Malcolm X aux Africains : « Notre problème est votre problème »
Du 17 au 21 juillet 1964 se tint au Caire (Egypte) la deuxième Conférence des chefs d’États de l’OUA*. 34 représentants africains étaient dans la salle pour écouter l’allocution de bienvenue prononcée par Gamal Abdel Nasser, alors président égyptien. Malcolm X y alla pour représenter l’OAAU**.
En tant que délégué de l’OAAU, Malcolm X avait pour mission de parler aux Africains de ce que les Noirs des USA subissaient (brimades, tabassage, réprimandes, arrestations abusives, privations de droits civiques, discriminations en tous genres, etc.), bien qu’ayant la nationalité de ce pays. Il soumettra aux dirigeants africains un mémorandum en huit pages pour demander leur soutien face à la situation brûlante en Amérique, pour aider la lutte des Africains des USA et sensibiliser l’ONU face à leur situation dramatique. Ils auront ce mémorandum le 17/07/1964. Soit la veille des émeutes de Harlem***.
Je vous livre des extraits du discours prononcé par celui qui sera baptisé lors de son passage au Nigeria (le 10/05/1964) Omowale, ce qui signifie l’enfant est revenu, en yoruba****. Extraits poignants où l’on peut voir combien Malcolm X avait très tôt compris à quel point certains leaders africains étaient d’un égoïsme incroyable, devant les affres des Noirs des Amériques. Ils étaient membres de l’OUA pour le paraître, en fait, rien de plus. Laissons la parole à Malcolm X.
Obambé GAKOSSO, November 2012©
Vos excellences,
L’Organization of Afro-American Unity m’a délégué comme observateur à cette Conférence au sommet africaine, d’importance historique, afin que j’y représente les intérêts de 22 millions d’Afro-américains dont les droits humains sont chaque jour violés par le racisme des impérialistes américains.
L’Organisation de l’Unité Afro-américaine, fondée par des éléments représentatifs de la communauté africaine d’Amérique, est structurée suivant l’esprit et la lettre de l’Organisation de l’Unité Africaine.
De même que l’Organisation de l’Unité Africaine a appelé tous les dirigeants à rejeter leurs divergences pour s’unir sur des objectifs communs en vue du bien commun de tous les Africains, de même, en Amérique, l’Organization of Afro-American Unity a appelé tous les dirigeants afro-américains à faire fi de leurs divergences et à rechercher des bases d’accord afin que nous puissions travailler dans l’unité au bien des 22 millions d’Afro-américains.
Etant donné que ces 22 millions d’Afro-américains sont d’origine africaine et que nous nous trouvons à présent en Amérique, non par choix mais du fait d’un cruel accident de notre histoire, nous sommes fermement convaincus que les problèmes de l’Afrique sont aussi les nôtres et que nos problèmes sont aussi ceux de l’Afrique.
Vos Excellences,
Nous croyons également qu’en tant que chefs des États africains indépendants, vous êtes les pasteurs de tous les peuples africains, où qu’ils se trouvent, qu’ils habitent encore leur patrie africaine ou qu’ils aient été dispersés en terre étrangère.
Certains des dirigeants africains qui assistent à cette Conférence ont laissé entendre qu’ils avaient assez de problèmes en Afrique même, pour ne pas se soucier en plus du problème afro-américain.
Avec tout le respect dû à des hommes aussi éminents que vous, je me permettrai de vous rappeler à tous que le bon pasteur délaisse quatre-vingt-dix-neuf brebis, qui sont en sécurité à la maison, pour se porter à l’aide de la brebis perdue qui est tombée dans les griffes du loup impérialiste.
Nous qui vivons en Amérique, nous sommes vos frères et vos sœurs longtemps perdus, et je ne suis ici que pour vous faire souvenir que nos problèmes sont vos problèmes. Aujourd’hui, les Afro-américains « s’éveillent », et nous nous retrouvons en terre étrangère, dans un pays qui nous a rejetés, et, tels le fils prodigue, nous appelons nos frères aînés à notre aide. Nous faisons des vœux pour que notre prière ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.
C’est de force , enchaînés, que nous avons été arrachés à notre patrie africaine, et voilà 300 ans que nous sommes en Amérique, où nous avons subi les tortures physiques et psychologiques les plus inhumaines qui soient.
Cela fait dix ans, le monde entier en est témoin, que nos hommes, nos femmes et nos enfants sont attaqués et mordus par des chiens policiers féroces, brutalement matraqués par la police, entraînés jusqu’aux égouts par des jets d’eau à haute pression qui nous arrachent les vêtements et la chair du corps.
Si toutes ces atrocités inhumaines nous ont été infligées par les autorités gouvernementales des Etats-Unis, par la police elle-même, c’est seulement parce que nous voulons jouir de la considération et du respect assurés au reste des humains qui vivent en Amérique.
Vos Excellences,
(…) Cette semaine, on a trouvé dans le Mississipi deux cadavres de Noirs ; la semaine dernière, en Georgie, on a assassiné de sang-froid un professeur afro-américain sans arme ; quelques jours auparavant, trois militants engagés dans la lutte pour les droits civiques avaient complètement disparu, peut-être assassinés eux aussi, pour cette seule raison qu’ils enseignaient aux Noirs du Mississipi, comment voter et comment conquérir leurs droits politiques.
(…) Si des Africains sont sauvagement frappés alors qu’ils ne font que visiter l’Amérique, imaginez les souffrances physiques et psychologiques de ceux de vos frères et sœurs qui vivent dans ce pays depuis plus de trois siècles (…)
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* : Organisation de l’Unité africaine, créée en 1963 et qui s’appelle depuis 1999 UA (Union africaine) ;
** : Organization of Afro-American Unity, créée le 28/06/1964 qui porta à) sa tête Malcolm X
*** : En 1964, un jeune noir de 15 ans (James Powell) est assassiné par un policier blanc. Ce qui déclenchera les émeutes de Harlem
**** : Ce sont les membres de la Société des étudiants musulmans de l’Université d’Ibadan qui lui donneront ce nom.
Le frère avait pris l’avion et plein de risques.
Il était venu nous voir pour nous parler.
Nous avons refusé d’accepter la main qu’il nous tendait.
Quand je te lis (tous les jours), je me demande comment je fais pour ne pas me suicider?
B.C.
[...] novembre dernier, nous avons eu l’occasion de jeter un nouveau regard sur Malcolm X, en rapport avec sa tournée [...]