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6 novembre 2012

Liquider la société post-coloniale, il faut!

Classé dans : Politique — Obambé Mboundze GAKOSSO @ 9 h 03 min

 

Liquider la société post-coloniale, il faut! dans Politique gy

Youlou, au centre, avec son 1e gouvernement

Il y a trois ans, suite à une de ces rencontres souvent organisées par des Congolais, en région parisienne, un aîné partagea sa vision des choses avec un groupe de ces jeunes compatriotes. C’est un universitaire de formation et il se reconnaîtra aisément dans ce billet, quand je donnerai plus d’éléments sur cet échange.

En public, il a plutôt tendance à déranger car il a des prises de position qui ne vont pas dans le sens de la majorité. Il est un enfant des années soixante et il n’hésite pas à dire à certains Congolais que ce qu’ils critiquent entre autres aujourd’hui existait déjà dans les années 60, notamment la période de la présidence de l’abbé défroqué, Fulbert Youlou. Il regardait « des fils et filles de » frimer dans de très belles voitures avec des fringues de luxe, des amis, des voisins de quartier dont les parents étaient au gouvernement ou à d’autres postes de responsabilité dans l’administration. Or, nous savons tous que Youlou et certains de ses collaborateurs n’hésitaient pas tendres avec les deniers publics : on tapait très bien dans la caisse et le slogan Youlou a tout volé vient bien de cette période.

Dans son essai, Les voies du politique au Congo : essai de sociologie historique*, Rémy Bazenguissa le dit sans ambages et donne des détails sur la manière dont les fils et filles de se comportaient dans la société : on voit très peu de différences entre les « enfants » de cette époque et ceux de nos jours.

Mieux encore, dans le gouvernement Youlou, les ministres roulaient en cabriolet. Pendant qu’en Oubangui Chari, Abel Goumba recommandait des économies et demandait que les ministres et les hauts fonctionnaires vivent décemment, les Français (encore présents au pouvoir avant l’indépendance) et certains Africains ne voulaient rien entendre : cabriolet et autres voitures de luxe avaient droit de cité alors que les caisses de l’État, déjà, sonnaient creux. C’est le même scénario au Congo voisin ! Jean-Paul Gourévitch dans son essai La France en Afrique, cinq siècles de présence : vérités et mensonges**, rappellent à ceux qui voudraient l’oublier que déjà, sous Youlou, on appelait Paris pour payer les traitements des fonctionnaires, de temps en temps… En 1991, sous la transition dirigée par feu le Premier ministre, André Ntsatouabantou Milongo, les Congolais semblaient découvrir cette pratique de tendre la main pour la paie des agents de l’État.

Pauvres de nous qui aimons ignorer l’histoire et surtout les leçons de l’histoire. Celui qui ne connaît pas l’histoire se condamne à la revivre douloureusement nous dit Flavius Josephe. Même si c’est un mal bien humain, nous devons en Afrique faire cet effort constant de regarder de temps en temps dans notre rétroviseur pour bien voir les similitudes entre les faits passés (surtout quand ils ne sont pas bien vieux) et les faits présents. L’équipe dirigeante du Congo, actuellement, reproduit les mêmes comportements que certains de leurs devanciers. Il y a bien entendu du pire, car de l’argent, jamais on n’en a eu autant. La question n’est bien évidemment pas de chercher à équilibrer les pouvoirs de Youlou, Marien Ngouabi, Jacques-Joachim Yhombi-Opango, Denis Sassou Nguesso I et Pascal Lissouba***. Il s’agit de rappeler aux Congolais qu’ils auront beau changer les noms des présidents, des ministres, des DG des sociétés publiques, ils n’auront rien fait tant qu’ils n’auront pas remis en cause le système en place qui est rigoureusement le même depuis 1960 et même avant.

Les Congolais n’ont jamais liquidé la société post-coloniale. Elle est en place et solidement ancrée avec une monnaie (le franc CFA), une économie totalement extravertie (dépendance exclusive au pétrole et au bois, produits d’export quasiment à 100%), une agriculture de rente etc. Le président du Congo, même en 2016, pourra être originaire de la Sangha, du Kouilou, cela ne changera strictement rien. On aura déshabillé Songolo pour habiller Kingani. C’est du système dont il est question. Nous avions, nous avons encore des gens qui servent l’ancienne puissance coloniale. Ils le disent sans la moindre gêne quand les micros leur sont tendues. Il suffit d’aller dans les aéroports français de Roissy Charles de Gaulle et du Bourget pour s’en rendre compte : nos officiels y débarquent chaque jour que Dame Nature fait, comme s’ils quittaient Poto-Poto pour aller faire leurs emplettes. Ils y vont pour se soigner, pour voir leurs épouses et maîtresses qu’ils logent aux frais de l’État dans des pavillons et appartements européens. Je ne parle même pas de la leurs flopées d’enfants qui étudient dans des écoles convenables tandis que ceux des Pauvres Congolais usent leurs postérieurs sur les sols en béton, faute de banc.

La complicité de certains d’entre nous est évidente dans ce marasme. Une sœur m’a dit récemment : Quel mal il y a à ce qu’un ministre congolais ait un compte bancaire en France ? Pourquoi sa femme ne pourrait pas y vivre ? Nous avons encore du travail. Beaucoup de travail.

 

Obambé GAKOSSO, November 2012©

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* : Karthala, mai 1997, 28,50€

** :Acropole, 453 pages, novembre 2008, 17,29€

*** : Je mets délibérément de côté la gestion du président Alphonse Massamba Débat dont le bilan éclatant a été débattu à la CNS (Conférence nationale souveraine) de 1991

5 réponses à “Liquider la société post-coloniale, il faut!”

  1. B.C. dit :

    Bambi bonjour,

    Je t’ai lu et j’ai encore une fois envie de pleurer. Beaucoup!

    B.C.

  2. Christian dit :

    Bonjour les parents,

    Il y a des mots que Bambi n’a pas utilisés dans son billet. Volontairement ou involontairement. Il s’agit de nos tribus et de nos langues maternelles. Le grand dont Bambi parle est connu sur la place publique, il est de la Bouenza, j’aime son discours.
    Je ne suis ni de la même région que les parents de Bambi et nous n’avons pas non plus la même langue. Je ne suis pas né dans une grande ville comme lui, mais dans une petite commune du Sud du pays. On s’est connus comme nombre de Congolais peuvent se rencontrer à l’école, dans la rue, au quartier etc.

    Je partage ENTIÈREMENT cette analyse qui restera valable dans 50 ans avec notre mode de pensée, notre mode de vie.

    Ce qui faut changer, nous ne le changeons jamais. Nous croyons bêtement que changer de président résoudrait nos problèmes: erreur!!!

    Christian

  3. Molekinzela dit :

    Effectivement, on trouve cette forme d’ »enjolivage » à postériori des réalités historiques chez nos compatriotes.
    A un ami qui me faisait part du supposé côté philanthropique du régime de Massamba Débat sous lequel, les droits de l’homme étaient respectés, je lui ai rappelé que c’était bien sous ce régime qu’on a assisté à des disparitions, des assassinats mystérieux et non élucidés… des exactions et répressions des populations etc…
    Quelle ne fut pas ma surprise de constater son ignorance ou sa cécité sur cette période!
    Je lui fis remarquer alors que sous le gouvernement de Lissouba, comme premier Ministre de Massamba Débat se sont mises en place les deux principales milices (JMNR et Défense Civile) de triste mémoire.
    Je lui recommandai alors de discuter avec les vieilles personnes à propos du duo « Mabouaka » et « Castro » qui avaient la réputation de défoncer la cage thoracique de leurs innombrables victimes avec un seul coup de brodequin… Qu’il ne fallait surtout pas avoir la malchance de croiser leur chemin lorsqu’on était en galante compagnie, au risque de se faire gauler sa nana et de se faire massacrer en contrepartie… Qu’on était sommé d’étudier le « livre rouge » du camarade « grand Timonier » (Mao)sous peine de se faire embastiller à Makala (prison) comme un affreux contre révolutionnaire…
    C’est après investigations que mon interlocuteur m’affirma comprendre à postériori les mécaniques des deux guerres des années 90…
    Il pris conscience que les évènements des années 90 n’étaient qu’une réitération des pratiques anciennes…

  4. Obambé GAKOSSO dit :

    @ B.C.,

    Kolela te, masta. E za mokili.

    @ Christian,

    Déshabiller Songolo pour habiller Kingani, tel est un des rêves absolus de nombre de Congolais. Erreur…

    @ Ndeko na ngaï,

    « Celui qui ne connaît pas l’histoire se condamne à la revivre ». Voilà ce qu’il faudrait enseigner aux Congolais.
    Avec tout ce qui se sait, comment encore croire qu’un seul régime, de 1960 à nos jours ait été tendre, gentil avec les Congolais ? Ce n’est plus de la naïveté. Il y a là-dedans pas mal de tribalisme, de la bêtise et une myopie tout court. Je m’en tiens à cela.

    @+, O.G.

  5. Molekinzela dit :

    à propos de la période de gouvernance de Massamba Débat, je ne peux résister à l’envie de vous raconter un fait qui s’est produit juste avant la chute de ce dernier:
    nous sommes en 1968. Massamba Débat éprouve des difficultés à asseoir son autorité et surtout à mettre en place son socialisme dit « socialisme bantou » ou « Socialisme africain »…
    Il est débordé sur le plan politique par le socialisme marxiste ou progressiste que prônent Lissouba et Ambroise Noumazalaye.
    Par ailleurs, sur le plan militaire, Débat commence à être confronté à une réaction des officiers de l’armée qui se mêlent de plus en plus de politique.
    À cet effet, il vient de dégrader et limoger de l’armée un jeune capitaine du nom de Marien Ngouabi qui semble constituer une véritable menace pour lui.
    Se sentant de plus en plus acculé à la démission, Massamba Débat, dans un discours du 22 juillet 1968 lança un grand défi par la voie des ondes.
    Il invita un militaire ou un civil plus doué que lui à le remplacer à la tête de l’État. Il prit soin de terminer son allocution par les éléments sujivants:
    « annoncez-vous avant le samedi 27 juillet 1968».
    Ce défi, en réalité était implicitement lancé à Ngouabi.
    Or, loin d’avoir fait connaître la perle rare, le discours de Massamba Débat eut un effet inattendu dans la population de Brazzaville.
    Un vieux Kongo se senti concerné par l’appel du président. Il mit une chemise propre, noua sa cravate, cira ses chaussures.
    Parti du Djoué, il se dirigea vers le palais présidentiel. Arrivé là, les gardes lui demandèrent ce qu’il venait chercher. Il répondit qu’il venait prendre le pouvoir comme l’avait proposé le Président Massamba Débat…
    Ses amis qui l’avaient suivi de loin en riant, eurent toutes les peines du monde à le sortir des mains de la garde présidentielle après qu’ils l’eurent rossé.
    depuis ce jour, on ne l’appelle plus que : «Président ».
    cette histoire qui a tant défrayé la chronique dans les années 68 est racontée par Rémi Bazenguissa dans son ouvrage: les voies du politique au Congo.
    Khartala, 1997.

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