Dessalines, il y a 206 ans
Il y a des noms qui donnent le frisson. Qui font frémir. Que deviennent nos morts ? Birago Diop nous dit que les morts ne sont pas morts. Il n’a fait que répéter ce que nos ancêtres disent depuis toujours. Si Jean-Jacques Dessalines est niché quelque part dans notre ciel, dans notre environnement, il m’arrive de me dire que des gens de son calibre sont un tout petit fiers de nous.
Oui, un petit peu fiers car à regarder le tableau de leurs héritiers, dont je fais partie, il n’y a pas de quoi pavoiser. Regardons les choses en face : nous ne sommes pas dignes des combats et des victoires des Hommes de cette trempe. Et quand je dis que nous ne sommes pas dignes, je suis vraiment gentil car nous mériterions d’être bien flagellés. Comme il faut. Il y a longtemps, lorsque nos postérieurs chauffaient encore les bancs des écoles et autres facs, un ami me disait : J’ai plus de respect pour les inventeurs et autres savants des siècles passés car eux n’avaient pas les moyens modernes de nos chercheurs. On peut aisément transposer cela dans le cadre des luttes pour la liberté des Kamit, depuis la nuit des temps, face à tous les types d’oppresseurs qui nous sont tombés dessus. Qu’avaient nos devanciers ? Que possédaient nos aînés dans les combats qu’ils ont menés, au point de remporter autant de victoires ? L’histoire de Ayiti devrait être enseignée comme il se doit dans nos écoles, si possible, dès le primaire. N’oublions jamais qu’il s’agit tout de même de la première, de la toute première République nègre au monde.
Ayiti n’a jamais eu son indépendance par « timbres-postes » depuis Paris. Napoléon premier n’a jamais fait montre de générosité lorsqu’Ayiti accéda à la souveraineté. Il a fallu que les Nègres, esclaves et descendants d’esclaves se lèvent, se révoltent et arrachent au prix de violents combats, leur liberté. Je me souviens du cours sur cette histoire, au collège. Avec le recul, j’avais fini par trouver cela léger, faible, petit. Pas du tout consistant. Au niveau de l’histoire de Ayiti, les dualités ne manquent guère : pour certains, soit on louverturien, soit on est dessalinien, obligeant les intéressés à choisir un camp, comme
s’il fallait absolument opposer les deux plus grands hommes de l’histoire de cette partie de l’île. Quand on s’intéresse un tant soi peu à leur histoire, on se rend compte assez aisément que Dessalines est au contraire un fidèle successeur de Toussaint Louverture.
Louverture et ses hommes avaient leur combat contre la France. Du fait de la traîtrise de Napoléon, il sera arrêté et déporté au Fort de Joux. Alors que Napoléon croyait qu’il avait reconquis l’île, Dessalines reprendra le combat et finira par gagner. Lors du colloque consacré au cinquantième anniversaire de l’assassinat du leader africain Patrice Emery Lumumba (Paris, les 16 et 17/01/2011), le docteur Antoine-Fritz Pierre (vétérinaire à la retraite) a retracé devant un auditoire très captivé la vie et l’œuvre de Dessalines. On apprendra à cette occasion que cet homme qui ne savait ni lire ni écrire, était un véritable tribun. Pour l’orateur, il ne fait aucun doute que Dessalines est le premier panafricain au monde. Et même le père du panaméraicanisme avec les aides notamment apportées à Francisco de Miranda*. Il faut ajouter les diverses aides qu’il apporta à ses frères de la Guadeloupe et de la Martinique, en butte eux aussi au colonialisme français.
Le 29 novembre 1803, Dessalines proclame l’indépendance de son pays. Mais vu que toutes les personnalités requises ne sont pas présentes, c’est la date du 01 janvier 1804 qui sera retenue comme date de l’indépendance, aux Gonaïves (commune à l’Ouest du pays). Ses compagnons le désignent alors gouverneur à vie. En octobre 1804, il se fait proclamer empereur. Henri Christophe, Guérin et Alexandre Pétion, qui avaient avant cette proclamation le même grade que lui n’approuvent cela qu’en apparence. Et c’est Christophe qui propose que l’on se débarrasse de Dessalines. Les propriétaires (Blancs, Français) y vont aussi de leur musique en incitant les Nègres à la révolte, leur promettant même le retour de l’armée française si Dessalines est toujours en place. Chose qui peut paraître curieuse aujourd’hui, ces Nègres, à peine indépendants, écoutent leurs maîtres, hier à peine esclavagistes et se révoltent contre… Dessalines. Ce dernier fait parler les armes contre eux, tout en épargnant ceux qu’il estime importants et plus nécessaires à la survie du pays (botanistes, pharmaciens, médecins etc.).
Dessalines qui ignore que Pétion l’a dans son viseur, lui fait confiance pour régler une révolte qui a lieu dans l’Ouest, avec un manifeste signé entre autres de Guérin ministre de la Guerre, manifeste intitulé « Résistance à l’oppression »). Pétion place ses hommes (maquillés pour faire illusion) au pont appelé de nos jours Pont rouge. Lorsque Dessalines y arrive, croyant trouver un Pétion et ses hommes fidèles, il tombe sur des hommes armés mais tremblants. Ces derniers n’ont pas le courage de faire feu sur le grand homme. Il faut dire que son charisme est énorme. Il n’est pas le successeur de Louverture pour rien ! Il n’a quand même pas vaincu la France par hasard !!! Des officiers cachés dans des trous, très lâchement ordonnent : « Tirez ! Tirez ! Tirez ! » La balle d’un soldat « anonyme » (mais qu’on appellera quand même Gara) va toucher le cheval de l’empereur. Ce dernier d’appeler au secours Charlotin (son aide de camp). Hélas ! les deux hommes sont tués. Ainsi périra Dessalines, un de nos héros, qui nous a montrés que même faiblement armés, on pouvait gagner.
Notre histoire est très mal connue. De nous-mêmes d’abord et il ne tient qu’à nous d’en prendre conscience et de combler nos lacunes. Celles et ceux qui ont le bouquet Afrique via un opérateur français sont abreuvés de séries et autres feuilletons où Miquelina couche avec Pedro qui vient de faire un enfant à Annabella, la femme de son frère Jorge etc. Le peuple est agglutiné devant le petit écran. Pendant ce temps, lorsqu’il est question de notre histoire, les émissions se font rares et les quelques auteurs invités font l’éloge des pouvoirs en place qui passent leur temps à vanter la francophonie.
Que Dessalines et les autres nous pardonnent car nous ne sommes vraiment pas dignes d’eux : que nous manque-t-il ?
Obambé GAKOSSO, October 2012©
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* : Héros de l’indépendance du Venezuela, qui trouva refuge et aide en Ayiti, lors de la guerre de libération face à la couronne espagnole
La conscience
« Notre histoire est très mal connue. » C’est tellement juste, nous sommes indignes de ces hommes surtout parce que nous ne faisons pas grand chose pour que ça change, c’est pourquoi St-Ralph et toi avez beaucoup de mérite de vulgariser ces pages méconnues de notre histoire.