naguère. Il y a de nouveaux petits dieux, chantés par des bruiteurs appelés « artistes » que certains qualifient même de « musiciens ».
Je ne parlerai pas longtemps de cet homme pour qui je n’ai que très peu d’estime. Je donnerai la parole aujourd’hui à un vieux militant africain, qui croyait que Ngouabi était poserait des actes cohérent avec ses discours anti-impérialistes. Je parle de René Jacques N’gouo Woungl-Massaga, dit Woungly Massaga naît à Yaoundé en 1936. C’est un homme politique camerounais qui a pas mal roulé sa bosse, au sein de l’UPC, depuis sa thèse de mathématiques (1960, La Sorbonne, Paris).
Ses publications sont de grande qualité et, malgré les nombreuses secousses et dissensions subies par l’UPC (Union des populations du Cameroun), c’est un plaisir que de lire sa Lettre du Zaïre, écrite après qu’Ange Diawara-Bidie et certains de ses compagnons eurent été exécutés par le pouvoir de Mfoa, sous la férule de Ngouabi.
Jugez en vous-mêmes. Bonne lecture.
Obambé GAKOSSO, March 2013©
« Chers Camarades,
De retour de Brazza où je n’ai malheureusement pas pu contacter les vôtres, je vous fais ce mot rapide à propos de la mort de Ange Diawara et de ses compagnons. Les radios vous ont certainement déjà appris l’essentiel ou plutôt une partie de l’essentiel, je serai donc bref.
Ce qui vient de se passer au Congo est grave et très regrettable pour la Révolution en Afrique et au Congo en particulier. On pouvait certes discuter sur la pratique, sur les méthodes de Diawara, mais il ne reste pas moins que ce dernier était un des éléments les plus radicaux de la gauche congolaise. Camarades, au delà de toutes les divergences de ligne (dont le procès que je devais suivre a témoigné), ceux qui ont sauvagement abattu Ange Diawara et près d’une vingtaine de ses jeunes compagnons désarmés et ligotés, sans même un simulacre de jugement, pour ensuite abuser publiquement de leurs cadavres ont commis contre la Jeunesse et les forces révolutionnaires du Congo un crime qu’elles ne pourront oublier.
Comment tout cela s’est-il passé ? Vous avez compris que Diawara et ses camarades n’ont pas été tués au combat. Dix-huit guérilleros dont on amène les corps criblés de balles, et pas un blessé de l’armée régulière ? La manœuvre était vraiment grossière. Il était en plus connu à Brazzaville que la colonne de Diawara donnait du fils à retordre aux soldats de Ngouabi. La vérité n’a pas tardé à se répandre, rapportée par les hommes mêmes qui avaient participé à l’action et en étaient dégoûtés. A Kin[1] même, j’ai vite eu confirmation de ces faits.
En bref, Diawara et ses amis s’étaient repliés sur le territoire zaïrois où ils disposaient des « complicités », semble-t-il pour des questions de ravitaillement (les contacts Brazzavillois étaient « grillés »). Ils sont tombés dans un piège sans aucune possibilité de retraite. Pour Mobutu et Ngouabi il ne restait qu’à négocier la livraison du groupe Diawara contre celle du groupe des douze militaires (dont deux généraux et un colonel) qui avaient tenté de renverser Mobutu pendant son voyage en Chine et s’étaient enfuis à Brazzaville à la suite de l’échec de leur tentative.
Remarquez que Diawara et les dix-sept jeunes auraient pus être ramenés vivants à Brazzaville pour être jugés, puisqu’ils avaient été remis aux militaires congolais avec les pieds et les mains liés, mais vivants. Hélas l’ordre avait été donné de les « abattre comme des chiens » et de ne ramener que les cadavres. Vous pouvez donc imaginer la sauvagerie du lâche massacre : des jeunes dont plusieurs mineurs attachés puis arrosés de balles, et achevés comme des animaux.
Les douze militaires progressistes zaïrois livrés par Ngouabi en échange du groupe Diawara, ont eux aussi été liquidés sans procès dès qu’ils ont été remis par Brazzaville, c’est-à-dire le même jour 24 avril. (Vive le « marxisme-léninisme » !)
On se demande encore pourquoi Diawara a pu s’imaginer qu’il pouvait utiliser le Zaïre de Mobutu quelles que soient les complicités ! On dit que la population de la zone où se trouvait le maquis était déjà soumise à une répression sauvage, très semblable aux méthodes que vous avez souvent dénoncées à propos du Kamerun. Malgré cela, la population était de plus en plus décidée à soutenir les maquisards. Vous savez que dans cette région on connaît la résistance depuis le temps des colons. Mais Diawara et ses camarades ont voulu faire un peu le vide et en profiter pour se ravitailler au Zaïre. Après les déclarations publiques de Ngouabi demandant à Mobutu d’agir auprès de « complices » cette erreur était très grave, et fut fatale.
A Brazzaville, j’ai constaté que la mort de Diawara allait poser certains problèmes au niveau des militants révolutionnaires. Vous savez que les opportunistes de tout acabit considéraient l’action de Diawara et son groupe comme relevant du romantisme et de la « rêverie guevariste ». C’est sûr que diverses « théories » vont plus que jamais être entendues sur l’impossibilité des révolutions populaires et démocratiques dans ce Continent, « théories » répandues par ceux-là mêmes qui font objectivement cause commune avec les petites bourgeoisies qui contrôlent le pouvoir par-ci par-là en Afrique… une fois de plus, il importe donc de souligner que la contribution de l’U.P.C. dans la lutte contre le confusionnisme ne doit pas être négligée.
Pour l’évolution de la situation, de l’avis de plusieurs camarades, il ne faut pas se fier aux apparences : les assassinats du 24 avril se retourneront certainement contre leurs auteurs. Il faut noter d’abord que ces événements ont largement démystifié le régime Brazzavillois, à l’intérieur du pays comme sur le plan international. Ce régime n’a pas compris le caractère très délicat de la situation : il n’a pas compris que le plus important n’était pas de vaincre Diawara et son maquis, mais, de très loin, comment le vaincre ! (Victoire révolutionnaire ou victoire contre-révolutionnaire ?) Or il n’est plus un seul naïf à Brazzaville pour croire aux fables sur la liaison de Diawara avec la C.I.A. : car « la C.I.A. ne livre pas LA C.I.A. » ! Personne à Brazzaville ne croit à une « victoire révolutionnaire » remportée avec l’aide de Mobutu et au prix de tant de lâchetés, il faut bien le dire !
Sur le plan même de la tactique, les forces militantes vont aussi progresser à brève échéance. On peut discuter de la voie empruntée par Diawara : était-elle la meilleure ? Il n’avait pas le choix après l’échec de la tentative du putsch du 22 février 1972. Certes, il y avait des chances de succès, et on a même vu que le régime commençait à être sérieusement miné. Pourtant il fallait beaucoup d’habileté et de la chance pour mener cette action jusqu’au succès. Sans oublier que l’équivoque était toujours là : qui représentait réellement la ligne progressiste et révolutionnaire ?
Après l’échec du « M.22 » quelles que soient les voies qu’emprunteront les révolutionnaires congolais, ils bénéficient déjà d’une expérience qui, d’une manière ou d’une autre, portera ses fruits.
C’est sûr qu’à Brazzaville, une plus grande importance sera maintenant accordée à la vigilance, au travail clandestin strictement discipliné et patient, à l’organisation et à la mobilisation des masses, aux luttes unies des travailleurs et des étudiants. C’est sûr aussi que militants révolutionnaires et partisans de la dictature militaire et bureaucratique vont se disputer âprement le contrôle des forces de la classe ouvrière et de la jeunesse. Dans cette lutte, le régime aura le dessus pour un temps, mais, très rapidement, il sera condamné à perdre parce que le tout n’est pas de bavarder. Alors les choses évolueront peut-être plus vite que ne le pensent certains …
Salutations révolutionnaires.
Pour le Groupe M.I.T.
Prospère B. »[2]
Me revoilà je n’avais pas fini mon petit tour par ici. D’après ce que j’en sais, j’ai quitté le Congo l’année de la mort de Marien, j’ai connu le phénomène Marien par ouïe dire, donc je ne ne peux qu’imaginer le gavage. Je me souviens vaguement d’une chanson et d’une coiffure appelé « Celine abomi Marien » ou un truc approchant.
Je ne comprends pas du tout cette phrase : « Il y a de nouveaux petits dieux, chantés par des bruiteurs appelés « artistes » que certains qualifient même de « musiciens ».
Mais dis moi ce Woungly-Massaga n’est pas celui qui est chanté dans les mabangas des Z ? Je croyais entendre Willy Massanga alors qu’en dis tu, toi qui est myope mais dont l’ouïe semble irréprochable ?
Autrement, j’ai un peu décroché au milieu du discours, sans doute parce que ces mots m’étaient familiers, mais je pense que çà sera utile aux personnes qui ne connaissent pas ce pan de l’histoire.
Grace,
Oui, tu peux très bien imaginer le gavage… Même moi qui suis né 36 ans après cet évènement tragique, j’ai subi ce gavage (;))
Tu te souviens de la chanson Céline A bomi Ngouabi? Je suis scotché car très peu s’en souviennent. En fait, cette chanson était la résultante d’une rumeur qui attribuait à la pauvre Céline Ngouabi épouse du défunt, la responsabilité de sa mort.
Même si les légendes ont la vie dure, très rapidement, les Congolais se sont rendu compte qu’elle avait autant de responsabilité dans cette mort que Ngouabi lui-même dans la destruction de Pompéi. C’est dire…
Je ne comprends pas du tout cette phrase : « Il y a de nouveaux petits dieux, chantés par des bruiteurs appelés « artistes » que certains qualifient même de « musiciens ». Aïe!!!
Grace,
Grâce à toi, j’ai eu mon plus grand fou-rire de la journée… Non, Woungly-Massaga est Camerounais et Willy Mantsanga est un Congolais. Ils n’ont absolument rien à voir, mais alors là, absolument rien à voir.
Willy Mantsanga est le pseudonyme d’un certain Anicet Wilfrid Mpandou. C’est un ancien milicien qui est devenu député.
@+, O.G.
Grace,
Je reviens sur ton interrogation : Je ne comprends pas du tout cette phrase : « Il y a de nouveaux petits dieux, chantés par des bruiteurs appelés « artistes » que certains qualifient même de « musiciens ».
Ce que j’appelle « bruiteurs », ce sont ces gens qui ont des instruments de musique et que les Congolais appellent musiciens ou pire encore « artistes musiciens ». Cela m’horripile au plus haut point car pour moi, ce n’est pas de la musique que de lancer des mabanga à longueur de « chansons ».
C’est du très grand n’importe quoi.
Et justement, ces gens qui leur donnent de l’argent (beaucoup ou peu, peu importe), c’est ceux-là que j’appelle « petits dieux ».
Ce sont des hommes politiques, des affairistes, des hauts-fonctionnaires qui saignent les finances publiques etc.
Voilà…
@+, O.G.